VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- DOSSIER ABED
CHAREF- « OCTOBRE »
Octobre. Dossier de Abed Charef. Editions Laphomic, Alger
1989.270 pages, 87 dinars
C’est vrai, le mouvement du 22 février 2019 (« Hirak ») fait
oublier bien des événements passés tout aussi importants. Pourquoi ? Ils
ont eu bien moins de moyens d’expression publique ,
donc moins de retentissement durable. Et pourtant ! On a eu les émeutes de
Constantine (et d’autres villes ) en novembre
86. On a eu , aussi, le « Printemps
Berbère » qui a réussi à bouleverser le paysage éducatif et culturel du
pays , en ce sens qu’il a imposé à des politiciens aveuglés par un
nationalisme plus que sourcilleux, la réalité de la pluralité culturelle..et, surtout, de faire découvrir les racines profondes du
peuple algérien. D’autres révoltes et d’autres émeutes ont suivi.
Mais, les « vases ayant débordé », on a eu Octobre 88
qui, à mon avis, a été le tournant politique le plus important de l’histoire
contemporaine du pays. Une véritable Révolution en ce sens qu’elle fut d’une
spontanéité (bien sûr exploitée au passage par les uns et les autres) et d’une
violence inouïes (des centaines de morts :169 ? 176 ?400 ?
1000 ? , pour la plupart des jeunes et des dégâts matériels immenses)
….mais, surtout, elle a réussi à détruire un système politique…mono-partisan
(celui du Fln…se prétendant et se voulant héritier du
Fln-historique.), ayant dominé sans partage la scène depuis près de trois
décennies.
Une Révolution qui, par la suite, comme toutes les révolutions d’ailleurs,
a connu des hauts et des bas, des bas plus que des hauts, a traversé une
décennie, rouge de sang et de terreur , suivie
de deux décennies de dictature « rose » .
Octobre reste non pas l’événement –clé, mais bel et bien l’évènement phare
…à revisiter pour bien comprendre les réalités socio- politiques du pays et
surtout tout ce qui suivre.
Revisiter comment ? en lisant et en relisant
l’ouvrage commis « à chaud » par le journaliste Abed Charef…
Tout a commencé avec une « folle rumeur » : « Grève
générale mercredi ». D’où est-elle sortie ? Qui l’a choisie ?
Qui l’a lancée ? Qui l’a véhiculée ? Qui a réussi à la rendre aussi
convaincante ? Quels réseaux a –t- elle empruntée pour se répandre
de manière aussi rapide, aussi générale dans la semaine qui a précédé le 5
octobre ? Comment, sans tract, sans mot d’ordre, sans banderoles (ndlr :
et alors que les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Tout juste pouvait-on
capter les radios et quelques chaînes de télé étrangères), des milliers de
personnes peuvent-elles sortir le même jour dans la rue pour manifester et
saccager tout ce qu’elles trouvent devant elles ? Comment un mouvement
aussi violent, aussi radical, a –t-il pu se développer alors qu’aucun mouvement
politique, y compris ceux de l’opposition les plus radicaux ,
ne peut s’en attribuer la paternité ?
Des questions et encore des questions que l’on se pose aujourd’hui
encore. La plupart restées sans réponse, laissant place à mille et une
hypothèses, de la plus raisonnée à la plus fantaisiste, de la manipulation
interne à la « main étrangère » en passant par le soulèvement
spontané….
Abed Charef, en bon journaliste, tente de déblayer le terrain ne
serait-ce que pour voir plus clair dans un paysage politique en apparence
uniforme mais , en réalité, assez complexe tant les multiples groupes ,
se trouvant au sein du même système politique de l’époque, la crise économique
et sociale aidant, se livraient à une bataille pour le
pouvoir……oubliant, bien souvent, le peuple qu’ils gouvernaient. Un oubli
fatal !
Cependant , pour lui, même si « des
détails restent dans l’ombre », il en arrive à une explication
générale cohérente : les événements du 5 octobre sont le résultat
d’un conflit au sommet, dans lequel les opposants au Président Chadli
exploitant une situation sociale aigue, ont tenté de s’appuyer sur la rue…..une
rue qui , avec ses débordements, a tenté , à son tour, de tirer profit des
événements….
L’Auteur : Journaliste ayant travaillé au sein des rédactions de plusieurs
titres, écrivain
Sommaire :Les fondements de la
crise/ Les émeutes/ Tortures et droits de l’homme/Les conséquences politiques/
En guise de conclusion
Extraits : « Un simple regard sur
l’histoire d’Algérie, depuis 1954, montre que le pouvoir a toujours fonctionné
par les crises, selon une constante soulignée par la plupart des
chercheurs » (p 9), « Le verrouillage politique et économique
s’accompagne d’un verrouillage policier et culturel, avec pour résultat une
espèce de vide culturel et d’idées, provoqué par la généralisation des tabous
et des interdits, ainsi que par les tracasseries dont sont victimes ceux qui
les outrepassent » (p 17), « Pourquoi la rumeur est devenue aussi
efficace en Algérie : la plupart des spécialistes soulignent qu’elle est
due à l’absence de crédibilité du système de l’information algérien » (p
69), « Les événements d’octobre ont révélé une « dérive » qui a
atteint un degré que peu de gens pouvaient imaginer. C’est le prolongement
logique d’une situation qui existait depuis plusieurs années » (p 129)
Avis :Un ouvrage écrit en
décembre 1988….un livre écrit « à chaud » , avec toutes les
conséquences que cela implique, avertissait l’auteur , avec
des événements peut-être trop amplifiés, d’autres méritant plus de place,
alors que certaines analyses étaient à revoir. Faute reconnue est à moitié pardonnée…..N’empêche !
un ouvrage à lire et/ou à relire (si vous le trouvez) pour comprendre les sens
et les tragédies vraiment compliquées de notre Histoire contemporaine.
Citations : « Une cause est perdue dès lors qu’elle se défend par la
torture » (p 157), « En six jours, l’irruption de la
« rue » sur la scène politique algérienne a brutalement transformé le
paysage politique , faisant fleurir cette
formule : « plus rien ne sera comme avant ».Désormais, il y a
l’avant et l’après 5 octobre » (p 163)