RELATIONS
INTERNATIONALES- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- MEMOIRES MOHAMMED BEDJAOUI- « EN MISSION EXTRAORDINAIRE. CARNETS…. »
En mission extraordinaire. Carnets d’un
ambassadeur en France 1970-1979. Mémoires de Mohammed Bedjaoui,
Cabah Editions, Alger 2016, 415 pages, 1200 dinars
Succédant à Redha
Malek, en décembre 1970, à l’heure , pour l’Algérie, d’effectuer un nouveau
bond sur la voie du parachèvement de son indépendance économique, il a
travaillé successivement avec deux Présidents de la République, Georges
Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, trois Premiers ministres, Jacques
Chaban-Delmas, Jacques Chirac et Raymond Barre, onze ministres des Affaires
étrangères ou Secrétaires d’Etat, trois Secrétaires généraux de
l’Elysée....soit au total dix –neuf
hautes personnalités.
Pour les questions relatives aux travailleurs
algériens émigrés, il a traité avec pas moins de huit ministres du Travail ou
secrétaires d’Etat. Total : vingt-sept personnages auxquels il faut
ajouter les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les leaders et
secrétaires nationaux des partis politiques, les responsables des chaînes de
radio et de télévision, les directeurs successifs du quotidien Le Monde,
Hubert Beuve-Méry, Jacques Fauvet et André Fontaine, les dirigeants des centrales
syndicales, Cgt, Cgt-Fo, Cfdt...
Le diplomate (ne pas oublier l’universitaire , le ministre et l’expert), maintenant âgé de 86 ans, s’est souvenu et a rapporté
aussi fidèlement que possible les faits les plus importants d’une mission qui a
duré neuf années...bien éprouvantes (les relations algéro-françaises
relevant de la passion...aujourd’hui encore) . Boumediene l’avait « envoyé
au front » (pour un « Evian II et même pour un troisième encore
s’il le fallait ») et Bouteflika, le Mae de l’époque, comptait sur lui
« pour veiller au mieux à des rapports algéro-français
acceptables ») .
L’auteur a su maîtriser des autobiographies.
Il raconte donc tout ou presque tout , en
tout cas, l’essentiel, avec , au passage, comme si de rien n’était (c’est un
art qu’il cultive avec élégance et délicatesse) , des portraits ...car, il
est vrai, on comprend mieux les
hommes politiques et leurs politiques à
travers les caractères: Ainsi, celui de A. Bouteflika qui, « en plus
d’être séduisant, était fort disert et doué d’un réel talent de conteur »
(p 46), celui de Georges Pompidou
« un homme d’Etat raffiné » (p 51) , celui de Valéry Giscard
d’Estaing, « un homme de droite...
homme d’un clan plus que d’un camp » (p 60), celui de
Jacques Chirac, « fougueux, carré, et sans nuances....d’une
évidente sincérité et d’ une frappante spontanéité... » (p 120), celui de
Gaston Deferre, « un homme politique assez « carré » dans ses
convictions et qui ne prisait nullement de parler pour simplement plaire »
(p 174), Bourguiba, « qui acceptait que l’on dise de lui qu’il était un
trop grand homme pour un petit pays » (p 316)...et Mobutu, Houphouët-Boigny Nguyen Thi Binh, Kadhafi, Fayçal
d’Arabie Saoudite, Sadate...
Quelques révélations : Henri Kissinger
qui « ne dédaignait nullement de faire souvent escale à Alger, en dépit du
fait qu’il n’existait même pas de relations diplomatiques entre les deux pays,
rompues qu’elles étaient par l’Algérie » (46), Boumediene qui, dans la
soirée du 11 avril 1975, se rendit, sans avertir quiconque, à l’ambassade de
France, pour assister, « décontracté et chaleureux » à la réception donnée en l‘honneur de Valéry
Giscard d’Estaing (p 61), la venue, « incognito, par deux fois », en
France, du roi Hassan II pour voir V. Giscard d’Estaing ... (p 121 et p
126), Giscard d’Estaing qui croyait fermement
que « l’Algérie avait le projet de conquérir la Mauritanie » et
Senghor qui le croyait encore plus, traitant sans arrêt l’Algérie de
« raciste » et d’ « impérialiste » (p 137) , une dépêche de
l’Aps (fin décembre 1977, juste après la libération,
grâce à l’Algérie, des mains du Polisario de soldats français) qui a failli se transformer en « Dépêche
d’Ems » avec un Valéry Giscard d’Estaing « remonté » contre la
presse algérienne....
Notons , enfin, un art assez fin de la critique ; faite
de piques fines dont on devine les cibles....et un art de vivre pleinement
assumé ....dans un Paris au
« charme conquérant et inimitable »... Paris, « un poste fort convoité depuis
toujours »....convenant parfaitement à notre homme.
L’Auteur : Né en 1929, à Sidi Bel Abbès.
Durant la guerre d’indépendance, il a été conseiller
juridique du Gouvernement provisoire de la République algérienne(Gpra) et chef de cabinet du Président Ferhat Abbas. Il
figurait aussi parmi la délégation algérienne lors des négociations d’Evian.
Avant de présider le Conseil constitutionnel à partir de 2002[], Mohamed Bejaoui a
été président de la Commission de Surveillance de l’élection présidentielle du
15 avril 1999.Il est nommé ministre des Affaires étrangères du 1er mai 2005 au
4 juin 2007. Avant cela, il a occupé un poste ministériel durant la période
1964-1971. Il était ministre de la Justice, garde des Sceaux. Après avoir
quitté le gouvernement, il a été désigné ambassadeur en France ( où il a été fait
Commandeur de la Légion d’honneur,
puis Grand officier ...et il fut , même , membre d’un éphémère Haut Comité de
la langue française), et auprès de
l’Unesco (1971-1979).Il fut promu
ambassadeur, représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations unies à New
York jusqu’à 1982. Titulaire de plusieurs diplômes, M. Bejaoui
a été juge à la Cour internationale de justice de La Haye pendant près de vingt
ans (1982-2001), puis président de Chambre (1984-1986) et président de la Cour
(1994-1997).Bedjaoui est l’auteur d’une dizaine
d’ouvrages et de dizaines d’articles et d’études qui font autorité en droit
international
Avis :
Manuel
du métier (difficile et délicat ) de diplomate (p 233
à p 289, en particulier sur « la quête infructueuse de normalité ») .
Se lit comme un long roman.......d’amour, continuellement contrarié (entre les
deux pays que sont l’Algérie et la France) ...l’ambassadeur étant le
« médiateur ». Pas facile en un « laps de temps (huit ans) pour
résoudre tous les problèmes dérivés de l’instauration ,
pendant 132 ans , d’un « rapport inégalitaire »
Citations : « Cet homme de droite (Valéry Giscard
d’Estaing) , soutenu par la « ligue des princes » et le grand
capital, cet homme d’un clan plus que d’un camp, paraissait savoir entendre, à
défaut de comprendre, la sourde et impatiente rumeur qui montait de l’autre
camp (l’Algérie) » (p 60), « Le suffrage universel direct réduisait
l’influence des partis politiques (élection présidentielle en France en mai
1974) » (p 113), « Il est politiquement dangereux de prendre des
positions publiques à partir d’un territoire étranger sur des problèmes
d’actualité.......Il ne faut jamais parler d’un problème important à partir de
l’étranger » ( Jacques Chirac visant Valéry Giscard d’Estaing , p 127),
« La décolonisation s’affirme douée à la fois d’une force de destruction
et création et d’une inertie de continuité. C’est un phénomène complexe de
rejet voulu et de maintenir subi, de rupture et de continuité » (p 234),
« Quand on lit avec quelque recul, comme aujourd’hui, les accords d’Evian,
on observe bien à quel point ils furent
irréalistes. Sur les trois paramètres considérés, ils firent comme si l’unité
territoriale de Dunkerque à Tamanrasset allait persister et même se renforcer
singulièrement « ( p 243), « La grandeur d’un homme, mais aussi la
malveillance humaine qui l’empêche de rebondir politiquement, vous pouvez la
rencontrer plus d’une fois durant votre ambassade parisienne » (p 372),
« A la veille de la proclamation de l’indépendance, le 6 juin 1962 à
minuit dix, au Congrès de Tripoli, la Révolution algérienne s’était
auto-dévorée lorsque Ben Bella grimpa à la tribune pour invectiver le Gpra en la personne de son Président Youcef
Benkhedda et rentra à Tlemcen » (p 398).