CULTURE- THÉÂTRE –
MOHAMED TOURI
Soixante ans après sa mort,
à la fin du mois d’avril 1959, suite aux tortures qu’il a subies dans les
geôles françaises, le grand comédien, Mohamed Touri, ravit toujours ses fans à chaque rediffusion
de ses sketchs par la télévision.
Le comédien nous fait encore rire. Son sketch «Bkhour ya bkhour» est l’un des plus
célèbres, la télévision le rediffuse d’ailleurs à certaines occasions. Né le 9
novembre 1914 à Blida, Mohamed Touri,
de son vrai nom Besnassi Mohamed,
est l’un des plus grands comiques de l’histoire de l’Algérie. Issu d’une
famille conservatrice, il débuta par M’sid Ellouha (l’école coranique)
chez cheikh Berboucha dans
la ville des Roses et alla se perfectionner à Constantine au niveau de la
medersa dirigée par l’association des oulémas. Touri ne pouvait rater sa carrière de
comique.
En effet, le jeune Blidéen avait
toutes les qualités d'artiste et avait des dons pour faire rire son entourage.
Sa grande taille, ses longs bras et son don de l’improvisation ont fait de lui
l’un des artistes les plus aimés de son époque.
À 14 ans, il adhéra à l’association El Amel des Scouts.
Cette troupe avait été créée par Moussa Kheddioui, le père fondateur de toutes les
associations blidéennes,
au début du siècle dernier.
Le jeune Touri se
fit remarquer au sein de ce groupe mais voulut persévérer et apprendre
sérieusement le métier d’artiste. Pour cela, il rejoignit l’association
El Hayat que dirigeait le grand maître de la musique andalouse, Mahieddine Lakhal. C’est là qu’il fera
connaissance avec des professionnels tels que Dahmane Benachour et Benguergoura. À cette période,
Blida était l’une des villes les plus actives en matière d’art. Mustapha Bentchoubane suivit la voie
de Rachid Ksentini, le
comédien algérien le plus doué de tous les temps. La concurrence était
rude car à Alger d’autres comédiens allaient monter sur scène. Rouiched faisait ses débuts
dans la troupe Réda Bey -dirigée par Mahboub Stambouli-
en jouant son premier rôle dans le sketch «Dara fe square»,
alors que Sid Ali Houat dit Fernandel allait faire un tabac avec ses chansons «Balek metrig» et «Yemma merti ouana».
Badreddine Bouroubi, qui est également un
grand chanteur, compositeur et comédien comique, a fait partie de la troupe
Réda Bey. Durant la même période, Hassan Hassani avait aussi créé une
troupe à Berrouaghia et
se préparait à faire une entrée fracassante dans la capitale.
Passant au statut de professionnel, Mohamed Touri rejoindra la troupe
de Bachtarzi qui
lui ouvrira les portes du théâtre radiophonique parallèlement à sa
participation aux tournées Mahieddine.
Suivant la voie de Ksentini, Touri se fera connaître pour
ses rôles dans «Le boxeur», «Zâit»», Mâit ou Neggaz el hit» et «»Bouhadba dont certains textes
auraient été écrits par lui. En 1942, Mohamed Touri décida, sur conseil de Rachid Ksentini, d’aller tenter sa
chance à Alger, où l’ambition de monter sur le plancher scénique du grand
théâtre de la capitale était soumise à une rude concurrence.
Juste appréciation de l'interprétation
remarquable d'un comédien qui s'était aguerri au contact des planches depuis
des années aux côtés, notamment, de Fatma Rochdi et
Mohamed El Kamel, après qu’il s’était confirmé dans son profil artistique de
prédilection tout désigné du comique, pour ne pas dire tragi-comique. Autant
dans la vie courante il se caractérisait par un ton naturel, triste, autant il
apparaissait comme tel sur scène, renforçant souvent l’intensité dramatique de
certaines scènes émouvantes.
Le Buster Keaton
algérien
Et quoiqu’il suscite les éclats de rire du
public autour de lui, faisant crouler toute une salle, il n’esquissait jamais
lui-même l’ombre d’un sourire. Après le débarquement des alliés durant la Seconde
guerre mondiale et ses répercussions en Algérie, l’artiste fut contraint, comme
tous ses égaux, à interrompre sa carrière artistique et dut reprendre son
premier métier de maçon. Mais en 1946, délaissant la truelle, il entreprend une
tournée au Maroc en compagnie de la future star Keltoum,
s’offrant l’opportunité là-bas de se produire dans plusieurs pièces théâtrales,
dont «Si El Houari», «El Hamel» et «Le champion». Mohamed Touri,
qui fut arrêté auparavant en 1956 par les autorités coloniales et incarcéré à Serkadji pour ses principes nationalistes et ses contacts
avec des membres influents du mouvement national jugés subversifs, ne pouvait,
de ce fait, faire partie de cette troupe artistique du FLN, tout comme Hassan
El Hassani, Tayeb Abou El Hassan, Mohamed Ouniche, et beaucoup d’autres artistes qui étaient soit en
détention, soit montés au maquis. Ce qui expliquerait probablement pourquoi son
nom ne figure pas dans la liste des trente-cinq membres de la troupe artistique
du FLN du fait de son incarcération ; entre-temps, cette absence ne diminuant
en rien le grand mérite du militantisme d’un tel artiste profondément voué à
son peuple et à sa patrie. Mohamed Touri aura légué,
auparavant, à la postérité, une vingtaine de pièces théâtrales, une douzaine de
sketches humoristiques et quelques adaptations du répertoire universel qui
l’ont confirmé dans son rôle de concepteur et interprète professionnel. Parmi
ses représentations où il s’affirma avec brio, on pourra citer Le médecin
malgré lui, adapté de l'œuvre de Molière, le sketch Bkhor
ya bkhor, etc, et pour ce
qui concerne ses nombreuses chansons satiriques, citons Bent
El Youm, Flouss, Samba Sambatero, Ya Moul Dar, Debek et Debka, Bouhadba, etc. Suivant l’ordre chronologique des
productions de Mohamed Touri, le professeur Bayoudh énumère dans son ouvrage les œuvres suivantes :
Pourquoi tu es perdu», Au café, Mon bonheur, Docteur Allel,
datant toutes de 1940 ; Hier et aujourd'hui, Salek ya Salek, adaptation de
Molière en 1949 et Zat Zalamit
en 1951 ; Boukricha, Le Bossu en 1953. Sorti très
éprouvé des geôles colonialistes, Mohamed Touri ne
survécut pas longtemps aux séquelles des terribles sévices endurés, il rendit
l’âme le 29 avril 1959 et fut enterré le lendemain, le 30, dans d’émouvantes
obsèques. Le vaillant artiste qui avait servi loyalement l’art et son pays
n'avait alors que 45 ans, n’ayant pas eu l’opportunité de voir les lueurs de
l’indépendance. Mohamed Touri repose au cimetière
Sidi El Haloui de Blida, depuis le 30 avril 1959, la
ville des Roses où une salle de spectacle porte son nom, en hommage à ce
valeureux et noble artiste algérien, réputé de son vivant pour sa grande
modestie et son dévouement pour son peuple et sa patrie. Une salle de
spectacles porte son nom aussi à Blida.