COMMUNICATION –
ETUDES ET ANALYSES- LIBERTE
DE LA PRESSE-
MOSTEFAOUI B. 3/5/2020
LIBERTÉ DE LA PRESSE
Liberté de la
presse : confinement n’est pas renoncement
©Belkacem
Mostefaou , Pr École nationale
supérieure de journalisme et des sciences de l’information, Alger /Liberté, dimanche 3 mai 2020
©Cette année 2020, la Journée
mondiale de la liberté de la presse est commémorée sous le thème “Journalisme
sans crainte ni complaisance”. Un vaste programme qui interpelle les
consciences d’ici et d’ailleurs. En ces temps où, partout dans le monde, les
sociétés humaines sont tétanisées par la terreur de la pandémie de Covid-19, l’accès à l’information vérifiée, en principe de
droit humain, est vital.
Or, un
faisceau d’actes et de faits administrés ces dernières semaines par les
pouvoirs publics de notre pays indiquent objectivement des atteintes aux
droits professionnels des journalistes. Ces atteintes nous semblent
orchestrées sciemment en profitant du cadre du confinement imposé. Elles
participent d’une volonté politique de réduire, de neutraliser, voire
d’éradiquer les dynamiques sociales pacifiquement forgées par le Hirak populaire depuis le 22 février 2019.
Si l’air du
temps sanitaire impose à la nation algérienne la règle médicale intangible du
confinement pour faire face au terrible virus Covid-19,
par contre il ne doit pas rimer avec renoncement aux devoirs premiers des
médias : enquêter, témoigner et publier. Les
dispositions réglementaires et sécuritaires mises en application ces dernières
semaines à l’égard des journalistes et des entreprises médiatiques sont
lourdes de conséquences
négatives quant à l’exercice des métiers du journalisme dans notre pays.
Non pas que
les journalistes algériens, femmes et hommes, ne soient pas eux aussi
vulnérables face à ce nouvel “ennemi de l’Humanité”, comme l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) l’a déclaré, mais dans tous les pays du monde, y
compris ces temps-ci, ce qui fonde la plus-value au sein de la production des
médias est justement imprimé par les meilleurs reportages et enquêtes sur le
carnage infernal et insidieux frappant les sociétés humaines.
C’est par
cette production alliant le savoir-faire de multiplier et de faire se croiser
des sources, se documenter, regarder, écouter et assumer sa responsabilité
morale et sociale de témoin professionnel que le journaliste inscrit au
quotidien son travail face aux temps anxiogènes que nous vivons. Même si ce ne
sont que des bribes de connaissances sur des réalités si complexes, cette
production vient nourrir le droit à l’information des citoyennes et citoyens.
Pour l’esprit, cette connaissance est vitale : les journalistes sont les yeux,
la voix et les oreilles de leurs concitoyens confinés.
Ce travail de
“journalisme debout” est par définition d’agenda et de territoire ouverts,
libres. Une logique traverse son procès d’élaboration : le confinement
bureaucratique le pousse au renoncement. Renoncement au droit de savoir et de
faire-savoir. À charge bien sûr pour les éditeurs et les journalistes de se
conformer strictement aux règles sanitaires prescrites durant leur travail et
les chemins qui y mènent.
Ce
journalisme-là n’est pas forcément en antinomie ni en concurrence avec une
communication institutionnelle sanitaire relevant de la gestion des pouvoirs
publics. Intelligemment produite, cette communication est à même d’élargir les
connaissances de vulgarisation scientifique et, par les usages des langues
populaires, de raffermir le lien social autant que l’expression est ouverte
aux auditoires.
Débat de société
En ces temps de confinement de la société, nous le constatons, le temps imparti
aux usages de l’Internet est démultiplié dans des dimensions formidables. Ce
surdimensionnement du temps disponible devient chez de larges franges de la
population, et notamment les enfants et les jeunes en congé prolongé, une
vacuité ouverte à une fréquentation via les écrans du “tout et n’importe quoi”.
L’infinité des possibles accès aux programmes, jeux et loisirs offerts charrie
le meilleur et (bien plus souvent) le pire. Le travail du journalisme et de la
communication institutionnelle sanitaire peut s’allier en antidote salutaire
pour offrir aux citoyens des alternatives d’entendement des réalités libérées
du chancre des fake news, terreau d’expansion de
charlatanismes anciens et nouveaux et de rumeurs aux conséquences parfois
dramatiques.
Ce sont là
des problèmes réels nécessitant un large débat de société avant d’en réguler
par le droit les usages. L’adoption récemment de la loi portant révision du
code pénal criminalisant la diffusion de fausses nouvelles est aussi l’un de
ces actes attestant de la volonté du pouvoir de rogner sur les principes du
droit. Il est sain que le Syndicat national des magistrats et le Club des
magistrats aient à l’unisson fustigé la précipitation de l’adoption de ce texte
de loi.
Ils observent
notamment que cette loi constitue “une violation du principe de la légalité
criminelle, qui stipule que les comportements punissables doivent être
clairement et préalablement définis par la loi pour préserver les libertés et
les droits fondamentaux” (Liberté, 29 avril). Autre source de vraies
inquiétudes pour les médias nationaux : elles sont repérables dans les
conditions économiques de survie des entreprises éditrices de quotidiens de
droit privé.
L’Anep cornaque la manne publicitaire des organismes et
entreprises de droit public et collectivités territoriales (70% du volume
national). Ses jeux de distribution des ressources financières sont orchestrés
en bâton ou carotte de domestication des journaux. la
cagnotte de pub des annonceurs de droit privé va continuer de subir des coupes
drastiques dues à la récession économique. Dans cette même trame de fond
actuelle sont ordonnés des blocages techniques de signaux de sites
d’information, l’emprisonnement de journalistes et de dizaines de jeunes
militants du hirak s’exprimant via les
médias électroniques.
La nouvelle
vision à laquelle l’épreuve de ces temps de crise extrême nous appelle est
d’aller vers un nouvel échafaudage global de réponses aux attentes multiples du
droit à la communication au sein de la société algérienne. Une nouvelle vision
qui respecte d’abord les exigences du Hirak populaire
dont la sage discipline actuelle de confinement n’est
pas tarissement de vigueur de souffle, quoi qu’en pensent certains
propagandistes.
La calamité du système Bouteflika
La première rupture à établir par les pouvoirs publics est celle de ne plus
continuer à percevoir le journalisme en simple maillon au service de la
communication institutionnelle et à respecter les conventions internationales
paraphées par l’État algérien. Aujourd’hui et demain, les actes et faits des
gouvernants seront jugés à cette aune et non sur des communiqués plaidoyers pro
domo, chroniquement délivrés par les ministres de la Communication depuis
l’indépendance. En près de six décennies, nous avons vu comment et à quoi a
contribué la velléité de domestication des médias.
M. Ammar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du
gouvernement, semble encore chevillé aux pratiques anciennes. Pour défendre la
mise sous couvre-feu pénalisant le journalisme d’investigation, il soutient que
“les journalistes ne peuvent pas constituer une catégorie à part”. Son
argumentaire n’est pas en phase avec les exigences qualitatives d’un rédacteur
en chef respectueux de son travail. “L’essentiel de l’activité, dit-il, se
déroule le jour. Le soir où les villes et les villages sont vides et où tout
est fermé, l’intérêt d’effectuer des reportages n’est pas si évident que cela.
Le champ des sujets à traiter paraît réduit.”
L’Algérie a
connu “la peste et le choléra” des années 90’ et la calamité du système
Bouteflika; elle a survécu et régénéré d’expression citoyenne grâce aussi à une
presse qui a refusé la compromission. Le nationalisme verbeux auquel
tentent de nouveau de nous raccrocher les idéologues épigones du FLN n’est pas
le patriotisme de conviction et d’action du hirak
populaire.
Détruire les
ossatures d’une poignée d’entreprises médiatiques nationales de droit privé qui
ont résisté vaillamment au système Bouteflika, persévérer à éradiquer tout élan
des professionnels à appliquer les fondamentaux du service public dans
l’audiovisuel d’État (mis en concurrence avec des télés offshore mercenaires),
c’est participer au démantèlement du patrimoine médiatique national. En
écrasant les capacités endogènes des médias, les pouvoirs publics renforcent
les moyens de pénétration des multinationales de la communication, celles-là
mêmes qu’ils taxent par démagogie de “cheval de Troie”, au “soft power
pernicieux”.
Par ces temps
de confinement imposant un retrait salutaire de l’espace public physique,
il serait simpliste d’y voir un renoncement aux droits et libertés.