VIE POLITIQUE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- ESSAI HOCINE BELALOUFI –« ALGERIE
2019/2020….. »
Algérie 2019-2020. Le peuple insurgé. Entre réforme et
révolution. Essai de Hocine Belalloufi, Koukou Editions, Cheraga Banlieue
(Alger), 2020, 217 pages, 800 dinars
Le mouvement
populaire né le 22 février 2019 et baptisé Hirak
par une grande majorité de participants et d’observateurs n’est pas
le premier dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Les masses en révolte
firent déjà irruption sur la scène politique nationale en 1980, 1988, 2001,
2011. Ceci sans compter les révoltes populaires limitées dans le temps et
l’espace. Avec , la plupart du temps, bien des dégâts
matériels et, hélas, beaucoup de morts. Avec , aussi,
des conséquences désastreuses lesquelles, pour certaines, durent encore
aujourd’hui.
Mais, le Hirak, lui, dure
encore…..toujours national, massif, général et pacifique. Chaque Vendredi
(auquel il faut ajouter le Mardi pour les étudiants et les lycéens….et
certaines journées nationales comme le 8 mars, Journée internationale de la
femme) , sans exception depuis plus d’une année, on
sort en masse dans les rues des principales villes (grandes et moyennes
ou même petites) des 48 wilaya : hommes, femmes, jeunes , vieux, parfois
des enfants….toujours en grand nombre. Qu’il pleuve ou qu’il vente, en hiver
comme en été…et durant le Ramadhan. Presque toujours en des lieux devenus
emblématiques. Un slogan dominateur : « Yetnahaw
Gâa » (« Qu’ils dégagent tous »). Des images , des gestes et des mots d’ordre qui ont fait
l’admiration internationale et le tour du monde. Et, aucun dégât matériel.
Hélas, trois décès….Des malaises cardiaques.
L’auteur présente certaines de ses caractéristiques
principales :
Un mouvement non structuré, ne possédant ni direction
ni représentants attitrés et ne se reconnaissant dans aucun parti
, syndicat, association, collectif ou personnalité.
Un mouvement de contestation du caractère autoritaire
du pouvoir (au départ avec son refus d’un 5ème mandat présidentiel
d’un homme cloué sur une fauteuil depuis plusieurs
années et ne s’exprimant plus…puis avec un slogan « Système dégage »)
Un mouvement qui veut se réapproprier les articles de
la Constitution évoquant la souveraineté nationale …. « qui appartient exclusivement au peuple »
Pas d’anti- militarisme béat, visant donc bien plus
des individus que l’institution.
Une dimension sociale évidente…..afin de dénoncer la
dégradation continue des conditions de vie et l’explosion des
inégalités sociales souvent scandaleuses
La dénonciation de la corruption endémique qui ravage
le pays
Etc….
En résumé , un objectif
politique immédiat : le changement de régime, la fin de la spoliation des
richesses du pays par une minorité oligarchique, la défense du pays face à
l’impérialisme (français, américain…) , au sionisme, à la réaction arabe…
Bref, un mouvement ne se limitant pas à revendiquer
quelques retouches cosmétiques, mais entendant recouvrer une souveraineté qu’il
estimait bafouée pour changer les règles du jeu politique et l’ architecture institutionnelle…..un réel changement
de régime sans être lui-même candidat au pouvoir. « A ce stade, il restait
un mouvement de réforme radicale ». Mais un mouvement qui a choisi la
tactique de pression-négociation (une transition….comme au Soudan !) , en lieu et place d’une tactique
d’affrontement-renversement…..car, « aujourd’hui, ceux d’en bas ne veulent
plus, mais ceux d’en haut peuvent encore. L’Algérie ne connaît pas de situation
révolutionnaire de double -pouvoir ».D’où, pour l’auteur, une telle
situation implique de passer un compromis permettant d’éviter que l’expérience
s’achève sur un nouvel échec du peuple algérien. Encore faut-il que les tâches,
stratégique et tactique et l’indispensable bataille idéologique « ne
pourront être prises en charge que par une volonté commune, un intellectuel
collectif, un Prince moderne »……c’est-à dire un parti (« les partis
sont nécessaires et utiles ») …. .le parti « de ceux qui n’en ont
pas aujourd’hui »…un parti « porteur d’un projet d’émancipation des
travailleurs et des dominés, mais implanté dans la masse de la population
laborieuse » .Nécessaire et même indispensable, dit-il. Tout est
dit !
L’Auteur :Journaliste indépendant et
militant de gauche. Auteur déjà de deux essais (voir ci-dessous)
dont le premier est intitulé « Grand Moyen-Orient : guerres ou
paix ? » (2008).
Sommaire : Introduction
( Réforme ou révolution ?) / Première
partie : Le peuple s’empare de la revendication démocratique/ Deuxième
partie : Aux origines de la crise/ Troisième partie : Enjeu immédiat
et perspectives/ Conclusion ( Les
chantiers de la reconstruction)
Extraits : « Nous
restons, donc, au moment où ces lignes sont écrites, dans une situation où ceux
d’en bas ne veulent plus, mais ne peuvent pas encore et où ceux d’en haut ne
sont pas dépourvus de moyens » (p 12), « C’est au sein du pouvoir qui
brade la souveraineté nationale et plonge le peuple dans la misère que se
trouvent les plus influents et solides relais de l’impérialisme » (p 15),
« Le régime algérien (de A. Bouteflika) n’est ni monarchique ni
véritablement républicain. Ce n’est ni une dictature, ni une démocratie. Ni une
théocratie ni un régime laïc. S’il n’est pas pro-impérialiste, il n’est plus
anti-impérialiste. Il n’est pas ultra libéral, mais n’est pas antilibéral. Son
incapacité à trancher les contradictions de la société et celles qui le
traversent reconduit en permanence les conditions de la crise. Cet immobilisme
révèle une incapacité à se réformer » (p 51), « Pour les forces
attachées à l’option socialiste, le coup d’Etat du 19 juin 1965 constitua une
défaite politique historique qui mit fin à la tentative de remise en cause des
rapports de production capitalistes…….Pour autant, ce coup de force ne
constitua pas un coup d’Etat pro-impérialiste d’une force de droite porteuse
d’un projet de capitalisme libéral associé à l’ancienne puissance occupante
dans le cadre d’un rapport néocolonial » (pp 88-89), « Le régime de
Bouteflika , même sans Bouteflika, ne peut donc se réformer. Il peut être forcé
à le faire, ce qui ouvre à terme, à l’issue d’une transition, la voie à sa
disparition » (p 136)
Avis : Un
livre très , très, très engagé , très , très
direct . Un livre écrit par un journaliste expérimenté, fin observateur de la
vie politique et sociale…..et militant anti- capitaliste sincèrement
convaincu.
Citations : « Le
mouvement populaire né le 22 février 2019 et baptisé Hirak
par une majorité de participants et d’observateurs n’est pas le premier dans
l’histoire de l’Algérie indépendante. Les masses en révolte firent déjà
irruption sur la scène politique nationale en 1980, 1988, 2001, 2011.Mais
jamais de façon à la fois aussi durable, massive, unitaire, générale,
pacifique » (p 19), « Les véritables fomentateurs de révolutions ne
sont pas les révolutionnaires mais des régimes autoritaires » (p 47),
« On peut dire que le régime algérien fut conçu dans les années vingt du
siècle dernier, plus précisément lors de la formation de l’Etoile
Nord-Africaine (Ena).Particulièrement mouvementée, la
grossesse dura près de trois décennies avant que sa mère, la nation algérienne,
ne lui donna officiellement naissance le 5 juillet 1962, à la suite d’un
accouchement au forceps qui dura près de huit années »( p 121),
« Toutes les armées du monde font de la politique. Aucune d’entre-elles
n’est neutre. Toute la question est de savoir quelles politiques elles mènent
et au service de qui elles les mènent » (p 192)