VIE POLITIQUE – BIBLIOTHEQUE D’AL MANACH- ROMAN MANSOUR KEDIDIR-
« LA NUIT LA PLUS LONGUE »
La nuit la
plus longue. Roman de Mansour Kedidir. Apic Editions, Alger 2015, 372 pages, 950 dinars
Un roman
noir. Un roman décrivant un gros village perdu
de l’intérieur du pays, partagé entre une modernité qui tarde à
venir ou qui n’arrive pas à s’imposer et
un conservatisme rurbain têtu.Un village abandonné à
son sort, « oubliée de Dieu » Aïn
Dib , avec ses chacals humains et ses chiens errants.... : misère et
pauvreté, gestion locale,
administrative et sécuritaire, despotique,
scolarité non généralisée et
programmes scolaires obsolètes ou inadaptés, discours religieux
extrémistes, discours politiques démagogiques et trompeurs...
Le bout du
monde pour Salman , le prof’ (« gauchiste »
et aux « opinions politiques douteuses » ) de lettres dans un lycée
de la Capitale, « muté » à la fin des années 80-début des années 90,
en tant que directeur d’un collège.
La culture
« islamiste » (importée) puis l’islamisme actif ,
puis le terrorisme islamiste vont peu à peu apparaître, se développer puis
régner sur la région, bouleversant brutalement et sauvagement (faux-barrages, cadavres piégés, enlèvements,
égorgement et viols à l’appui) la vie d’une société déjà lourdement éprouvée
par la pauvreté et les dépassements de la gouvernance locale. Les anciens
« damnés du village » font régner la terreur puisant les éléments de
leur haine dans les profondeurs d’un passé mythifié ,
dans une foi aveugle, indiscutée et non négociable, et dans la vengeance à
l’endroit des « nantis »
En
face, les forces de sécurité , débordés,
réagissent avec vigueur et, parfois, sans discernement., faisant , pour la
première fois , face à une nouvelle forme de criminalité
Au milieu,
les communs des mortels, appelés au silence et au soutien par les uns , les « fous de Dieu » et à l’aide par les
autres , les « fous de la Nation » . Que faire ? plier sous le joug impitoyable des nouveaux chacals ou
tomber dans la répression parfois aveugle. Résister ou partir.
Le collège et
Salman (heureusement soutenu par l’amour et l’engagement de la belle Batoul, l’enseignante , fille de l’imam, devenue son amante
puis son épouse) vont, peu à peu devenir le lieu de convergence de la lutte et
aussi de la pensée nouvelle réunissant des représnetants
de toutes les couches sociales du village devenu entre-temps une véritable
petite ville. . Exit la mosquée. Tout un symbole.
Durant toute
une nuit, une longue nuit, ,l’avenir est
dessiné.....mais.....
L’Auteur : Natif de Mecheria, enarque, sciences
politiques, ancien juge d’instruction, procureur général (Tizi
Ouzou) et chef de cabinet à la chefferie du
gouvernement (gouvernement Benflis Ali) .Auteur de
deux romans (le premier à Paris en 1985 et le second à l’Enag
en 1999) ....ainsi que d’un essai sur « l’armée algérienne dans la lutte
contre le terrorisme » (en 2012 aux Editions universitaires européennes).
Actuellement chercheur au Crasc
Extrait : « Le sujet (de la fonction et de la place
de la religion dans notre société ) est très délicat. , il ne faut pas
l’aborder publiquement, parce qu’en le faisant, on provoquarait
les passions et les haines. Personne ne permettra de critiquer la
religion ! Pour le commun des mortels, la moindre observation à
l’endroit de l’islam, aussi pertinente soit-elle, est considérée comme une
offense à Dieu » (p 219),
Avis : Un roman sur la
« tragédie nationale » (décennie rouge) et une « analyse »
de l’islamisme extrémiste . De la fiction à travers beaucoup de réel. Sujet toujours
difficile à lire...mais à lire pour ne pas oublier .
Style fluide avec les éternelles digressions qui éloignent du roman et rapprochent
de l’essai plus politique (et un
« chouia » idéologique) que sociologique ....
Citations : « Lorqu’elle se réveille, la ville n’appartient qu’à
elle-même. Elle absorbe ses habitants, déglutit leurs souffrances et les tranforme en bouillie qui se déverse en flots dans ses
intestins » (p 49), « Depuis l’origine de l’humanité, le cimetière
était deven le premier lieu où les hommes ont appris
à se rassembler......Mais les services de sécurité voyaient le cimetière comme
le meilleur champ pour reconnaîtrele troupeau,
identifier , déceler les rapports, examiner de loin les têtes et mesurer la
gravité des égarés » (p 53) , « L’islam était la seule religion dans
laquelle tout le monde trouve son compte. Le despote justifie ses déviations et
la plèbe y trouve un moyen pour se révolter. C’est cette ambivalence qui a
malheureusement prévalu au Maghreb ...Le Kharedjite
y trouva des adeptes les plus virulents » (p 172), « Pourquoi, Dieu,
les gens ont-ils oublié aussi facilement cette expression « je
t’aime », expression simple qui cicatrise les blessures et efface la
douleur » (p 236), « On ne peut aspirer à devenir des hommes libres,
tant q u’on ne s’est pas exorcisé du passé de nos
égarements » (p 350), « L’histoire des humaines est la même, n’en
déplaise aux apôtres des identités meurtrières dont esl
voix ne sont que des appels au mépris de l’autre » (p 360), « Le rire
et les pleurs, la joie et la douleur....... ces deux sentiments nous
différencient des bêtes et nous rappellent combien nous sommes devenus étrangers
à nous-mêmes. Pensons à notre salut, à nous-même ;
et laissons Dieu tranquille.Voilà, pensons à
l’avenir ! » (p 360)