HISTOIRE- RESISTANCE- RESISTANTS
ALGERIENS 1840/1850 – CRÂNES
"Les crânes de résistants algériens
1840-1850 " n’ont rien à faire au Musée de l’homme
© "Le Monde ,
08 juillet 2016
Les
crânes des révoltés de 1849 doivent être restitués pour rappeler l’histoire de
la colonisation en Algérie, explique un collectif d’intellectuels, parmi lesquels
l’écrivain Didier Daeninckx, l’historien Gilles Manceron ou l’universitaire Mohamed Tayeb
Achour.
«L’état-major
prend la mesure de la résistance et envoie une colonne de renfort de plus de
5000 hommes, commandée par le général Émile Herbillon,
commandant de la province de Constantine, suivie d’une autre, des zouaves
dirigés par le colonel François Canrobert».
En
mai 2011, l’archéologue et historien algérien Ali Farid Belkadi
lançait une pétition «pour le rapatriement des restes mortuaires algériens
conservés dans les musées français», en particulier les crânes de résistants
algériens tués par le corps expéditionnaire français dans les années 1840 et
1850, qu’il venait de retrouver dans les réserves du Musée de l’homme à Paris.
Alors
que cet appel était lancé un an après le vote, par le Parlement français, d’une
loi exigeant la «restitution (à la Nouvelle-Zélande) de toutes les têtes
maories détenues en France », il n’a eu malheureusement que très peu d’écho. En
mai dernier, l’universitaire et écrivain algérien Brahim Senouci
a lancé un nouvel appel pour que soient restituées les «têtes des résistants
algériens détenues par le Musée de l’homme», afin que leur pays les honore,
avec cette fois un écho nettement plus large.
Il
nous a paru important de le relayer en rappelant la raison de la présence dans
un musée parisien de ces restes mortuaires, à partir de l’histoire de l’un
d’entre eux : le crâne du cheikh Bouziane, chef de la révolte de Zaâtcha en 1849, écrasée par une terrible répression,
emblématique de la violence coloniale.
Un
siège de quatre mois
En
1847, après la reddition d’Abd El Kader, les
militaires français croient que c’en est fini des combats en Algérie après plus
de dix ans d’une guerre de conquête d’une sauvagerie inouïe. Mais, alors que le
danger était surtout à l’ouest, il réapparaît à l’est début 1849, dans le
Sud-Constantinois, près de Biskra, où le cheikh Bouziane reprend le flambeau de
la résistance. Après des affrontements, il se retranche dans l’«oasis» de Zaâtcha, une véritable cité fortifiée où, outre des
combattants retranchés, vivent des centaines d’habitants, toutes générations
confondues.
«Le
cheikh Bouziane reprend le flambeau de la résistance. Après des affrontements,
il se retranche dans l’«oasis» de Zaâtcha, une
véritable cité fortifiée où, outre des combattants retranchés, vivent des
centaines d’habitants, toutes générations confondues».
Le
17 juillet 1849, les troupes françaises envoyées en hâte entament un siège, qui
durera quatre mois. Après un premier assaut infructueux, l’état-major prend la
mesure de la résistance et envoie une colonne de renfort de plus de 5000
hommes, commandée par le général Émile Herbillon
(1794-1866), commandant de la province de Constantine, suivie d’une autre, des
zouaves dirigés par le colonel François Canrobert (1809-1895).
Deux officiers supérieurs, plusieurs milliers d’hommes contre une localité du
grand sud algérien, deux décennies après la prise d’Alger : la résistance
algérienne était d’une ampleur et d’une efficacité exceptionnelles.
Le
26 novembre, les assiégeants, exaspérés par la longueur du siège, voyant
beaucoup de leurs camarades mourir (des combats et du choléra), informés du
sort que les quelques Français prisonniers avaient subi (tortures,
décapitations, émasculations…), s’élancent à l’assaut de la ville. Chaque
maison devient un fortin, chaque terrasse un lieu d’embuscade contre les
assaillants. Après d’âpres combats, au cours desquels les Français subissent de
lourdes pertes, le drapeau tricolore flotte sur le point culminant de l’oasis.
Deux
ans plus tard, Charles Bourseul, un «ancien officier
de l’armée d’Afrique» ayant participé à l’assaut, publiera son témoignage :
«Les maisons, les terrasses sont partout envahies. Des feux de peloton couchent
sur le sol tous les groupes d’Arabes que l’on rencontre. Tout ce qui reste
debout dans ces groupes tombe immédiatement sous la baïonnette. Ce qui n’est
pas atteint par le feu périt par le fer. Pas un seul des défenseurs de Zaâtcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un seul
n’implore la pitié du vainqueur, tous succombent les armes à la main, en
vendant chèrement leur vie, et leurs bras ne cessent de combattre que lorsque
la mort les a rendus immobiles». Il s’agissait là des combattants.
Destruction méthodique
Or,
l’oasis abritait aussi des femmes, des vieillards, des enfants, des
adolescents. La destruction de la ville fut totale, méthodique. Les maisons
encore debout furent minées, toute la végétation arrachée.
Les
«indigènes» qui n’étaient pas ensevelis furent passés au fil de la baïonnette
Dans
son livre « La Guerre et le gouvernement de l’Algérie », le
journaliste Louis de Baudicour racontera en 1853
avoir vu les zouaves «se précipiter avec fureur sur les malheureuses créatures
qui n’avaient pu fuir», puis s’acharner : «Ici un soldat amputait, en
plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme une grâce d’être
achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un
autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle
contre une muraille ; ailleurs, c’étaient d’autres scènes qu’un être dégradé
peut seul comprendre et qu’une bouche honnête ne peut raconter. Des procédés
aussi barbares n’étaient pas nécessaires, et il est très fâcheux que nos
officiers ne soient pas plus maîtres en expédition de leurs troupes d’élite,
qu’un chasseur ne l’est d’une meute de chiens courants quand elle arrive avant
lui sur sa proie.»
D’après
les estimations les plus basses, il y eut ce jour-là huit cents Algériens
massacrés. Tous les habitants tués ? Non. Le général Herbillon
se crut obligé de fournir cette précision : «Un
aveugle et quelques femmes furent seuls épargnés». Le pire est que la presse
française d’alors reprit ce rapport cynique.
Fusillés
puis décapités
Il
y eut trois autres «épargnés»... provisoirement. Les Français voulurent
capturer vivant -dans le but de faire un exemple- le chef de la résistance, le
cheikh Bouziane. Au terme des combats, il fut fait prisonnier. Son fils, âgé de
15 ans, l’accompagna, ainsi que Si-Moussa, présenté comme un marabout. Que
faire d’eux ? Ces «sauvages» n’eurent pas droit aux honneurs dus aux
combattants.
Le
général Herbillon ordonna qu’ils soient fusillés sur
place, puis décapités. Leurs têtes, au bout de piques, furent emmenées jusqu’à
Biskra et exposées sur la place du marché, afin d’augmenter l’effroi de la
population. Un observateur, le docteur Ferdinand Quesnoy, qui accompagnait la
colonne, dessina cette macabre mise en scène qu’il publia en 1888 dans un
livre, témoignage promis à un certain avenir…
Que
devinrent les têtes détachées des corps des combattants algériens ? Qui a eu
l’idée de les conserver, pratique alors courante ? Où le furent-elles et dans
quelles conditions ? Quand a eu lieu leur sordide transfert en «métropole» ?
Cela reste à établir, même si certaines sources indiquent la date de 1874,
d’autres la décennie 1880. Il semble certaines d’elles aient été d’abord
exposées à la Société d’anthropologie de Paris, puis transférées au Musée de
l’homme. Elles y sont encore aujourd’hui.
Soutenir
les appels de citoyens algériens à rapatrier ces dépouilles dans leur pays,
pour leur donner une sépulture digne comme cela fut fait pour les rebelles
maori ou les résistants kanak Ataï et ses compagnons
(en 2014), ne revient aucunement pour nous à céder à un quelconque tropisme de
«repentance» ou d’une supposée «guerre des mémoires», ce qui n’aurait
strictement aucun sens. Il s’agit seulement de contribuer à sortir de l’oubli
l’une des pages sombres de l’histoire de France, celles dont l’effacement
participe aujourd’hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société
française.
Les signataires: Pascal Blanchard historien ;
Raphaëlle Branche, historienne ; Christiane Chaulet
Achour, universitaire ; Didier Daeninckx, écrivain ;
René Gallissot, historien ; François Gèze, éditeur ; Mohammed Harbi,
historien ; Aïssa Kadri,
sociologue ; Olivier Le Cour Grandmaison,
universitaire ; Gilles Manceron, historien ; Gilbert Meynier, historien ; François Nadiras,
Ligue des droits de l’homme ; Tramor Quemeneur, historien ; Malika Rahal,
historienne ; Alain Ruscio, historien ; Benjamin Stora, historien ; Mohamed Tayeb
Achour, universitaire.
NOTE :
Finalement plusieurs dizaines crânes de résistants algériens ainsi que ceux
de leurs compagnons ont été rapatriés en Algérie le Vendredi 3 juillet 2020
(Voir in Histoire- Chronologie , jeudi 2 juillet 2020)