RELATIONS INTERNATIONALES- BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- ESSAI OLIVIER LE COUR GRANDMAISON – « L’EMPIRE DES
HYGIÉNISTES….. »
L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies. Essai de Olivier Le Cour Grandmaison. Editions Apic , Alger 2015, 300
pages, 700 dinars
Voilà donc un troisième (et dernier ?)
volume de l’auteur sur les aspects peu connuns ou
esquivés de la colonisation française. Cette fois-ci il s’appuie sur un corpus négligé :les ouvrages de
médecine, les manuels universitairs, les débats
politiques tout au long de la période…Un ouvrage , comme les précédents , qui
prend et noue les tripes, car à travers tout ce qu’il présente comme faits et
discours, comme références, sont les
preuves irréfutables et monstrueuses de ce qu’ont subi comme souffrances les
peuples colonisés.
Au départ, la France, deuxième puissance
coloniale au lendemain de la Commune de Paris ! A la conquête succède
l’exploitation des colonies……Les sciences dites « coloniales »
prospèrent, sur fond de racisme (inégalités des races, caractères physiques et
biologiques différents…). Une conception hiérarchisée du genre humain qui se
traduit par la séparation stricte
(ségrégation) entre Européens et « indigènes » en vertu de
considérations higiénistes : pratique courante du travail forcé ,
par des quartiers différents et éloignés les uns des autres, « séparés
complètement » (recommandation , en 1905, de la section médicale du Congrès colonial français) , maintien de l’esclavage domestique malgré
son abolition en 1848, etc….
L’ouvrage embrasse presque toutes les colonies,
ainsi d’ailleurs que d’autres pays colonisateurs (Belgique au Congo, Allemagne
en Namibie , Grande Bretagne en Inde, Afrique du Sud…)
et presque partout la médecine et l’hygiène (tropicales) sont des sciences pratiques au service de
l’ « empire » , au service des « émigrés » et de leurs
familles. L’arme sanitaire est d’emblée concue par
les praticiens comme une arme impériale « qui doit favoriser la
pacification, la domination, puis l’exploitation des populations locales » . Des exploités par millions, des morts au sein de la
« masse d’exécution » par
centaines de milliers dans des travaux presque pharaoniques sous
surveillance (seulement ) des Blancs. Par la suite , l’ « assistance médicale
indigène » vint ….mais tardivement et au compte-gouttes avec , entre
autres, Lyautey qui l’avait placée au cœur de sa stratégie et de ses
pratiques .Il fallait bien entretenir et « conserver » en bon
état, la dite « masse d’exécution »….dont la mort ne suscite aucune
compassion. De « purs moyens et traités en conséquence », des êtres
inférieurs dont l’exploitation est jugée nécessaire à la réalisation de
l’ « œuvre coloniale » ,
« pour une plus grande France »
L’Algérie n’est pas oubliée. Le même
calvaire ! Pis encore, des pratiques similaires à celles mises en œuvre en
colonie sont importées sur le territoire métropolitain (France) afin de
« gérer « les « immigrés » (22 000 en 1946, près de
300 000 en 1945). Des « allochtones » ….à la religion qui, déjà , dérange et est jugée menaçante pour l’ordre et la
sécurité. Un « village arabe » (masures en bois recouvertes de
papier goudronné) est signalé à Genevilliers en 1931 dans une thèse de droit. La
tuberculose fait des ravages. Du personnel français arrivé d’Algérie encadre et
surveille cette main-d’œuvre.. En 1954, les
Nord-Africains sont rangés au neuvième rang de sympathie parmi dix nationalités . Ils sont en France ,
mais pas de France
L’Auteur : Né à
Paris en septembre 1960. Universitaire (français), politologue, spécialiste des
questions de citoyenneté et des questions ayant trait à l’histoire coloniale.
Il a critiqué la loi de 2005 sur la
colonisation et il a été également un militant engagé pour la régularisation
des immigrés clandestins. Auteur de deux essais
à succès : en 2005, « Coloniser, exterminer : sur la
guerre et l’Etat colonial », et en 2009, « La République impériale.
Politique et Racisme d’Etat », les deux édités en arabe en Algérie.
Certains historiens français (dont Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Nacquet),
lui ont reproché d’assimiler le système colonial au 3è Reich.
Avis : Une œuvre
incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire de la colonisation et à la
naissance de l’impérialisme. Ainsi que pour tous ceux qui s’intéressent à la
médecine et à l’hygiène
Citations : «
En Europe et en France, l’hygiène publique a été la fille de la révolution
industrielle, de l’exode rural et de l’urbanisation ; dans les contrées
exotiques, elle est née de la « ruée vers l’Afrique » ,des impératifs
de la colonisation et d’une médecine tropicale impuissante » ( p 71),
« L’objectif des Européens, en Afrique et ailleurs, demeure
l’exploitation, et que la mort des travailleurs noirs en est un effet. Ce sont
les nazis qui ont radicalement modifié les termes de cette équation en
commençant à exploiter dans le but officiel d’exterminer , au moyen du travail,
notamment, les déportés juifs et, parfois, les résistants » (p 324),
« Dans les territoires ultra-marins, la « force de caractère »,
tenue pour une qualité indispensable à l’accomplissement civilisatrice , n’est que
le masque avantageux d’une inhumanité radicale commune à la plupart des
Blancs » (p 328), « L’exploration presque achevée de l’Afrique cède
la place à l’impérialisme, conçu comme une entreprise économique et politique
de puissance reposant sur une expansion territoriale maximale » (p 336),
« L’exploitation coloniale : le vrai visage du capiltalisme ?
Non, l’un des plus terribles » (p 340).