HISTOIRE- GUERRE DE LIBERATION NATIONALE-
MANIFESTATIONS DE PARIS, 17 OCTOBRE 1961
Les
crimes perpétrés par la police française contre des manifestants algériens
pacifiques le 17 octobre 1961 à Paris demeurent à ce jour l'un des plus grands
massacres des civils commis en Europe au 20e siècle, selon des universitaires,
des chercheurs et des historiens.
Il s’agit de la
répression d'Etat la plus violente de l’histoire contemporaine en Europe, ont
relevé des historiens qui continuent, 59 ans plus tard, de recueillir des
témoignages terrifiants sur des crimes odieux, cristallisant ainsi toute
l’horreur et l’atrocité du colonialisme français en Algérie.
«Ces crimes ont
un nom et sont clairement désignés comme des crimes contre l’humanité, comme
crimes de guerre dans d’autres cas et comme crimes d’Etat», pour reprendre les
propos de l'historien et politologue français Olivier Le Cour Grandmaison.
En ce mardi 17
octobre 1961, soit une année après les sanglantes et meurtrières manifestations
du 11 décembre 1960, des milliers d’Algériens étaient sortis manifester
pacifiquement pour protester contre le couvre-feu discriminatoire imposé par le
tristement célèbre sanguinaire préfet de police de Paris, Maurice Papon.
Ces
manifestations pacifiques étaient également organisées à l’appel lancé par la
Fédération de France du Front de libération nationale (FLN) pour une grande
mobilisation pacifique, suite à plusieurs cas de violence policière et de
tueries contre la communauté algérienne.
Mais dans la
soirée de cette sinistre journée, les rues de Paris étaient jonchées de corps
d’innocents Algériens dont un grand nombre furent jetés vivants dans les eaux
glaciales de la Seine, alors que d’autres ont été exécutés sommairement par
balle, battus à mort ou pendus aux arbres du bois de Vincennes, en exécution
des ordres de Maurice Papon qui, lui-même, appliquait les instructions dictées
par les plus hautes autorités de la France de l’époque.
En fait,
cette répression avait débuté bien avant, vers le mois de septembre 1961, avec
des contrôles policiers que les Algériens subissaient, assortis d’insultes, de
brimades, et de rétentions de plusieurs jours, selon des historiens qui ont
relevé durant cette période plusieurs décès d’Algériens signalés et dont les
cadavres étaient retrouvés sur la voie publique, selon des témoignages.
Si ces massacres
avaient dévoilé à l'opinion publique mondiale le véritable visage de la France
coloniale qui se vante des valeurs d'humanité et de justice, ils auront
cependant mis en évidence toute la détermination des Algériens, où qu’ils se
trouvent, et leur attachement à l'indépendance du pays, en portant la
Révolution sur le sol de l’occupant.
Pour ce
qui est des chiffres, l’Association des moudjahidine de la Fédération du FLN en
France 1954-1962 a fait savoir que la chasse à l’homme sanglante déclenchée
contre les Algériens a été accompagnée de
12 000 à 15 000
interpellations, dont 3 000 envoyés en prison, tandis que 1 500 ont été
refoulés vers leurs douars d’origine.
Des chiffres
corroborés par des historiens qui parlent de 300 à 400 morts par balle, à coups
de crosse ou par noyade dans la Seine, de 2 400 blessés et de 400 disparus
suite à une sauvage répression policière. Une férocité qui avait fait écrire à
deux historiens britanniques, Jim House et Neil Mac Master, dans «Les
Algériens, la République et la terreur d`Etat» (paru en 2008), qu'il s’agit de
«la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une
manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine».
L`historien
français Jean-Louis Planche avait également affirmé que «c'est le plus grand
massacre en Europe, en temps de paix, d`une population civile».
Ces
crimes ont été tus par la France officielle pendant plusieurs années.
L'historien Jean-Luc Einaudi, décédé en 2014, avait fait remonter de la mémoire
collective en France ces massacres dans son ouvrage «La Bataille de Paris»,
dans lequel il raconte l’histoire de «ce massacre oublié pendant des décennies,
refoulé par la conscience collective, étouffé par le gouvernement».
Grâce à ses
recherches, il était parvenu à dévoiler une bonne partie des dessous de ces
tragiques événements, devenant le premier à divulguer une liste de 390
Algériens assassinés le 17 octobre 1961.
Dans un autre
témoignage, l’historien et universitaire français Olivier Le Cour Grandmaison a estimé que ce serait une erreur de vouloir
faire porter le chapeau à Papon seul, soulignant que les massacres du 17
octobre 1961 «doivent être reconnus par l'Etat français, responsable et
coupable».
«Cela passe,
entre autres, par la reconnaissance qu'un crime d'Etat a bien été perpétré en
ces journées d'octobre 1961», a ajouté le co-auteur de l'ouvrage collectif, «Le
17 octobre 1961 : Un crime d'Etat à Paris».
L’ancien
président français, François Hollande avait déclaré, en 2012 à la veille du 51e
anniversaire de ces massacres, que la France «reconnaît avec lucidité» la
«tragédie» qu’a constituée la«répression sanglante»
d’Algériens qui manifestaient pour leur droit à l`indépendance. Il s’agissait
alors de la première reconnaissance officielle de la «responsabilité» de l’Etat
français dans la répression d’un événement qui s’était déroulé pendant la
période coloniale. Aussi, le discours prononcé par François Hollande devant le
Parlement algérien lors de sa visite en Algérie en 2012 reste la seule réaction
officielle de la France à ces massacres.
Toutefois, pour
l'historien Gilles Manceron, il reste du travail aux
historiens pour mieux comprendre comment un tel crime d’Etat a pu être commis
et quelles sont les responsabilités du Premier ministre de l’époque, Michel
Debré, lequel avait convoqué un Conseil interministériel pour décréter un
couvre-feu contre les Algériens.
«Il faut que les
archives qui concernent les plus hautes instances de l’Etat à cette période, en
particulier les Conseils des ministres et le Conseil interministériel, soient
accessibles», a-t-il exigé.
S’agissant de
l’actuel président français, Emmanuel Macron, Le Cour
Grandmaison a fait observer : «Comme ses
prédécesseurs, une fois installé à l’Elysée, Macron
s'est bien gardé de réitérer ses dires», faisant référence aux propos tenus
auparavant, lors de sa campagne électorale.
En effet, en
2017, Emmanuel Macron s’était contenté d’un tweet en écrivant que «le 17 octobre 1961 fut le jour d'une
répression violente de manifestants algériens», a commenté encore Le Cour Grandmaison.
Du côté
algérien, le militant et moudjahid Mohamed Ghafir,
dit Moh Clichy, un des acteurs au sein de la
Fédération de France du FLN, a estimé que le 17 octobre 1961 à Paris avait
contraint le président français de l’époque, Charles de Gaulle, à retourner à
la table des négociations avec le Gouvernement provisoire algérien (GPRA), ce
qui avait permis de marquer des avancées considérables pour l'indépendance de
l'Algérie.
Pour sa part,
Ali Haroun, responsable politique à la Fédération de France du FLN, a souligné
que les massacres du 17 octobre 1961, demeurent «une source de fierté pour tous
les Algériens car ils représentent un précédent historique dans la mesure où
ces manifestations avaient permis de remporter la bataille contre la France en
terre française».
Aujourd'hui, 59
ans après ces horribles massacres, les Algériens, notamment ceux établis en
France, continuent de les évoquer et de les commémorer dans la douleur car il
s’agit paradoxalement d’une tragédie et d’un crime contre l'humanité commis par
une République fondée sur le triptyque «Liberté, Egalité, Fraternité».