VIE
POLITIQUE – BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI SAID SADI- « REVOLUTION DU 22
FEVRIER.UN MIRACLE ALGERIEN
Révolution du 22 février. Un miracle
Algérien. Recueil d’articles de Said Sadi. Editions Frantz Fanon, Tizi
Ouzou, 2019 , 252
pages, 900 dinars
Ce n’est pas un essai au sens classique du terme,
mais tout un recueil de contributions de
presse, d’entretiens et de conférences
(en Algérie et à l’étranger) s’étalant du 13 février 2019 au 15 octobre 2019.
Donc, suivant de près, de très près l’évolution du Hirak.
Pas tout le Hirak mais une assez bonne partie….surtout
celle qui a connu le plus de tensions, d’interrogations, d’espoirs et, aussi,
de désillusions (celles-ci venues par la suite).En tant qu’homme politique,
bien que n’étant plus que simple militant du parti qu’il avait fondé, il
participe ….aux marches, tout particulièrement au tout début ( à trois dans la
capitale) , et, surtout au débat général
et public sur les sources et les raisons de la « Révolution du 22
février » , son déroulement, sur les problématiques soulevées, ainsi que
sur son devenir (celui de la Révolution …pas le sien .N’affirme-t-il pas que « l’ancienne génération doit
s’effacer. Même la mienne doit savoir se rendre utile sans avoir de prétentions
à l’exercice du pouvoir » ).
Ce qui est absolument certain, c’est que notre
bonhomme n’a pas changé d’un iota….au niveau du discours cela s’entend. Un
discours que l’on sent émerveillé par le nouveau miracle algérien ; une
« révolte » populaire pacifique mais décidée. Un
« miracle » qui , dit-il ,et on le
croit, va marquer son temps. Un miracle national de surcroît car s’étendant
partout à travers le pays. Enfin ! Car on sent qu’encore chez lui demeure
la souffrance des « échecs » des luttes menées lors du
« Printemps berbère » (1980) et après les « événements d’Octobre
88 » et qui ont coûté tant et tant de vies. Une souffrance encore plus
grande lorsque sont évoqués les multiples « détournements » et les
dérapages tragiques passés de la Révolution algérienne durant la fin des années
50 (dont l’assassinat de Abane Ramdane
par ses compagnons d’armes), et au début des années 60 (avec une Constitution
« prostituée dans un cinéma » pour emprunter à Ferhat Abbas).
Des idées maîtresses (des « idées
fixes » ?) récurrentes…..
celles du militant de la politique et de la berbérité.
Une obsession, celle du politicien au long cours qui connaît bien le
système. Un traumatisme, celui du
militant ayant connu les « coups tordus », la répression et l’emprisonnement , parcourent les écrits. Trois
principales :
L’anti-militarisme (avec
une « tête de turc », le chef d’état-major de l’époque), la nécessité
de « transformer la mobilisation populaire en rapport de force
politique » donc de l’ « organisation » du mouvement afin
d’éviter que la lutte ne soit récupérée (« La mise en forme de
l’insurrection citoyenne devient maintenant une urgente nécessité » ,p 116, 28 avril 2019… « Les manifestations des mardis (étudiants) et
vendredis( population) ….doivent se maintenir et se renforcer mais auxquelles
il urge de donner une visibilité et une lisibilité légitimes et
crédibles », p 200, 31 août 2019), et l’appel aux moyens de lutte
pacifiques certes mais originaux comme les actions de désobéissance civile (« elles sont le
contraire de l’action violente » , p 180, Conférence Ottawa, 21 juillet
2019) et des grèves générales
(« qui ne sont pas des grèves illimitées », p 180)
L’Auteur : Né en août 1947 à Aghribs….Médecin psychiatre, membre fondateur de la Ladh, à l’origine de la création de la première section
d’Amnesty International en Algérie, plusieurs fois emprisonné (car très tôt
engagé dans le combat pour la réhabilitation de l’identité amazighe et la
défense des droits humains) , fondateur (en février
1989) du Rcd qu’il dirigera jusqu’en mars
2012. Deux fois candidat à l’élection présidentielle, élu deux fois député de
la Capitale à l’Apn..... Auteur de plusieurs ouvrages ( huit dont un, une biographie, sur « Chérif Khaddam… » en 2015 et un
premier, « Askuti » en 1983…..puis en 2016
en amazigh)
Sommaire : Avant-propos/ Articles et
/ou textes (31). Et, beaucoup de notes explicatives – très utiles- en bas de
pages…..de l’éditeur. Original, non ?
Extraits : « A force de museler la
parole et de soumettre les consciences, le système algérien a fini par user les
énergies les plus vigoureuses et éroder les intelligences les plus aiguisées. Jouant
de la culpabilité post-coloniale, il s’est acheté le
silence universel » (p 12), « Le pays est déserté par la conviction
et le dévouement .L’engagement n’est consenti que s’il est suivi par un retour
sur investissement rapide et vénal. L’Histoire longue est abolie » (p 19),
« Ce n’est pas à l’armée de porter des jugements sur le peuple ou d’en
être fier mais au peuple d’être fier de son armée ; faut-il encore qu’elle
le mérite » (p 47), « En fait , l’architecture administrative algérienne
a été plus dictée par le complexe du colonisé ; soucieux de ressembler au
maître, que par la nécessité de créer un Etat selon l’histoire, le vécu et les
besoins des populations » (p 92), « L’appel du peuple est
simple : « Système dégage ».Et si le dégagisme
n’est pas une solution ; en la circonstance, il en est un postulat »
(p 100), « Soulagée des interférences toxiques moyen-orientales, la
révolution algérienne a plus de chance d’arriver à bon port et constituer un
exemple vertueux pour le processus de démocratisation du sous-continent
africain » (p 236)
Avis : Ouvrage dédié à Lakhdar
Bouregâa et à Samira Messouci
et « à toutes celles et ceux qui ont osé la dignité ». Un ton et un
style qui n’a pas changé. Direct et fidèle à sa ligne…..Le style et le ton du
discours politique peuvent apparaître un peu « vieillots » ?
Surtout à la génération des « 2000 » !
Citations : « L’armée
algérienne, pour ce qui la concerne, a pris le pouvoir en 1962 pour imposer
l’islamo-socialisme comme matrice doctrinale, marécage dans lequel ont prospéré
les malentendus les plus obscurs » (p 24), « Les Algériens n’ont pas
gagné leur indépendance parce qu’ils disposaient d’une force supérieure à celle
de l’armée française. Ils se sont libérés le jour où ils ont compris qu’il n’y
avait rien à espérer de l’ordre colonial » (p 32), « Il y a des
complots dans l’Histoire, mais l’Histoire n’est pas réductible à un
complot » (p 60), « La justice à la carte est l’une des facettes les
plus insupportables de l’injustice » (p 84), « Confondant causes et
effets , le militaire d’après guerre n’a pas saisi que l’absence de
liberté était génératrice de régression morale et matérielle » (p 113),
« A vouloir tout avoir, on finit par déchoir » (p 125), « En
soi, le débat libre et serein ne peut être que bénéfique dans un pays dans un
pays où le citoyen a plus souffert de déficit de parole que d’abus d’expression
autonome » (p 191) , « Revendiquer à la face du monde le droit de
dire et de faire dans son pays ce que dicte sa conscience de citoyen est un
droit et un devoir. L’ingérence, c’est de quémander la caution de tiers pour
bâillonner son peuple en livrant la patrie à la razzia » (p 250