HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
MEMOIRES MOHAMED SAID MAZOUZI- « J’AI VECU LE PIRE ET LE MEILLEUR »
J’ai
vécu le pire et le meilleur. Mémoires de Mohamed Said
Mazouzi ,
recueillis par Lahcène Moussaoui.
Casbah Editions, Alger, 2015, 431
pages, 1 250 dinars
C’est le grand livre d’une grande vie d’un
grand bonhomme . Un personnage fabuleux qui relate
simplement, tout un immense pan de l’histoire de l’Algérie. Avec des mots simples, avec des descriptions
franches et claires .
Les « mémoires », recueillies par Lahcène Moussaoui - un de nos plus brillants diplomates, encore
bien prometteur, mais mis à l’écart très
tôt , comme beaucoup d’autres - sont restituées avec fidélité .
Cela part du récit d’une enfance presque
heureuse en tout cas « chanceuse » se déroulant entre Thasserdart, Dellys, Alger et Tizi- Ouzou……enfance débouchant sur un engagement précoce au sein
du Ppa (sans être structuré) et pour les Aml- engagement forgé par un terrain objectivement
assez dur (l’arbitraire, l’injustice, le racisme et la ségrégation
coloniale !) - et grâce à
l’exemple d’ aînés et d’amis exemplaires (dont Laimèche Ali, « un être extraordinaire ,
exceptionnel », décédé en 46, très jeune , à 21 ans à peine ; les
frères Arbouz et Chader,
Omar Oussedik, Omar Boudaoud, Hallit
Ali,Si Ouali Benai et d’autres et d’autres….) et à des éducateurs (au
sein de la famille et à l’école) de
qualité.
Il y a , ensuite (
arrêté presque par hasard, sinon par erreur , car il avait participé à
l’hébergement du groupe ayant organisé l’attentat (raté en partie ) contre un
Bachagha collaborateur) ,
« l’Ecole des prisons » .
D’abord la torture , ensuite un itinéraire interminable dans des prisons (en Algérie, en France, et encore
en Algérie) à n’en plus finir….…..comme si , dans la foulée, on voulait aussi
punir toute la famille, leurs engagements et leurs refus . Le voilà donc face à d’autres épreuves, une autre
expérience politique, peut-être plus productive et plus enrichissante que le combat extérieur lui-même . Et,surtout, des
rencontres émouvantes, étonnantes mais
toutes enrichissantes…de militants de tous âges, de toutes confessions ,
de toutes idéologies et de toutes les régions du pays (dont Hamma
Boutlelis, Abane Ramdane, Rabah Bitat, Ali Zamoum, H.Zahouane, Dr Masboeuf, T. Boulahrouf , la fidaï Yasmina Belkacem, amputée des deux jambes et âgée à peine de 15-16
ans, Briki Yahia….et,
Abassi Madani) : « La prison, par delà ses épreuves et ses misères, aura
été (…) une irremplaçable
école » .
Il restera emprisonné dans les geôles
coloniales durant 17 années , jusqu’à l’Indépendance.
Le dernier à en sortir ! Le reste (la retraite y compris) est une toute
autre histoire, encore plus passionnante. Au service exclusif du pays (dont 9
années au ministère du Travail et des Affaires sociales, entouré par une « équipe d’enfer »
et avec pour fait de gloire, encore inscrit dans les mémoires ,« l’Action
culturelle », une activité coachée par A. Zamoum,
et menée en milieu des travailleurs et
ce, grâce à Kateb et Issiakhem, « des génies,
un duo infernal »….et un passage éclair aux Moudjahidine (de loin celui
dont il « gardera le moins de bons souvenirs » ) …et au sein du Parti
du Fln jusqu’en 84……avec des moments de
fierté et de satisfactions ainsi que
bien de déceptions. Face à un système
« qui a pris fin et qu’il fallait changer .
Totalement ». Le système a survécu…. « et
la pauvre Algérie est, chaque jour, plus éloignée des lendemains qui
chantent ». Mais, toujours l’espoir ! Ce qui en fait l’homme
politique, nullement politicien, le
plus « sage » de notre univers politique contemporain.
Notre Mandela ! Longue vie, Si Mazouzi.
L’Auteur :. Il est né en
1924 à Alger , au cœur de la Casbah (chez ses grands
parents). Fils de caïd et petit-fils de caïd et petit-fils d’un mufti malékite
de la Mosquée d’Alger, il a grandi en Kabylie, à Thassedart
(Makouda). Enfance dans une famille relativement
aisée, des études à l’école coranique et à l’école publique….Dellys…Lycée Bugeaud d’Alger (futur Abdelkader) , Lycée de BenAknoun (futur El Mokrani). Un matheux obligé à faire la section classique
avec du latin . Mais aussi, déjà, un bagarreur et un
révolté. Septembre 39, l’envol
académique est brisé par la « préparatifs » de la
guerre et retour au bercail dans une famille dont il était séparé depuis 7 annnées.Des mois terribles . Dès
l’âge de douze ans, il sait déjà manier le fusil. Suite à un attentat perpétré
contre un bachagha, il est arrêté le 15 septembre 1945….
Avis : Il était temps.On en avait tellement besoin de ces exemples
d’engagement sans faille
, de convictions inébranlables, d’humilité , de bonté et de
calme à toute épreuve , de hauteur de
vues, de modernisme et de progressisme. Au passage, bravo à Lahcène
Moussaoui, qui sollicité par notre héros, a su
recueillir, avec fidélité, l’aventure fabuleuse de Si Moh
Saa et la « retranscrire » avec clarté.Un témoignage qui permet même sinon de
rétablir certaines « vérités », du moins de « remettre
bien de pendules à l’heure » . Admirateur de Ferhat Abbas… et de
Boudiaf…, peut-être un peu dur pour Ben
Bella (« Désintéressé…. mais il n’avait que la maladie du
pouvoir ») , un peu trop compréhensif
de l’ère Boumediène (« un leader, un grand chef
» ) , vraiment trop sévère
pour celle de Chadli (« Il n’était
pas fait pour diriger un pays.. ») soutenant Zeroual (« il a fait ce
qu’il a pu »)….et tétanisé par un présent « de déchéance
imméritée » ? Pages les plus prenantes , les
plus émouvantes , de la 99ème
à la 204ème , celles décrivant les premières journées de
liberté dans une Algérie enfin indépendante. On (je pense tout particulièrement
à ceux qui ont vécu ces moments) en a les larmes aux yeux.
Extraits : « Je
n’ai pas fait l’Histoire, je suis, au plus, un témoin de l’Histoire « (p
14), « L’algérianité, le patriotisme sont une
quête permanente , une disponibilité et un don de soi qui ne doivent jamais s’arrêter.L’algérianité au sens complet du terme ne peut être
un fait dû à une paternité ou un lieu de naissance, ni un acquis simple et
définitif » (p 25), « Il y a des êtres humains, des personnes qui
même dans les pires situations, gardent toute leur humanité et sont capables
d’actes qui nous rappellent qu’il faut toujours se garder des généralisations
abusives » (p 75),
« Tout s’explique et tout est à la portée de l’homme. Toute est
possible, pourvu que l’on soit libre de le faire et apte à le
faire » ( p79) , « Comment veut-on que
l’Algérien aime l’Algérie s’il ne connaît pas l’Algérie, la vraie ? Quand
on ne connaît pas quelque chose, on ne peut pas l’aimer » (p 132), «
Un pays, un régime politique a besoin de s’actualiser, se renouveler, se regénérer. Faute de quoi, il se condamne à la régresion, à l’abîme » (p 366).