VIE POLITIQUE- OPINIONS ET POINTS DE VUE
– HIRAK- CONFERENCE BOUHAMIDI MOHAMED
Le Hirak, ce
mouvement de contestation populaire pour s'opposer à un 5e mandat de Bouteflika
Abdelaziz, "n’existe plus dans son état originel", et certaines ONG
internationales tentent d'opposer cette légitimité présumée du Hirak à toute solution politique afin "d'aboutir à une
situation de chaos" en Algérie, a averti le professeur de philosophie,
Mohamed Bouhamidi.
"Le Hirak originel
n'existe plus. Oui, j’affirme", a déclaré M. Bouhamidi
dans un entretien accordé
à l’APS (dimanche 24 mai 2020) . Plus encore, a-t-il
affirmé, "le Hirak a muté" du fait que ce
mouvement "était fini dès le mois de mai" mais en donnant naissance à
"un nouveau fruit, qui est autre chose que lui: l’émergence des couches
moyennes dans la vie politique directe".
Evoquant le rôle des ONG internationales dans cette
seconde vague du Hirak, il a indiqué: Ces
Organisations dont parlent certains médias étrangers et autres ONG
internationales, veulent par contre opposer cette légitimité présumée du Hirak pour perpétuer une non solution politique, maintenir
le plus haut niveau possible de tension pour aboutir à une situation de
chaos".
Il a ainsi insisté sur la nécessité de "dissocier
les besoins politiques et culturels de ces manifestants des buts de ceux qui
parlent en leur nom".
Il a noté toutefois que "ces manifestants ne se
laissent pas forcément manipuler", tout en déplorant le fait que
"cette situation a mis en crise cet arc de la ‘révolution
démocratique’".
"Puis pour se
dégager de cette impasse du vendredi ces organisations renforcées par des
combinaisons avec le ‘youtubeur’ Zitout
ont projeté la solution du samedi, avec l’obstination à jeter l’Algérie dans le
cycle de la stratégie USA-OTAN-Israël de créer le chaos sans fin sur toutes les
lignes de fractures possibles ethniques, linguistiques, culturelles,
religieuses, etc", a-t-il encore souligné.
Il a affirmé, dans ce contexte, que les manifestations
hebdomadaires (suspendues par précaution contre la propagation du nouveau
coronavirus, Ndlr) "étaient très, très loin de regrouper autant de
monde" par rapport à la période allant du mois de février au mois de mai
2019.
Des "personnalités", qualifiées de
"leaders élus ou spontanés" et qui parlent au nom des manifestants
d’aujourd’hui, "ont évalué les manifestants qui occupaient les rues durant
cette période à plusieurs millions de personnes", a indiqué M. Bouhamidi, ajoutant que ces " leaders" qui sont
"confrontés à leurs propres estimations des mois de février/mars 2019, ne
peuvent légitimement parler au nom des foules qui les ont laissés dans leur
solitude".
Après l'élection présidentielle du 12 décembre 2019,
"ces mêmes leaders ont appelé à un style d’autocritique, de réévaluation
de leurs actions, pour expliquer pourquoi leur mouvement a échoué", a-t-il
relevé, soulignant qu’ils (leaders) " désignaient leur échec à réussir un
boycott massivement indiscutable" de la Présidentielle.
Affirmant que l’orientation de la mobilisation
populaire "a été l’objet d’âpres luttes entre différentes tendances et
organisations", M. Bouhamidi date ce qu'il
appelle "mutation du Hirak" dès la
"confirmation des arrestations de plusieurs dirigeants de l’Etat (Premiers
ministres, ministres, généraux, oligarques hier seulement hyper
puissants)" où, selon lui, " la mobilisation populaire a connu une
très, très forte décrue".
Pour lui "les couches populaires venaient de
percevoir clairement ou confusément que venait de se résoudre la moitié de
l’équation connue de toute crise politique: ‘Il y a crise quand les gouvernants
ne peuvent plus gouverner comme avant et les gouvernés ne veulent plus être
gouvernés comme avant’".
"Le mois de mai sera
celui de la décantation. Les attaques contre l’Armée nationale populaire ‘ANP’
sous couvert d’attaque contre le vice ministre de la Défense, chef d'Etat-major
de l'ANP, le défunt Ahmed Gaïd Salah prouvaient à
notre peuple que des divergences profondes existaient en son sein ‘peuple’ sur
le modèle souhaitable de la nouvelle gouvernance", a-t-il souligné.
Après les présidentielles, a noté M. Bouhamidi,
"la crise politique venait de se résoudre" et "émergeaient alors
toutes les autres crises : culturelles, économiques, sociales, linguistiques,
voire ethniques, etc".
A cet égard, Il a tiré cette conclusion: "le Hirak comme forme concrète de cette mobilisation populaire
venait de terminer sa tâche historique", estimant, toutefois, que ce Hirak "portait en lui beaucoup plus que la crise
politique" et "venait de mettre sur la scène politique des masses
considérables".
Il a tenu à rappeler que le développement du système
éducatif algérien a, "en quelques décennies, produit des millions de
diplômés " et que le nombre des étudiants a atteint aujourd’hui 1.500.000
étudiants, inclus, selon lui, dans "les couches moyennes de par leur
vocation (...)".
A ce propos, M. Bouhamidi a
indiqué que "ces diplômés trouvaient des formes d’expression et
d’affirmation politiques et sociales infiniment plus grandes avant la
gouvernance du président Bouteflika", et que " la fermeture des
possibilités de réalisation sociale par la création libre d’associations et
d’espaces de discussions et débats a été aggravée par la suprématie dans la vie
politique des figures repoussantes et humiliantes pour ces couches moyennes
instruites et cultivées d’oligarques frustres et incultes détenant un véritable
pouvoir d’Etat".
"Le développement de ces couches moyennes au sein de
notre société (…) devait poser problème à un moment ou un autre. On
n’administre pas une société comprenant d’importantes couches moyennes
instruites comme une société rurale (...)", a relevé M. Bouhamidi, indiquant que des "organisations" dont
il ne cite pas directement le nom, "vont tout mettre à leur crédit ces
couches qui continuent à manifester en leur empruntant beaucoup de leurs
slogans mais sans jamais leur servir de troupes ni leur transférer leur
énergie".
"En réalité, elles ne leur empruntent pas
leurs slogans mais les empruntent à l’air du temps, aux représentations et au
langage des médias mondialement dominants. C’est parce qu’elles empruntent ces
formulations et ces idées qu’elles n’arrivent pas à élaborer leurs propres
programmes politiques", a-t-il argué, soulignant que : "Parler encore
de Hirak aujourd’hui est bien un abus de langage
envers ces couches moyennes et ces organisations colorées ...".
Pour lui, " les deux
ont besoin de se dire Hirak pour se réclamer en fait
du Hirak, c’est-à-dire d’une légitimité populaire
qu’ils peuvent opposer à la légalité de l’élection présidentielle. Mais, selon
lui, les couches moyennes veulent d’abord garantir leurs droits à une vie
politique libre. Elles veulent une démocratie qui est synonyme de vertu dans
laquelle le savant est supérieur au marchand".
Dans le même ordre d’idées, il a ajouté: que "les
couches moyennes, savent d’instinct qu’elles ne sont pas des classes
fondamentales. Se présenter comme Hirak, leur permet
de parler au nom du peuple de février/mars/avril, c’est-à-dire de défendre les
intérêts de la société entière et non ses intérêts égoïstes.
Il a estime, ainsi, que "sans cette espèce de ruse
ces couches moyennes ne seraient apparues que comme des couches égoïstes, juste
avides pour plus d’ascenseur social".
Plus explicite, M. Bouhamidi a
affirmé: "ces aspects quantitatifs et de ‘management politique’ des foules
sans y paraître ne sont pas mes seules raisons. Jusqu’à fin avril-début mai,
‘les cohortes’ les plus nombreuses des manifestants et les plus populaires
avaient étouffé les slogans de démocratie abstraite".
Et d'ajouter: "la voix la plus forte était celle de
la libération du pays, du peuple et de la société de la mainmise de la caste
oligarchique (3issaba), de ses groupes constitutifs qui défilent aujourd’hui
devant les tribunaux et de leurs sponsors étrangers, l’Etat néocolonial
français (...).
Après le retrait des couches populaires, c’est la
domination de la voix qui réclame les droits de l’Homme isolé et ‘libéré’ de la
société, exemptée du destin commun (...)".