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Mahdjoub Benbella

Date de création: 12-06-2020 18:07
Dernière mise à jour: 12-06-2020 18:07
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CULTURE- ARTS PLASTIQUES- MAHDJOUB BENBELLA

Dans un bref communiqué le musée de la Piscine a annoncé la mort ,  jeudi 11 juin 2020, tôt dans la matinée, à Lille, de Mahjoub Ben Bella

, « au terme d’un long et courageux combat contre la maladie ».

Né en 1946 en Algérie. Il vient en 1965 à Tourcoing. Il y vivra et y installera son atelier. Ses œuvres sont visibles dans les plus grandes collections publiques et privées  : au British Museum, à l’Institut du Monde Arabe et bien sûr au musée de la Piscine ou encore au MUba de Tourcoing.

Parmi ses œuvres les plus connues, le musée de la Piscine rappelle son lumineux ruban des pavés du Paris-Roubaix en 1986 et son hommage à Nelson Mandela, à Wembley en juin 1988.

Les Tourquennois se souviendront de lui pour avoir peint, en 2000, 1800 carreaux de céramique de la station de métro Colbert à Tourcoing.

Il a également habillé 400 m ² de façades à Lille près du Nouveau-Siècle. « Peut-être que je suis un des premiers taggers », s’interrogeait-il en 2015.

En 2013, il expliquait à La Voix du Nord dans une interview  : « La peinture est le seul élément qui me permet de m’exprimer. Si on me demande de faire de la photo et des arts conceptuels, je n’en ai pas envie. Je reste au stade de la couleur, au rythme de la peinture. Depuis toujours, depuis les Beaux-arts à Oran, ce sont les mêmes rails. Mon travail, ce n’est pas de la décoration. Je ne suis pas coloriste; je ne suis pas un peintre en noir et blanc… Je sais dominer la couleur. »

Mahjoub Ben Bella  a été inhumé à Tourcoing, dans la plus stricte intimitéAlors que le musée La Piscine, à Roubaix, consacre, à partir de ce soir, une exposition à ses aquarelles,

   

Extraits d’un entretien à « La Voix du Nord » (quotidien régional) le 23/10/2015

Voilà cinquante ans que vous êtes arrivé en France. Quel regard portez-vous sur ce demi-siècle ?

« Le temps est très cher, trop cher, il passe vite. On ne se rend pas compte, cinquante années déjà ! Heureusement, la passion nous emmène, nous aide à traverser toutes ces années. Beaucoup de gens s’ennuient, voient le temps passer lentement. Nous, artistes, avons cette passion pour la création qui nous transporte. Nuit et jour, on ne pense qu’à ça. On ne s’arrête jamais de travailler. Il nous faudrait des journées de 48h. »

Qu’est-ce qui a motivé votre départ d’Algérie en 1965 ?

« Je suis tout simplement venu en France pour poursuivre mes études. J’avais senti que l’enseignement à l’école des Beaux-Arts d’Oran, devenue nationale d’ailleurs, avait un peu perdu de sa qualité. Pour moi, le choix était le suivant : soit je reste ici et je continue ce train-train d’étude, soit je pars à l’aventure pour apprendre, pour me perfectionner dans ce métier-là, pour aller le plus loin possible.

L’inquiétude de mes parents a commencé à ce moment-là. Évidemment, la maman ne voulait pas que son fils parte, à tout juste 19 ans, sans bourse, sans garantie, dans un pays étranger. Étranger, parce que la France je ne la connaissais pas. Mon père l’a bien connue, en tant que marin dans l’armée française pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lui non plus ne souhaitait pas que je parte. On a négocié, puis il m’a fait confiance. La famille était extrêmement pauvre mais, voilà, il fallait essayer. Et aller jusqu’à Tourcoing… »

Justement, pourquoi Tourcoing ?

« Parce que le directeur de l’école d’Oran, qui s’appelle Claude Vicente, décidait de rentrer en France, et plus précisément à Tourcoing, où il vit toujours. J’aurais pu aller à l’école d’Alger qui était de qualité mais j’avais envie de vivre une aventure. Je pensais à l’histoire, Manet, Van Gogh, Monet, Renoir, Cézanne, Picasso, etc. J’ai été attiré comme un aimant.

L’arrivée a été catastrophique. Il fallait se nourrir, payer le loyer et poursuivre les études. La réalité m’a rattrapé. J’ai dû manger des frites nuit et jour pendant trois ou quatre ans. Les copains m’aidaient. Chacun mettait un centime. Ça coûtait vingt centimes, les frites, à l’époque. Je n’oublie pas cette solidarité. Aux Beaux-Arts, chacun me donnait des couleurs. Je me débrouillais avec une palette en carton. Y avait Jean-Jacques, y avait François, y avait Claude… Il fallait travailler comme ça, s’accrocher et se débrouiller. »

À l’époque, quels sont vos rêves ?

« Mon but à l’époque était tout simplement de m’en sortir, de ne pas décevoir mes parents, donc d’obtenir ce diplôme national des Beaux-Arts, que j’ai eu avec les félicitations du jury. C’était ma fierté auprès des miens. Jamais je n’ai pensé à devenir quelqu’un. C’est sûr, j’étais déterminé. J’avais cette passion chevillée au corps. Mais il fallait gérer les problèmes matériels. D’ailleurs, j’ai failli ne pas passer mon diplôme parce que je n’avais plus de ressources, plus un centime pour payer mon loyer.

J’ai toujours été honnête, je n’ai jamais voulu avoir de dettes. Alors Claude Vicente m’a dit : « Il faut venir à la maison, chez nous, pour être au chaud et préparer votre diplôme.» C’est un geste qui m’a beaucoup touché. J’étais avec eux à table midi et soir. J’étais comme chez moi, avec Gilles et Serge, ses fils. J’étais considéré comme leur enfant. Mireille Vicente, qui est décédée maintenant, était une dame extraordinaire.

Rétrospectivement, je réalise. J’ai été un peu inconscient quand même d’arriver en France après cette guerre fratricide épouvantable. La France et les Français pouvaient m’être hostiles, «anti-moi». On aurait pu me rejeter à la mer. Eh bien pas du tout ! Des gens m’ont reçu d’une manière incroyable, avec beaucoup de discrétion et de bonté. Ces bras se sont refermés sur moi comme des tenailles. Pourtant, je m’appelais comme je m’appelle, j’étais d’origine algérienne, on sortait d’une triste guerre, il y avait tout ça à prendre en compte. Mais à l’époque, je ne voyais que mes études. »

C’était une forme d’insouciance, de naïveté à l’égard du contexte ?

« Oui. Mais surtout j’étais jeune. Seuls mes études et mes diplômes m’intéressaient. Mes diplômes, c’était uniquement pour mes parents, d’ailleurs je ne sais même pas où ils sont.

Puis, les choses ont bougé. Au moment de partir à Paris pour les Arts déco, j’ai rencontré Brigitte. Aux Beaux-Arts, par hasard. Pratiquement la veille du départ. J’étais déjà inscrit, tout était ficelé, je devais avoir une bourse de coopérant. J’étais un peu plus, disons, à l’aise. Brigitte est venue avec moi. Elle voulait travailler à Paris. Nous sommes partis dans une deux-chevaux, que je rachèterais à n’importe quel prix si je la retrouve un jour.

Et là, notre aventure parisienne démarre. J’étais bon à l’école, j’ai eu les diplômes. Mais au-delà des diplômes, j’ai aimé l’ouverture d’esprit qui régnait dans les années 70. Les patrons d’atelier avaient la possibilité d’inviter leurs poulains, les meilleurs de l’école et de les emmener dans les grands salons. Le Salon de Mai, le Salon des Réalités nouvelles… Mes tableaux, je les ai vus pour la première fois exposés dans ces salles, voisinant les tableaux de peintres de génie. »

Le travail de création est solitaire et, à l’arrivée, très exposé. Comment vivez-vous ce passage ?

« Quand un compositeur écrit sa musique, il est fatalement seul. Mais pour jouer sa partition, il faut un orchestre, une communauté, un ensemble pour offrir tous les sons créés par le musicien. Nous sommes également solitaires quand on est en atelier. C’est le même phénomène. Mais on fait une œuvre finie. Une peinture, achevée, est prête à être accrochée, admirée, ou pas d’ailleurs.

Quand je travaille, je suis seul face à un support que je cherche à maîtriser. Je veux gagner la partie face à la toile blanche, qui est redoutable, elle peut vous avoir très vite. Il faut la dominer. Il faut dominer le support quel qu’il soit, que ce soit du bois, du tissu, du papier, ou le zinc si on grave, pour arriver à un résultat satisfaisant. Satisfaisant d’une manière égoïste, personnelle. Forcément, on ne va pas demander l’avis de quelqu’un.

Si on a une personnalité, si on a quelque chose à dire, on doit le dire tout seul avec toutes les responsabilités que ça entraîne. Et ça ne regarde strictement personne !

Une fois satisfait, la toile est retournée symboliquement contre le mur. Elle peut sortir de l’atelier, être exposée à la critique. Cette toile ne m’appartient plus. Elle peut être donnée aux regards. On doit avoir cette démarche de partage. On doit apporter quelque chose à celui qui attend, à celui qui a soif. C’est très important le passage entre le travail solitaire et la liberté extraordinaire qui nous est donnée puisque la toile est offerte à tous les regards, sans distinction. »

Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier ?

« Par ses dimensions spectaculaires, c’est évidemment le Paris-Roubaix, qui a coûté quelques kilomètres de travail acharné, physique. C’était spectaculaire. Avec le recul, je me dis quand même qu’il fallait y aller… Je ne le ferais plus ! Jean-Marie Leblanc voulait qu’on remette ça, j’ai dit sûrement pas ! Ça ne se fait qu’une fois. C’était une véritable performance, une première.

Auparavant, jamais on n’avait peint sur une route. Depuis, des Brésiliens l’ont fait. Des Marseillais ont aussi peint une piste cyclable. Nous, nous l’avons fait en 1986. Je souhaitais un support typique du Nord, des pavés. Je n’avais pas spécialement pensé au cyclisme au début. Mon idée, c’était de peindre le boulevard entre Lille et Tourcoing. Mais il aurait fallu arrêter la circulation. Il fallait un support au calme pour la réalisation et observé au moins une fois dans l’année. Et c’est comme ça qu’est venue l’idée du Paris-Roubaix. Fatalement, on le voyait, par hélicoptère notamment. »

Ça, c’était pour le côté spectaculaire… Mais encore ?

« Peindre des murs… À l’époque, on parlait de la tour d’ivoire, l’artiste vivant tout seul… Mais, ce n’est pas ça du tout. Le hasard a voulu que je reçoive une commande de la Ville de Lille pour peindre un mur aveugle, c’était un peu la mode à l’époque. Peut-être que je suis un des premiers taggers.

D’ailleurs, des jeunes sont venus me voir, ils voulaient que je les parraine. Ils disaient que j’étais leur père de tag. J’ai dit oui. Ils ont intégré le mur de Lille dans leur catalogue. Je trouve ça formidable d’être ainsi considéré par les jeunes. C’est un très beau cadeau que j’ai reçu. »

Que représente pour vous l’exposition d’Alger en 2012 ?

« J’ai eu beaucoup de difficultés avec mon pays d’origine à un moment donné. Avec Brigitte, on n’a jamais été aidés, d’ailleurs par personne. C’est ça qui est remarquable. Nous n’avons jamais reçu de subventions, jamais d’aides directes… On s’est débrouillés tout seul, par le travail.

Avec l’Algérie, j’aurais aimé, je pense, avoir un regard. Mais, j’ai été un peu oublié. Aussi quand la nouvelle de l’exposition au Musée d’Art moderne d’Alger est arrivée, qu’on m’a demandé si j’acceptais de la faire, j’ai pris ça comme une reconnaissance. Ils ont fait un travail formidable là-bas. Une exposition sur 3000m2. J’ai eu tous les honneurs, il y a eu plusieurs ministres au vernissage, beaucoup de monde très intéressé.

Je ne m’en rendais pas compte mais mon travail était connu en Algérie. Cette exposition a été un succès. À cette occasion, ils ont battu le record d’entrées au musée. ça fait plaisir. Le passé n’a pas été gommé mais on a tourné une page. »

Ça a tout de même été un grand moment d’émotion…

« À l’époque, j’avais dû retourner en Algérie car ma petite maman était très malade. Elle est décédée il n’y a pas si longtemps d’ailleurs. Quand l’exposition d’Alger est arrivée, j’étais un peu délesté émotionnellement. En revanche, Brigitte ne connaissait pas du tout l’Algérie. Elle s’est effondrée, elle était en pleurs d’émotion.

Le véritable choc, je l’ai vécu à mon retour dans ma ville natale, Maghnia. Je n’y étais pas retourné depuis 49 ans. J’ai reçu un coup de massue et éprouvé un très grand bonheur. J’y ai retrouvé les odeurs de l’enfance, une odeur unique, en compagnie de mon frère Abdelkrim. »

L’enfant a bien grandi. Quel bilan faites-vous quand vous vous retournez sur ces cinquante dernières années ?

« Je ne retiens que de belles choses. J’ai une chance inouïe de pouvoir exprimer artistiquement et librement ce que je pense. La France m’a permis ça, c’est extraordinaire. Quand je me retourne, je revois mon parcours. C’est insensé mais je dois y croire. Sans tomber dans le mystique, c’était peut-être ma destinée ?

Mais, les plus beaux moments, ce sont les naissances de mes enfants. Je suis un père poule, j’ai un amour sans faille pour ma famille. On aura fait le maximum avec Brigitte, qui a toujours été là, elle a toujours cru en mon travail.

Et en même temps, je paierais n’importe quoi pour retourner à la case départ. »