POPULATION- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN RACHID OULEBSIR- « LE PREMIER SERA UN GARÇON »
Le premier sera un garçon. Roman de
Rachid Oulebsir. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou, 2016 ,
151 pages, 600 dinars.
Un roman ? Oui, mais aussi un essai qui ne dit pas son nom , et on ne pouvait s’attendre à moins de la part de
Rachid Oulebsir, toujours « possédé »
par sa Kabylie natale, toujours soucieux
de mettre en exergue ses aspects culturels « éternels » (en tout cas,
ce qui en reste) . Pour lui, en parler, c’est déjà une forme de sauvetage, de
préservation et de possible réhabilitation.
A travers l’histoire du premier voyage en Algérie d’un jeune couple
d’émigrés algériens - deux enfants de harkis,un homme , Khaled et une femme, bien intégrés dans la société française,
encore sans descendance malgré cinq années de mariage, et venus, en fin d’été , à la découverte du pays de
leurs parents - la société kabyle est
disséquée : A travers la vie quotidienne .Le village, la famille, les
alliés, les femmes, les jeunes filles si belles « réduites à porter des
fagots de bois et des cruches de terre cuite » , les jeunes,la
gestion du village et l’entraide, la
terre, la poésie avec le mystérieux Hand-Ven-Li, les pratiques sociétales, culturelles
et religieuses, la virginité......les touristes « émigrés » (il y
aurait trois types de vacanciers), les
rêves de départ, l’électrification, la modernité, les nouvelles constructions,
« moches copies des pavillons de la banlieue parisienne », ...et
l’avenir du pays et la vie politique.....un peu. Il est vrai que celle-ci, n’ayant rien
apporté au développement du village, est totalement ignorée. Méprisée plutôt.
Hélas, malgré une certaine qualité de vie que certains essaient de conserver
loin du fracas de la ville et des tentations de l’exil, le couple découvre que
la montagne est en train de « perdre son âme », avec une population
vieillissante qui n’arrive pas à transmettre ses repères et ses valeurs à des
jeunes de plus en plus « connectés » avec
l’ « ailleurs »
Heureusement qu’il y a Rachid , le journaliste revenu à sa terre pour tenter
de faire « renaître la montagne même si ses habitants pensaient à tort
être les derniers Kabyles »... et les femmes (et l’auteur estime que
« c’est un roman au féminin »), avec leurs secrets, leurs passions
retenues et leur force de caractère....et leur « savoir-faire » qui, malgré une vie à l’écart, jouent un rôle
central dans l’ aventure de modernisation du village .....Elles pourront même aider la jeune parisienne a, peut-être, avoir un enfant.... un garçon bien sûr. Sidi –Lmouafak ,
visité et les rites habituels accomplis, y veillera !
L’Auteur : Diplômé
des universités Paris-Nord et Paris 1 Panthéon Sorbonne en Economie politique,
il est l’auteur de plusieurs romans , de recueils de contes et d’essais portant tout
particulièrement sur la patrimoine culturel amazigh
Avis : Style
original, quelque peu déroutant.....surtout si on ne tient pas compte de
l’engagement culturel de l’auteur ..qui défend
l’oralité (sa fin signifierait, selon lui,
« la fin de notre civilisation parce qu’elle transmet des
valeurs universelles » ) et son rejet du système
mercantile (déclaration lors d’une
séance-dédicace à Tizi Ouzou)
Extrait : « Vous
les accueillez en libérateurs. Leurs voitures polluent les poumons du village,
leur argent pervertit les commerçants, leurs gadgets ridicules arrachent les
yeux de nos chérubins, leurs habits déclassent nos antiques tenues, leur
discours enterre notre vieille langue aux lettres d’argile et de laine, les
sourires de leurs femmes vous renvoient dans l’enfance ! Les émigrés
souillent notre âme ! Ils vous délesteront de votre rôle, vous déculpabiliseront
de votre renoncement ; leur présence factice est une aubaine de plus pour
justifier votre défaite ! » (p 43)
Citations: « Derrière
toutes les décisions imprévues, les démarches précipitées, il y a un
rêve » (p 7), « Dans notre vieille langue kabyle, la jalousie était
toujours exprimée au pluriel » (p 39) ,
« Etre amoureuse , c’est chevaucher un lion, tu ne sais pas sous quel
arbre il va te dévorer. » (p 68) , « Le bled
que l’on a tellement diabolisé ou valorisé, c’est selon.Ce
pays , pourtant paradisiaque...où leur ( aux enfants d’émigrés , les tout
petits de la troisième génération) a-t-on répété, la vie est impossible » (p 137) ,
« Chez les Kabyles, l’amour est un véritable accident quand il survient »
(p 147)