COMMUNICATION-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- TELEVISIONS OFFSHORE- MOSTEFAOUI BELKACEM
©Par Pr Belkacem Mostefaoui
(Pr à l’Ensjsi) /Liberté/Contribution, jeudi 2 juillet 2020
PAYSAGE
AUDIOVISUEL ALGÉRIEN
Le marché informel
des télés offshore
En une décennie de programmation et
diffusion, les télés offshore ont tissé un vaste et dense marché informel de
l’offre télévisuelle, cependant que la nation algérienne demeure en rade, depuis
l’indépendance d’un secteur de l’audiovisuel respectueux des principes
universels de service public.”
Il serait
naïf de ne voir dans le feuilleton de frasques accumulées au sein des
programmes des télévisions privées “offshore algériennes”, éditées de l’étranger
et ciblant l’Algérie, que péripéties produites du hasard pour “distraire le bon
peuple” et lui donner le change par rapport aux assommants et staliniens écrans
des télés gouvernementales. Inexorablement, en particulier les grilles des
télés Ennahar, Chourouk,
El-Hayat, Numidia, Beur TV et Dzair
TV, les plus riches, criantes et fréquentées, ont été construites pour mépriser
et enfreindre le droit lié à l’image des personnes humaines et aux principes
d’éthique et de déontologie de la communication audiovisuelle. Depuis une
décennie, elles produisent et diffusent via satellites et internet les
programmes les plus attentatoires à l’image de la nation algérienne dans le
monde.
En si
violente insulte au crédit généré par la révolution du sourire de la jeunesse
porté par le Hirak populaire. Alégales
sur le plan réglementaire, elles ont été fabriquées dans les cabinets noirs du
sérail Bouteflika vers 2011-12 à la marge du “pouvoir non constitutionnel”,
décrié tant depuis février 2019. En sphinx, elles aussi comme les figures
du pouvoir politique retoqué de l’automne dernier, les managers de ces télés
apprennent à surfer sur les premières vagues du Hirak
populaire et se posent en offreurs de services et porte-voix et images des
décideurs engagés dans la restauration du système Bouteflika. Elles demeurent
en alerte de ne pas transgresser une seule ligne rouge, celle de “sécurité
nationale”, telle que conçue par le commandement militaire. Par contre, leurs
ribambelles de jeunes reporters, souvent employés sans respect de la
législation du travail, sont envoyés en snipers pour capter des images et
vidéos, y compris dans les tribunaux et cimetières, ou tout simplement
“partagées” des réseaux sociaux. C’est tout le registre des médias
sensationnalistes abreuvés de sources d’égout et du morbide, et dont les
recettes relèvent d’insignifiants coûts de production, et à portée de cliques
sur internet, que nos nouveaux entrepreneurs en télévision ont adopté pour
concevoir “les premières télévisions libres d’Algérie”.
Adaptation de
recettes sans vergogne à la “demande locale” : une telle de ces “supérettes
d’images” programme un jeu de caméra cachée durant le mois de Ramadhan récent,
avec à la clé en cadeau pour “le gagnant”, célibataire, une femme à prendre en
direct du plateau. Une autre de ces téloches libératrices de notre espace
télévisuel diffuse en appât d’audimat, en pleine pandémie de la Covid-19 actuelle, une zerda de
mariage à partir d’un hôtel, au mépris de tout respect des règles sanitaires
édictées dans les lieux publics… Il serait trompeur, en juin 2020 encore,
de prendre comme indices crédibles d’une volonté réelle des pouvoirs publics
d’assainir le domaine les contenus des communiqués émis par ladite “autorité de
régulation” Arav, coquille vide depuis 2016, ou ceux
des pouvoirs publics. Cris d’orfraie, d’indignation formelle contre des
“dépassements et dérives” de ces télés “offshore algériennes”, les discours de
l’autorité publique sont scandés depuis des années en litanie dans lesquels, de
fait, ils se défaussent de leurs responsabilités. Ainsi, ces jours-ci, dans le
cas du lynchage opéré par ces télés contre la personne du détenu ancien Premier
ministre Ahmed Ouyahia (vidéos attentatoires à la
dignité humaine au cimetière et au tribunal), les déclarations des ministres de
la Communication et de la Justice ne peuvent prétendre à répondre sérieusement
au chancre profond injecté dans la société algérienne par le virus de ces
télés. Feu Me Laïfa Ouyahia,
juste avant son AVC, avocat de son frère et développant depuis des décennies
d’autres valeurs humaines et éthiques, avait fustigé en plaidoirie avec raison,
conviction et rage l’intrusion des caméras prédatrices dans le travail de la
justice.
En une
décennie de programmation et diffusion, les télés offshore ont tissé un vaste
et dense marché informel de l’offre télévisuelle, cependant que la nation
algérienne demeure en rade, depuis l’indépendance d’un secteur de l’audiovisuel
respectueux des principes universels de service public. Dans une opacité
totale, elles ont eu les coudées franches pour capter une formidable et non
comptabilisée manne de ressources publicitaires de marques privées étrangères
et locales mais aussi de la centrale gouvernementale Anep.
Elles ont capté aussi (et fabriqué) des réseaux de pouvoirs politique, d’argent
et de religion qui les ont confortés dans des jeux d’entrisme aux plus hauts
lieux de décision, constitutionnel ou non. Signe du désastre endémique – bien
au-delà des frasques et transgressions spectaculaires servies sur les écrans des
foyers du pays – qui nous révulse, il y a au tréfonds de leurs assises, même si
les plus tenaces d’entre elles ne disposent de jure que d’un “agrément de
bureau” dans le pays, une base de pouvoir d’influence capitale sur le contrôle
idéologique de la société algérienne. En une décennie, elles ont acquis une
rente de situation d’acteurs flibustiers agissant hors de toute
réglementation.
Il est
symptomatique que quatre des six entreprises éditrices citées plus haut ont
toutes, en ce mois de juin 2020, leur boss en prison ou en affaires pendantes,
pour divers chefs d’inculpation, dont ceux liés à concussion en signature de
marchés publics, transferts de fonds de/vers l’étranger, argent sale de
campagne électorale. “L’entrepreneur artiste” du secteur étant probablement M.
Ali Haddad. Il a même réussi à cornaquer des ressources humaines et
matérielles de l’office gouvernemental (EPTV) pour faire orchestrer la campagne
de promotion de Bouteflika en 2014, avec l’éphémère TV Wiam
; et allait presque réussir in extremis, toujours avec ses comparses de la
télévision gouvernementale, la fabrication de la poupée russe promotionnant le
5e mandat dévolu à Bouteflika.
C’était le
projet de télé Istimrar (La Continuité…). À ses dires
récents au tribunal, le magnat a fait commande pour étrenner cette nouvelle
“danseuse” d’un achat de joujoux technologiques évalués à 220 000 euros.
Timorés dans leurs petits jeux d’acteur face aux télés privées mercenaires, les
représentants visibles du pouvoir persévèrent à minorer la gravité profonde
contenue en force de nuisance dans leurs nouvelles usines idéologiques. Sans
doute attendent-ils un nouveau sorcier successeur de M.
Haddad.