VIE POLITIQUE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI HUGH ROBERTS- « ALGERIE-KABYLIE….. »
Algérie-Kabylie.
Etudes et interventions. Essai de Hugh Roberts. Editions Barzakh, Alger 2014, 335
pages, 900 dinars
Des études et
des interventions qui s’étalent sur le sujet de 1994 à 2007.
L’ouvrage réunit
des articles et des entretiens sur le champ politqiue
algérien et surtout sur la Kabylie que l’auteur connaît plus
particulièrement pour y avoir vécu,
enseigné et mené des enquêtes sur le terrain.
Départ en trombe
avec une introduction (simple , claire et directe) sur
les « prémisses historiques d’une libération inachevée ».Un titre qui
veut tout dire !
La première
partie de l’ouvrage , sous forme d’études, est consacrée à une approche
historique, sociologique et anthropologique de l’Algérie, ce qui lui permet de
présenter « la guerre civile » de 90 à 98 et d’aborder les
spécificités du pays : la violence entre micro-sociologie et l’Histoire avec une analyse très critique
d’un livre de Luis Martinez, les perspectives sur les systèmes politiques
berbères (en revenant à des ouvrages de Gellner et de
Masqueray et sur « l’erreur » de Durkheim),
la Kabylie à la lumière tremblotante du
savoir, quelques approches théoriques à l’analyse du champ politique algérien
(en revenant à Gellner et à Bourdieu)
La deuxième
partie concerne des interventions axées toutes sur la Kabylie qu’il a examiné
sous toutes ses coutures. Il est vrai qu’au début des années 2000, la (Grande-)
Kabylie a été le lieu de luttes culturelles et politiques assez dures , mais
aussi un enjeu quasi-idéologique
(attractif) , avec son approche de la vie démocratique que l’on ne retrouve pas dans les autres
régions du pays .
Deux autres
textes intéressants : un portrait émouvant (décidémment,
c’est une malédiction. Nos « vrais » grands hommes - ceux qui apportent ou ont apporté une
« plus-value » intellectuelle et culturelle - d’aujourd’hui sont beaucoup plus encensés par
les étrangers que par nous-mêmes) de Mahfoud Bennoune
( « un homme bon. Et ce qui est peut-être encore
mieux, un homme « dur »), le grand sociologue algérien décédé (et
inhumé) aux Etats Unis ....et l’officialisation de Thamazight
avec la question de la graphie (Il propose un « deal » avec une
graphie officielle choisie , pratiquée
et enseignée par l’Etat.....ceci n’engageant nullement les organisations du
mouvement associatif amazigh à l’application automatique, chacune ayant le
droit entier de faire le choix de graphie qui leur convient, selon les régions
et les réalités du terrain) . Un pari bien osé , bien
qu’intéressant, avec des acteurs tous
aussi radicaux les uns que les autres.
La conclusion
(comme d’ailleurs l’introduction) est une partie encore plus intéresante .
Pour le chercheur, il faudra qu’un personnel politique nouveau se manifestre et prenne en charge le grand problème du rapport
Etat-société en Algérie, problème qui se
manifeste surtout dans la crise des institutions . Bref, l’émergence de nouvelles élites
nationales guidées par et porteuses d’une nouvelle vision politique bien ancrée
dans les meilleures traditions du pays, informée par les expériences d’autres
peuples, et réaliste et audacieuse à la fois.Vaste
programme ! Impossible à mettre en œuvre car l’Etat algérien a , jusqu’ici, pris beaucoup plus en considération, dans ses
réformes, les vœux et les conseils de ses
« partenaires » occidentaux et a adopté donc la
« conception destinée à l’exportation » (assez déstabilisatrice,
affaiblissant l’Etat, lorsque ce n’est pas carrément sa disparition , évitant
toute « révolution ») au lieu de rechercher et d’adopter une « conception adaptée » .
Quelques grandes lignes : D’abord établir un « bon
rapport » entre le secteur informel et les institutions de l’Etat.Ensuite, la réforme des institutions politiques , les
rapports entres les trois branches traditionnelles (exécutif, législative et
judiciaire) devant être revus et corrigés ; la première étant
hypertrophiée, la seconde sans pouvoir de décision réel et la troisième
dépendante de la première pour ne pas dire soumise) . Enfin ,que les partis
politiques (les « partis tribuns »....il en cite quelques uns ....
dont la fonction latente ou manifeste est principalement de vouloir organiser
et de défendre des catégories sociales exclues ou se sentant exclues des
processus de participation au système politique , comme d’ailleurs du bénéfice
du système économique et du système culturel.......ainsi que les « partis-facade », ....il en cite quelques-uns.....en réalité
des appareils de l’Etat et non des partis politiques authentiques avec une vie
interne et une pensée politique .... ) « cherchent,
dans le mouvement national algérien, les
fondements d’une démarche réformatrice sérieuse et efficace qui permettra à la
communauté politique algérienne de relever les défis auxquels elle se trouve
confrontée »
L’Auteur : Il a
enseigné l’anglais en Algérie (à Bouira en 1973-1974)
et il n’a cessé d’y revenir , même durant la
« décennie rouge ». Enseignant (l’Histoire de l’Afrique du nord et du
Moyen-Orient) dans plusieurs universités en Grande Bretagne et aux Etats Unis,
chercheur indépendant et consultant . Auteur de
plusieurs ouvrages sur l’Algérie. Hugh Roberts est revenu à Tizi
Ouzou mercredi 17 août 2016 pour présenter son
ouvrage : tout en affirmant que sa famille et lui-même n’avaient jamais
douté de la justesse du combat, contre
le colonialisme, du peuple algérien pour sa libération , Durant les années 90... il
avait gardé l’espoir de voir l’Algérie s’en sortir... « au moment où
une grande partie des intellectuels, même algériens ,
désespérait....Et, il est « très optimiste pour l’Algérie et son
avenir »
Extraits : « Avec
le Fln, le nationalisme algérien recule pour mieux sauter. La nouvelle
stratégie reste axée sur l’objectif moderne de l’édification d’un Etat-nation,
mais sa mise en œuvre commence par la mobilisation du traditionnel, ce
qui ne manque pas de faire naître de nouvelles contradictions au sein du
mouvement, tout en tendant à exclure la perspective d’un Etat algérien calqué
sur le modèle de la République française » (p 19) , « Les puissances occidentales
d’aujourd’hui n’ont que faire de l’intérêt national et de la cohésion sociale
des autres, cela ne reste plus à démontrer » (p 299)
Avis : Un
ouvrage qui date, mais qui fournit un point de vue original......d’autant qu’il
a des propositions bien concrètes.....tirées d’une connaissance détaillée,
méticuleuse, du terrain. Ah ! le pragmatisme américain.
Citations : « La
sagesse rétrospective est toujours facile et, le plus souvent, illusoire et
vaine » (pp 19-20), « Les mutations culturelles qui s’opèrent dans
une société apparemment figée sont souvent des plus difficiles à cerner. Quand
il s’agit d’une société formellement soumise, dont l’Etat se soucie peu ou pas
du tout, et pour laquelle il n’a ni sympathie ni respect sincère, les mutations
dont il est question deviennent insaisissables de l’extérieur « (p 32),
« La France en 1954 a affaire à un adversaire algérien beaucoup plus
redoutable que jamais auparavant, mais elle l’ignore » (p 33), « Le 1er
Novembre 1954 est un produit, sur le plan extérieur, de l’ordre mondial nouveau
né de la guerre de 1939-1945 » (p 34), « Tout acquis a un prix »
(p 286), « L’idée que l’objectif de tout regroupement d’hommes (de nos jours les femmes évidemment en font
partie aussi) digne du nom de « parti politique » est de promouvoir
l’intérêt national, est fondamentale et indispensable » (p 318)