CULTURE-
MUSIQUE- KHELIFI AHMED
Surnommé
le chanteur de la steppe, Khelifi Ahmed est le plus
célèbre interprète du genre bédoui. Avec sa voix
puissante et chatoyante, il a incarné à lui seul pendant près d’un demi-siècle
le genre Ayèye Ayèye, cette
forme musicale typiquement algérienne.
Khelifi Ahmed a interprété les
grands poètes du melhoune, tels Mohamed Ben Guittoun de Sidi Khaled, Cheikh Smati d’Ouled
Djellal, Abdellah Ben Keriou de Laghouat et Aissa Ben
Allal de Ksar Chellala.
Chantre de
la musique bédouine, il garde sur scène son apparat du passé avec son burnous
et ses chaussures typiques de sa région steppique. Il incarnera durant près
d’un demi-siècle ce genre bédoui caractérisé par des
vocalises sur les deux syllabes «Ayèye-Ayèye» accompagnées des complaintes du couple guesba-bendir interprété par ses
fidèles compagnons, Saad et Kaddour, à la flûte et Dahmani à la percussion. Khelifi
Ahmed, de son vrai nom Ahmed Abbas Ben Aïssa, est né
en 1921 à Sidi Khaled dans la wilaya de Biskra. Issu d’une famille paysanne
aisée des Ziban et propriétaire d’une palmeraie.
Instruit à
l’école coranique, le jeune homme est initié au chant et à la poésie populaire
par son oncle maternel Hadj Ben Khelifa, meddah (conteur public), un des plus anciens chanteurs du
genre saharien qui avait, en 1933, enregistré avec grand succès chez Anouar et
Bachir Essaïssi en Tunisie une chanson sur l’héroïne
de Mohamed Ben Guittoun, Haïziya.
Il introduisit son neveu dans la chorale de la confrérie Rahmania
qu’il dirigeait et lui permit de participer aux soirées qu’il animait dans la
région de Messaâd et Biskra et cela jusqu’en 1939.
C’est le nom de son oncle qu’Ahmed Abbas Ben Aïssa va
prendre pour nom de scène, «Khelifi Ahmed».
À la
suite d'une période de sécheresse de plusieurs années ayant entraîné la ruine
de la famille et la vente du patrimoine, le jeune Khelifi,
réduit à la misère, émigra en 1941 et se réfugia chez une de ses sœurs à Ksar Chellala. Là, il fit une rencontre décisive, celle de Djerbi, menuisier de son état, qui l’engagea comme apprenti
et le fit vivre au milieu de sa famille. Un des fils, joueur de mandoline,
l’entraîna, en raison de ses dispositions pour le chant, dans les soirées
intimes que les jeunes organisaient dans la région, développant ainsi son goût
pour la musique. C’est dans cette famille qu’il viendra prendre femme, plus
tard, en 1951. En 1943, Khelifi Ahmed monte à Alger,
recommandé auprès d’un religieux, conservateur de la mosquée de Sidi M’Hamed à Belouizdad, qu’'il assistera lors de la réception des
pèlerins et participant toujours aux soirées de Med’h,
lors des fêtes et cérémonies religieuses. Boudali Safir,
directeur artistique de Radio-Alger, instruit du talent du jeune homme, lui
fait appel, en 1947, afin de lui confier l’orchestre bédouin qu’il avait créé. Khelifi fait sa première émission avec Ahmed Ababsa au piano et, lors des émissions suivantes, il
s’adjoint un ami qu’il connut lors des quatre années passées à Sidi M’Hamed,
Sid Ali Touil, bon luthiste et connaisseur du Med’h.
C’est
en 1949 que Khelifi se lance dans la musique typique
du Sud avec l’emploi des flûtes et son fameux «Ayèye Ayèye». Cette année-là, il entame une tournée en Algérie
avec la troupe d’Abdelhalim Raïs. Malheureusement
pour lui, cette tournée fût interrompue à Annaba sur ordre de l’administration
coloniale. Khelifi Ahmed se réfugie à Constantine
auprès de la confrérie Kettania. En 1952, il
collabore à l’émission «Min koul féne
chouiya» de Mohamed El Habib Hachelaf.
Il enrichit son répertoire et certaines de ses interprétations des poèmes des
maîtres du passé connaissent un grand succès, tout particulièrement «Guelbi tfekkar ourban rahalla» de Cheikh Aïssa Ben Allal. Il participe également à une émission
voisine «Badawi Âsri» qui
était une tentative de modernisation du genre saharien, animée par Rahab Tahar et à laquelle participe également un orchestre
moderne sous la direction de Mustapha Skandrani. Khelifi Ahmed devient, dès l’indépendance, une vedette très
courtisée par les médias, s’imposant comme le maître incontesté du «Ayèye Ayèye».
En
1966 il reçoit le Prix de la chanson traditionnelle pour la maîtrise parfaite
et l’interprétation superbe d’une œuvre très connue, «Qamr
Ellil» d’Abdellah Benkerriou. Il participe à la semaine culturelle algérienne
à Paris en 1972 ainsi qu’à plusieurs représentations à travers le monde arabe.
Le maître décroche des distinctions des hautes autorités des Etats visités,
ainsi que des institutions spécialisées en matière de préservation et de
développement du patrimoine populaire. À partir de 1989, Khelifi
Ahmed se retire de la scène artistique après avoir participé à la première
semaine culturelle organisée en Arabie Saoudite en décembre 1987, ainsi qu’à
une grande tournée artistique organisée au Maroc en juillet 1988. Dans le cadre
de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe en 2007», le ministère
de la Culture lui consacre un coffret de dix CD ainsi qu’un livre reproduisant
la plupart des œuvres qui ont fait sa célébrité. Cette publication a été conçue
et réalisée par Abdelkader Bendamèche et organise un
hommage à la salle Ibn Khaldoun à Alger le 15
décembre 2011 en reconnaissance à la dimension de sa personnalité et pour son
apport au patrimoine immatériel national algérien. Éternel défenseur des
valeurs anciennes, Kelifi Ahmed se définit comme le
«Palmier du cœur de l’Algérie».
Il est
décédé le 18 mars 2012 à Alger laissant derrière lui un riche héritage.