En 1958, à la
veille de la Coupe du monde, plusieurs joueurs franco-algériens évoluant dans
les plus grands clubs français et sélectionnés dans l'équipe de France, font
défection et rejoignent Tunis où ils forment l'équipe de football du FLN, le
mouvement indépendantiste algérien. Ils vont écrire les plus belles pages de
l'histoire du football algérien. Voici leur histoire.
Le dimanche 12
juillet 1998 l'équipe de France était couronnée championne du monde de
football. La première fois dans l'histoire. Un sacre réalisé par des joueurs
hors du commun.
Toute la
France est sortie célébrer ce jours-là ses héros 'black-blanc-beur' a l'instar
d'un certain Zizou.
Zinedine
Zidane, le meneur de jeu d'origine algérienne, était incontestablement l'homme
du match dans cette finale qui a vu la France écraser le grand Brésil de
Ronaldo par trois buts à zéro.
Le
Franco-Algérien en avait marqué deux.
Il y a 60 ans,
en 1958, la coupe du monde s'était jouée en Suède. Une coriace équipe de France
comptait parmi les favoris du sacre mondial.
Forte de ses
talents Juste fontaine et Raymond Kopa, les Bleus ont brillé en Suède mais ont
dû s'incliner par 5 buts à 2 devant le même Brésil conduit alors par Pelé, Garrincha et Didi.
L'équipe de
France était privée en Suède de ses joueurs algériens, dont le solide arrière
central de Monaco Mustapha Zitouni et l'étoile
montante du football français, à l'époque, Rachid Mekhloufi
le meneur de jeu de Saint- Etienne.
L'entraineur
des Bleus Paul Nicolas avait sélectionné quatre algériens dans son groupe pour
l'aventure suédoise.
En plus de Zitouni et Mekhloufi, l'autre
monégasque Abdelaziz Benteifour et Mohamed Maouche, attaquant de Reims devaient faire part du voyage.
Deux mois
avant le début du tournoi international, du 12 au 14 Avril 1958, les Algériens
des Bleus disparaissent avec une trentaine d'autres joueurs algériens évoluant
tous dans des clubs français de ligue 1.
Ils ont quitté
clandestinement la France pour former en Tunisie l'équipe du Front de
Libération Nationale.
Le FLN avait
déclaré le 1er novembre 1954 la guerre d'indépendance à la France coloniale.
Cette équipe
clandestine interdite par la FIFA a servie jusqu'en 1962 de porte-voix au
gouvernement provisoire algérien.
Le FLN était
présent en France métropolitaine et percevait des joueurs professionnels
algériens une 'taxe révolutionnaire' pour soutenir l'effort de guerre, qui
pouvait s'élever à 15 pour cent du salaire.
Les
responsables de la révolution ont chargé Mohamed Boumezrag,
lui-même footballeur célèbre, de recruter en ligue 1 des joueurs et de les
faire évader en Tunisie pour constituer l'équipe du FLN.
Dans sa quête
de joueurs pour l'équipe algérienne naissante, Boumezrag
se rappelait d'un match gala organisé en faveur des victimes du séisme qui
avait secoué en 1954 la région d'El Asnam (Chlef
actuellement) en Algérie.
C'est à Paris
que l'équipe de France affronta le 7 octobre 1954 une sélection d'Afrique du
Nord.
Les recettes
de la rencontre devaient être versées en aides aux familles sinistrées par le
séisme en Algérie.
L'équipe de
France allait se mesurer, en match amical, à son homologue de la RFA sacrée
championne du monde quelques mois plutôt.
La rencontre
face aux Nord-africains était perçue dans les media français comme une séance
d'entrainement.
Malgré le
caractère humanitaire du match, une certaine presse française n'a pas manqué de
verser dans les pronostics sous-estimant les Nord-Africains qui n'avaient,
selon un journaliste, que 'la langue arabe en commun'.
Un autre
commentaire a même fait allusion à l'âge avancé de Larbi
Ben Mbarek (37 ans) de retour à Marseille après une
expérience espagnole avec l'Athletico Madrid.
Aux côtés du
légendaire Ben Mbarek, l'équipe nord-africaine
alignait les Algériens Mustapha Zitouni, Abdelaziz Benteifour, Mokhtar Aribi, Abderrahmane Boubekeur, Abderrahamane Meftah, Rachid Belaid et Said Haddad, les
marocains Abderrahmane Mahdjoub, Mohamed Abderrazak et Salem Benmiloud
ainsi que le Tunisien Kacem Hassouna.
Les pronostics
de la presse française de l'époque étaient loin d'avoir vu juste.
Adderrazak ne tarde pas
à ouvrir le bal pour l'Afrique du Nord dès le début de la partie avant que le vétéran
Ben Mbarek n'aggrave le score à la 25ème minute.
Derrudre réduit l'écart pour
l'équipe de France mais Abderrazak revient à la
charge.
Ujlaki converti un penalty pour
les Bleus en fin de rencontre qui se termine par une victoire des
Nord-africains par 3-2.
La défaite des
Bleus en 1954 devant une sélection nord-africaine n'était pas la première, mais
elle demeure la plus célèbre, sans doute parce que le match a eu lieu dans un
contexte politique et historique explosif.
Moins d'un
mois plus tard, le 1 novembre 1954, la guerre de libération nationale en
Algérie se déclenche
Les joueurs algériens
disparaissent
Le 13 Avril
1958 la France était sous le choc.
Les joueurs
algériens du championnat français de ligue 1 quittent l'hexagone à travers
l'Italie et la Suisse pour rejoindre le siège du FLN à Tunis.
Le premier
groupe comptait les sélectionnés en équipe de France pour disputer le mondial
en Suède, Mustapha Zitouni, Abdelaziz Benteifour (Monaco) et Rachid Makhloufi
(Saint-Etienne).
Copyright de
l’image MOHAMED MAOUCHE Image caption Mohamed Maouche a rejoint l'équipe du FLN en 1960
Ils seront
suivis, selon le journal l'Equipe qui a relaté leur évasion spectaculaire, par
Abderrahmane Boubekeur et Kadour
Bekhloufi (Monaco), Moahamed
Maouche (Reims), Ammar Rouai (Anger), Abdelhamid Bouchouk et Said Brahimi (Toulouse) et Abdelhamid Kermali
(Lyon).
La police est
parvenue par contre à arrêter deux joueurs : Hassan Charbi
et Mohamed Maouche.
Ils ont écopé
d'une année de prison chacun et n'ont pu rejoindre le groupe que plus tard.
Une trentaine
de joueurs professionnels "déserteurs" ont rejoint Tunis pour
constituer l'équipe du FLN sous la houlette du jeune entraineur Mokhtar Aribi qui dirigeait
l'équipe d'Avignon.
Les journaux
français ont longuement parlé de cette affaire et ont consacré un reportage à
Mustapha Zitouni et son absence de la défense des
Bleus en coupe du monde.
La défection
de Rachid Makhloufi, la nouvelle star du foot
français, était également le sujet d'un long débat dans la presse française.
Le buteur de
Saint-Etienne venait de gagner la coupe du monde militaire avec la France.
La coupe du monde ou la
révolution
Mekhloufi est originaire de Setif dans l'Est de l'Algérie.
Une ville
martyre qui témoigne des massacres du 8 mai 1945 quand les Algériens sont
sortis dans les rues de plusieurs villes pour non seulement célébrer la fin de
la seconde guerre mondiale mais aussi revendiquer leur droit à l'indépendance.
Les forces
sécuritaires et l'armée françaises ont réprimé dans le sang ces manifestations
pacifiques.
Des dizaines
de milliers d'Algériens ont trouvé la mort à Setif,
Guelma et Kherata.
Ces évènements
douloureux ont laissé des traces indélébiles dans la mémoire du gamin Mekhloufi qui n'avait que neuf ans et prenait un plaisir
insouciant à taper dans un ballon en caoutchouc avec ses amis dans les rues de
sa ville natale.
La veille de
la coupe du monde 1958, Mekhloufi avait tout juste 22
ans et un énorme avenir devant lui. Il était déjà la coqueluche des Stéphanois
et le futur meneur de jeu des Bleus.
La coupe du
monde de Suède allait propulser ce joueur, déjà champion du monde avec l'équipe
de France militaire, au-devant de la scène internationale.
Avant
d'aborder le sujet de la fuite avec Mekhloufi, le
responsable du recrutement Boumezrag était un peu
hésitant.
Le buteur
stéphanois était en service militaire et son père était policier.
Mekhloufi explique dans une
déclaration au journal Le Monde en 2016 qu'il "n'avait pas hésité un
instant avant de rejoindre l'équipe du FLN", avant d'ajouter que la plupart
des Français ignoraient ce qui se passait en Algérie.
"Après
notre fuite ils ont dû prendre conscience de la gravité de la situation".
'La meilleure
équipe du monde'
Zitouni était un pilier dans la
défense de l'équipe de France au sein de laquelle il a disputé avec brio les
matchs de qualification à la coupe du monde 1958 contre la Belgique, la Hongrie
et l'Angleterre à Wembley.
Mais c'était
contre l'Espagne qu'il avait étalé toute sa classe et sa technique de défenseur
axial exceptionnel.
Le match s'est
disputé en mars 1958 au Parc des Princes.
Zitouni était chargé de marquer
le lauréat du ballon d'or du meilleur joueur du monde, un certain Alfredo Di
Stefano.
Zitouni parvint à le museler
durant toute la partie.
L'un des
génies de l'histoire du football n'a pu en aucun moment inquiéter la défense
des Bleus conduite par un libero algérien hors pair.
Dans les
tribunes, se trouvait Santiago Bernabeu, le
légendaire président du Real Madrid qui a plus tard
donné son nom au stade du club madrilène.
Le porteur du
maillot bleu numéro 5 lui a tapé dans l'œil.
Il va le voir
en personne et lui dit : "Tu devrais jouer dans la meilleure équipe du
monde. C'est le Real Madrid. On signe le contrat ?".
Zitouni lui répond : "Je
vous remercie pour l'offre mais je vais prochainement jouer dans la meilleure
équipe du monde". C'était son dernier match sous les couleurs de la
France.
Il avait donné
son accord à ses compatriotes pour quitter la France clandestinement et
intégrer l'équipe du FLN à Tunis.
Il explique
son choix : "J'ai beaucoup d'amis en France, mais le problème est plus
grand que nous. Que faites-vous si votre pays est en guerre et vous êtes appelé
?"
Interdiction de la FIFA
La défection
massive de joueurs algériens a fait la Une des journaux et a secoué les autorités
françaises qui ont été dépassées face à cette action secrètement organisée par
le FLN.
La Fédération
Française de Football a porté plainte au niveau de la FIFA et a réclamé
l'interdiction de cette équipe 'sans souveraineté' dans les matches internationaux.
Elle a
également exigé la résiliation des contrats des joueurs déserteurs avec leurs
clubs français.
La Fifa a
réagi en faveur de la France et a menacé de sanctions tout pays qui accueille
l'équipe du FLN.
Elle a aussi
rejeté la demande des Algériens d'intégrer l'organisation footballistique.
Si la
discipline des fédérations occidentales était ferme et totale, les menaces de
la FIFA n'ont pas empêché des pays acquis à la cause algérienne de braver
l'interdiction et d'organiser des matchs pour cette équipe 'révolutionnaire'.
au stade du 5 juillet 1962 en
1974. De gauche à droite : Debout : A.Sellami -
Doudou - Zouba - Rouai - Amara - Zitouni
- M. Soukane - Bouricha - Oudjani - Boubekeur Assis : Mazouz - Kerroum - Benfadah - Bouchouk - A. Soukane - Kermali - Mekhloufi - Oualiken
En signe de
soutien français individuel et humain, Zitouni a reçu
à Tunis une carte postale des stars de l'équipe de France Raymond Kopa, Juste
fontaine et Roger Piontoni, ses désormais
ex-coéquipiers.
L'épopée
L'équipe du
FLN a pu, jusqu'en 1962 date de l'indépendance de l'Algérie, disputer plus de
90 matchs en Afrique, en Asie mais aussi en Europe de l'Est.
Les
coéquipiers de Zitouni et Mekhloufi
abandonnent l'avenir fastueux que le football de haut niveau allait leur offrir
en France pour endosser le maillot vert alors clandestin de leur pays.
Ces dribleurs
fascinants, ces artistes adorés du football deviennent aussi combattants de la
cause de tout un peuple.
Ils ont pour
nouvelle mission de porter la voix de la lutte anticoloniale que mènent leurs
frères dans les maquis à travers le monde.
C'est à Tunis,
quartier général de l'équipe du FLN, que fut programmé le premier match.
Le 9 mai 1958
l'hymne national algérien 'Quassaman' est joué pour
la première avant un match de football.
L'équipe de
FLN affronte l'équipe de Tunisie finaliste des jeux panarabes de Beyrout l'année précédente.
Le score est
sans appel. 8 buts à 0 pour les Algériens.
Le tournoi
était symbolique à plus d'un titre.
Maradona est
"Dieu" et Messi est "Adam", selon
un club de foot argentin
Il a réuni
pour la première fois aussi toutes les équipes d'Afrique du Nord.
La tournée de
l'équipe de FLN continue.
Les
footballeurs ambassadeurs de la cause algérienne prennent part à des matchs en
ex-Yougoslavie, en ex-Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie, au
Vietnam, en ex-Allemagne de l'est ou encore en Chine populaire.
Ils ont été
reçus au Vietnam par le Président Ho Chi Minh et ont aussi rencontré à Pékin le
Premier ministre chinois Chou En-Lai.
Les Mekhloufi, Zitouni et autres Benteifour enchainent les belles performances et drainent
les foules qui viennent voir cette équipe pas comme les autres.
"En
quatre ans, l'équipe FLN a enregistré 57 victoires et marqué 349 buts",
écrit Michel Nait Challal dans son livre 'Dribleurs
de l'indépendance'.
Elle était
probablement la meilleure équipe africaine.
En 1961, elle
s'impose par un score écrasant de 6 à 1 face à la terrible équipe de l'ex
Yougoslavie, l'une des meilleures équipes au monde de l'époque, d'où le surnom
du Brésil de l'Europe.
Le drapeau algérien à Baghdad
Les Irakiens
reçoivent les joueurs algériens en héros à Baghdad.
Les amoureux
du football et citoyens ordinaires envahissent le terrain pour se rapprocher et
embrasser ces footballeurs qui ont réussi à "ternir l'image du
colonisateur" à travers le sport, disaient-ils.
Le match a
lieu en février 1959 et c'est à Baghdad que le
drapeau algérien fut hissé pour la première fois avant un match de football, en
dépit des menaces de la FIFA et de la colère de l'ambassade de France.
L'ancienne
star de l'équipe irakienne des années 50 Edison Eshay
se rappelle de ce match historique.
"Nous
avons réalisé notre meilleure performance sans pour autant rivaliser avec cette
terrible équipe de vedettes du championnat Français de ligue 1", dit-il.
A
l'indépendance en 1962, l'équipe du FLN rentre au pays.
Les joueurs
les plus âgés comme Bouchouk, Benteifour,
Zitouni, Bekhloufi et Boubekeur rejoignent des clubs algériens en qualité de
joueurs ou entraineurs.
Les moins
âgés, à l'instar d'Oudjani ou Soukane,
retournent à leurs clubs en France.
Mekhloufi est enrôlée par le club
suisse Servette de Genève et Maouche
tente une expérience avec l'équipe de Montignez.
Le chouchou
des Stéphanois revient à son ancien club français en capitaine et gagne le
championnat de France en 1964 avec Saint-Etienne.
Il leur offre
le doublé coupe championnat quatre ans plus tard.
Le football
algérien d'après l'indépendance a gracieusement bénéficié de l'expérience et du
savoir-faire de ses anciennes gloires.
On retrouve
Rachid Makhloufi dans l'équipe technique qui a
conduit l'Algérie à sa première coupe du monde en 1982 en Espagne.
Il a amplement
contribué à la formation du trio Lakhdar Belloumi, Salah Assad et Rabah Madjer auteurs d'une victoire historique contre la RFA, que
les Algériens chérissent tant jusqu'à nos jours.
C'est
Abdelhamid Kermali, l'ancien virevoltant ailier de
Lyon et de l'équipe du FLN, qui offre en tant qu'entraineur à l'Algérie sa
première coupe d'Afrique des nations en 1990.