EDUCATION- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI BENJAMIN STORA- « LES CLÉS
RETROUVÉES.UNE ENFANCE JUIVE A CONSTANTINE »
Les clés retrouvées. Une enfance juive à Constantine.
Essai de Benjamin Stora. Editions Sédia,
Alger 2015 ( Editions Stock, Paris 2015), 104 pages,
550 dinars
Le titre correspond
assez bien à une période bien précise de la vie de l’auteur. Souvenirs
d’enfance, d’enfance juive qui ne ressemble pas à celle des autres, celle des
petits Arabes ou celle des petits Européens, bien qu’elle ait été bien plus
proche de celle des premiers que de celle des seconds. Ces derniers vivaient
« ailleurs !
Premier choc, premières
images, premiers bruits pour l’enfant de quatre ans et demi qu’il était :
quand des soldats (de l’armée française) sont brusquement entrés dans le petit
appartement des Stora, 2 rue Grand, au cœur du
quartier juif de la ville , le « Kar Charrah »
(en arabe « le bout », « le cul de la lie ») , ont installé
une sorte de trépied, posé une mitrailleuse dessus et ont commencé à tirer sur
des Algériens « s’enfuyant le long des gorges du Rummel », de l’autre
côté de la maison. C’était le 20 août 1955 ! La guerre d’Algérie était cachée , pour toujours , dans les plis de sa mémoire d’enfant.
Deuxième image :
Lorsque la famille avait décidé de partir, le matin du 16 juin 1962 ; la
maman a lavé consciencieusement tout le petit appartement. Elle n’a pas versé
de verre d’eau sur le palier, comme elle le faisait traditionnellement au moment
du départ d’un proche , qui ensuite revenait sur ses
pas . Cette pratique rituelle exprimait un souhait : que le voyageur parte
et revienne en bonne santé. Le père a fermé la porte avec les clés et les a
données à la mère qui les a mis dans son sac à main…..Lorsque la maman est
décédée en 2000, en France, l’auteur a retrouvé « au fond du tiroir de sa
table de nuit, le trousseau de clés »…..toujours
conservées …. « comme les histoires de
marranes qui emportaient dans le Nouveau Monde les clés de leur maison
d’Espagne, de l’Andalousie perdue »
Un début…. une fin….
Et, entre les deux , l’histoire de la communauté juive
de Constantine, une ville « très pieuse » – une vie presque à part et mouvementée , car
prise en étau entre une vie vécue traditionnellement avec et au côté des musulmans et une recherche de vie plus « moderne »,
moins « soumise » ….et l’histoire de la très modeste famille Stora (par le père) /Zaoui (par
la mère). Une communauté dont les
origines en Berbérie remonte
à des siècles et des siècles, parmi les premiers les habitants d’Afrique du
nord, ayant précédé la présence arabe puis celle des Français. En 1941, la ville comptait 30 640
musulmans pour 50 232 Européens …et 14 000 juifs. Une ville où les
juifs atteignaient la plus forte proportion en Algérie : entre 18% et 13%
sur le total de la population communale.
L’Auteur :
Benjamin Stora, né en décembre 1950 à Constantine. C’est le plus
Algérien des historiens français . Professeur à l’Université Paris
XII et inspecteur général de l'Éducation
nationale depuis septembre 2013. Ses recherches portent sur l'histoire de l’ Algérie, et plus largement sur l'histoire du Maghreb
contemporain, ainsi que sur l’empire colonial français et l’immigration en
France. Il s'est intéressé, notamment, à Messali Hadj ,aux luttes entre indépendantistes algériens et à
l'histoire des Juifs d’Algérie. Il assure la présidence du conseil
d'orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration depuis août 2014 . Ses liens avec les socialistes ont contribué à la
reconnaissance en 2012 par la République française du massacre du 17 octobre
1961 perpétré par la police française sur des manifestants algériens répondant
à l'appel du FLN en plein cœur de Paris. En 2011, le candidat François Hollande
avait participé à une commémoration de la répression sur le pont de Clichy, en
sa présence
Avis :
Intéressant….pour les vieux Constantinois….et, certainement, pour Enrico Macias !
Citations : «
Les bandes dessinées ne disaient jamais l’histoire de l’Afrique ou la conquête
de l’Algérie. Il n’existait pas la moindre allusion aux Arabes, aux Africains,
à la pauvreté ou à l’exploitation. La vie n’était qu’aventure, richesse et
humour, blondeur, beauté et assurance. Autant de mythes européens auxquels nous
ne pouvions qu’adhérer » (p 52) , « La société
européenne était une société qu’on ne fréquentait pas. On la regardait,
l’observait, l’imitait, mais on ne la connaissait pas vraiment. On les voyait,
les croisait dans la rue, au cinéma, mais ils restaient étrangers » (p 53),
« La guerre d’indépendance algérienne n’a donc pas été vraiment à
l’origine de la séparation : elle n’a fait qu’accentuer, accélérer et
aggraver les différences » (p 73), « Mai 68 offrait à la fois
l’occasion d’entrer de plain-pied enfin dans la société française et la
possibilité de critiquer la France » (p 87).