RELATIONS INTERNATIONALES- ROMAN
SUZANNE EL KENZ – « AUX PIEDS DE MA MÈRE »
Aux pieds de ma mère. Roman de Suzanne El Kenz.
Editions Frantz Fanon, Tizi-Ouzou, 2016 (Editions de l’Aube, France, 2013) , 204 pages,
157 dinars.
Une autobiographie romancée ?La continuation du premier ouvrage de l’auteure, « La
maison du Neguev » ? Très certainement. Car
il y a un fil conducteur lié à l’exil, lié au pays perdu (pour toujours ?)
et retrouvé occupé...la Palestine mère. Lié à un peuple que l’on ne reconnaît
presque plus, car éparpillé, chacun vivant un quotidien à sa manière, absorbé
par le pays d’accueil. Ne restent plus bien visibles que des boutiques
« palestiniennes » vendant des produits de l’économie de marché
« made in China » .....et le « keffieh » ce fameux foulard , alors signe de ralliement universellement connu
(représentant l’être debout brandisant sa
révolte) dont, maintenant, on se recouvre le visage pour mieux
s’endormir....et/ou pour ne plus voir la « réalité ».Le grand drame,
c’est qu’il a plusieurs exils cumulés tuant l’humain « à petit feu »
.
D’abord, l’exil de la terre-mère. L’auteure nous le raconte à travers sa rencontre , lors d’une visite au cimetière algérois où est
enterré sa maman, d’un escargot sur la tombe....L’exilé palestinien est comme
cet escargot allant d’un endroit à un autre en se traînant, avec pour seul abri
sa fragile coquille et pouvant être écrasé par n’importe quel passant.Elle nous le raconte aussi à travers un voyage
« touristique » effectué dans son pays natal, en compagnie de ses
deux enfants.
Il y a aussi l’exil intérieur. Car , le temps étant compté, il y a toujours un moment de sa
vie où l’on s’interroge sur soi, et sur les autres, tous les autres. Des
couches « d’étrangèreté », très lourds à
porter.
N’y a-t-il de solution que dans la
« fuite en avant » .D’exil en exils !
L’Auteure : Née à Ghaza, dix années après la « Naqba ».Vivant
entre Nantes où elle enseigne la langue arabe, d’origine palestinienne ayant grandi et
étudié en Algérie où ses parents y étaient réfugiés, obligée elle-même (ainsi
que son époux, le sociologue Ali El Kenz) de s’exiler
en Tunisie puis en France (durant la décennie rouge) ,
elle a déjà publié « La maison du Neguev »
(Apic, 2019). Un livre superbement écrit, avec le
cœur, avec les tripes, avec les larmes au fond des yeux. Un livre douloureux
mais beau. Le livre avait , d’ailleurs,
obtenu le prix Yambo-Ouologuem
Extraits : « Dieu,
grand Allah, sacré Dieu, aidez-nous à avoir un pays, un Etat, et mettez à sa
tête tous les salauds que vous voulez et qui existent comme partout ailleurs »
(p 26), « Le Mur ! Oui, il est là cette fois-ci, intégralement
achevé. Quelle œuvre !Bravo les Israéliens ,
grands colonisateurs bâtisseurs !Il coupe le souffle, il coupe les âmes,
il coupe les regards, il coupe les vies, il coupe mon pays.....Il fait écran à
toute perpective . Aucune perspective : rien que
du béton , agressif, insolent, méchant, blessant,
violent.. » (p 58), « Mon pays est occupé et nous sommes occupés à
résister et à nous battre - à faire la guerre si tu veux .Mais si seulement on
savait la faire !Cela fait des années qu’on se prend des claques, et même
quand on a voulu faire la paix , ce fut un échec » (p 87) « Pour
nous, la machine s’est arrêtée un jour. Les vieux n’ont jamais compris
pourquoi, les tout jeunes non plus. Et nous sommes
restés avec nos fichues explications marxistes, historiques et autres
élucubrations intellectuelles qui, qu’elles qu’en furent la justesse ou la perspicacité , n’ont point éclairé nos chemins ni nous ont
donné la quiétude » (p 125 )
Avis : Une tristesse qui fend le
cœur tant la déchirure décrite est grande.Le roman décrit aussi une « certaine
vie » algéroise !
Citation :
« Quand elles (les femmes) font des analyses pertinentes, les hommes de
l’entourage les écoutent peu, d’une oreille distraite et vont jusqu’à reprendre ce qu’elles disent
mais à leur propre compte, comme si elles n’avaient rien dit : c’est du
vol pur et simple ! » (p 50),