COMMUNICATION – BIBLIOTHEQUE
D’ALMANACH- OUVRAGE MONIKA BORGMANN- « SAID MEKBEL……. »
Said Mekbel : une mort à la
lettre. Entretiens. Ouvrage de trois grandes interviews de Monika Borgmann (Préfaces de Belkacem Boukherouf et de Youcef Zirem). Editions Frantz Fanon ,
Tizi Ouzou 2015 (Dar al-Jadeed, Beyrouth, 2010 et Téraèdre,
Paris 2008) , 111 pages, 500 dinars
Trois grands entretiens à Alger, en pleine
tourmente, les 4, 12 et 16 décembre 1993. Soixante dix questions au
total :En vrac, sur la mort de Tahar Djaout,sur
la peur d’être assassiné ou enlevé ou torturé, sur l’idée de l’exil, sur
l’écriture (encouragé au départ par Henri Alleg et
Kateb Yacine , en 62 , puis par la suite par T. Djaout
pour aller encore plus loin dans l’art d’écrire),sur la série d’assassinats
d’intellectuels et de journalistes, sur les lettres de menaces, sur la vie
quotidienne et les dangers encourus, sur la presse, les journalistes et la
profession, sur le Fis, sur l’armée, sur les généraux, sur Toufik et la « sécurité
militaire »,sur les victimes des terroristes , sur les mafias, sur le Ffs, sur le pouvoir, sur la torture…
Toute une vie en trois entretiens. Une vie
d’engagements (toujours dans le journalisme critique) et de résistance, de talent, de réflexions
mais aussi d’inquiétudes (pour les autres, pour
soi, pour la famille, pour les amis et confrères, pour le pays…).
Tout ça dans la lucidité la plus totale
souvent, la plus incompréhensible parfois (surtout pour la journaliste qui
l’interviewait et cela se perçoit aisémment dans les
questions, mais aussi pour les lecteurs
d’aujourd’hui). Avec ,bien sûr, quelques jugements un
peu trop tranchants et que l’on comprend parfaitement si l’on se rappelle le
contexte infernal de l’époque au sein duquel notre homme vivait totalement
immergé sans se cacher. Mekbel vivait entièrement
dans sa société et pour ses lecteurs
….jusqu’à son oubli des dangers
(ou leur prise en compte). N’est pas intellectuel (et journaliste) qui
veut !
Trois grands entretiens. Soixante dix
questions. Soixante dix réponses, courtes ou longues qui, mieux qu’un essai
politique, décrivent avec justesse les débuts d’une décennie noire qui allait
devenir très rapidement rouge.Une situation difficle à imaginer aujourd’hui par ceux qui ne l’ont pas
connue et situation qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Secrets que
beaucoup (décideurs encore en vie ou terroristes repentis ou cachés) veulent
enterrer (sic !) à tout jamais.
Les
Auteurs : Said Mekbel est né le
30 mars 1940 à Bejaia…..et il est mort , assassiné le 3 décembre 1994 par les
terroristes (ou par une mafia politique, on ne sait au juste ?) , alors qu’il terminait de déjeuner juste
à côté du journal dont il était le directeur, le quotidien Le Matin.Physicien de formation(Ingénieur docteur), c’est un des journalistes algériens les plus connus
et les plus talentueux et ce ,déjà depuis 62, avec , entre autres, ses fameux
billets corrosifs signés El Gatt (le plus fameux est titré « Ce voleur
qui… » publié le jour même de sa mort et qui fait le portrait du
journaliste algérien dans la tourmente) ….toujours dans des journaux de gauche
(Alger Républicain surtout , chaque fois qu’il
n’était pas interdit par les pouvoirs en place)
. Née en
Allemagne en 1966, Monika Borgmann , après des études en philologie arbe
et en sciences politiques, a vécu au
Moyen-Orient plusieurs décennies et a
obtenu la nationalité libanaise.
D’abord journaliste, avec son mari Lokman Slim,elle a réalisé Massaker, le témoignage de six anciens
miliciens impliqués dans les massacres de Sabra et Chatila,
film qui a gagné de nombreux prix internationaux. Le couple a aussi coproduit
de nombreux documentaires et offre également des services en post-production pour aider les jeunes cinéastes arabes.
Avis : Pour ne
jamais oublier , pour les anciens…. qui veulent lire .
Et, pour mieux comprendre , pour les jeunes…. qui
savent lire.Des denrées rares !
Citations : « Le
grand problème est de se dire que le terroriste veut terroriser. Si tu lui
montres que tu ne cèdes pas à la terreur, c’est déjà une victoire. C’est une
victoire sur lui et c’est une victoire sur toi. Parce que sur toi,ça te permet de réfléchir
encore plus» ( Said Mekbel,
p 47), « La Méditerranée, c’est toute ma civilisation. Tout en restant
vers l’Afrique. Mais je ne me sens pas du tout arabe » (Said Mekbel, p 57), « Le
grand malheur de l’Algérie, c’est la corruption.Il
n’y a pas que la corruption financière, il y a aussi la corruption morale.
Certains intellectuels sont corrompus. Et , je crois
que c’est cette corruption , qui atteint la famille, qui s’est répandue
partout . C’est le grand mal» (Said Mekbel, p 69), « La mafia. On va revenir vers le
petit village natal de la mafia.Les clans. Et c’est
comme ça que va être géré le pays.On ne va pas
résoudre les problèmes de ruptures, changer de régime, etc…Non,
on va s’arranger pour manger le gâteau en commun et pour que chacun ait sont
petit morceau. C’est comme cela que ça va se passer » (Said
Mekbel, p 87), « Les troupes du Fis, ce sont les
troupes de l’école fondamentale. La justice maintenant, ce qu’elle est devenue,
ce sont les juges de l’école fondamentale.Les
militaires, bientôt ,vont être les militaires de
l’école fondamentale. Alors, dès que les militaires seront ainsi, il n’y aura
plus rien » (p 89).