CULTURE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI KARIM KHALED- « LES INTELLECTUELS
ALGERIENS……….. »
LES INTELLECTUELS ALGÉRIENS.EXODE ET
FORMES D’ENGAGEMENT. Essai de Karim Khaled
(préface de Aïssa Kadri). Editions Frantz Fanon, Tizi
Ouzou, 2019 , 248
pages, 800 dinars
La migration
intellectuelle algérienne. Comment mais surtout pourquoi ? Telle est la
problématique de l’ouvrage.
Jusqu’ici,
beaucoup, tout particulièrement les « producteurs des savoirs sur
commandes » et « les logiques
scientistes des institutions internationales » ont travaillé sur des catégories d’analyses centrées surtout
sur la crise sécuritaire des années 90 et/ou la précarité socio-économique.
Une voie de
recherche facile ou, surtout, arrangeant bien des « pouvoirs »
d’ici et d’ailleurs. Chez nous, on (un officiel, ministre de son état ) est même allé (décembre 2011) jusqu’à accuser la
« fuite des cerveaux » d’acte relevant de la « trahison envers
la mère –patrie ».C’est tout dire !
L’auteur remonte à
bien loin pour chercher, trouver et livrer les causes profondes et réelles de
l’exil, que celui-ci soit vers l’extérieur ou dans son propre pays.
Comme le précise
d’emblée le préfacier, la champ d’analyse a abordé
l’analyse dans les années 80,…..les catégories sociales concernées ayant été
très vite objets, lieux et enjeux de débats idéologiques, notamment à partir de
l’avancée du processus d’arabisation. Mais pas que…..tant il est vrai que
l’intellectuel et/ou tout ce qui lui est apparenté a ,
toujours, été mal considéré .
En fait, l’attitude
anti-intellectuelle face à la migration algérienne date des années 20 …
On a eu d’abord le
sentiment de méfiance durant la crise dite « berbériste » .
Puis , durant la guerre de libération nationale ,
on a eu , notamment dans l’affaire dite « la bleuite »,
beaucoup de lycéens et d’ étudiants ayant rejoint les maquis, subissant un sort
funeste.
L’Algérie
indépendante va, dans la foulée connaître
un syndrome anti-intellectuel qui ne l’a pas encore totalement quitté.
Les années 90 ont
vu l’assassinat par les terrorismes islamistes de tous ceux qui portaient une
cravate, ou portaient un cartable ou écrivaient ou pensaient différemment …On a
alors assisté à de nouvelles
migrations… fuyant les menaces, le
nationalisme politique hégémonique , une université
prise aux pièges de son fonctionnement idéologico-administratif et de la « recherche utile »……
Mais il n’y a
pas que la migration des intellectuels
qui est interrogée. Il ya , aussi, la question de
l’autonomie intellectuelle –par rapport à l’Etat et la société - qui est
analysée….C’est évident, « l’effet le plus marquant de l’émigration est
d’avoir modifié les frontières sociales qui séparent les groupes en donnant aux
émigrés, particulièrement les catégories intellectuelles , les moyens d’une
promotion venant de l’extérieur » (Aissa Kadri). Et ce n’est pas peu, d’autant que cette
autonomisation s’inscrit généralement dans la rupture avec l’unanimisme
national et les mythes nationaux jusque-là prégnants. On le remarque bien cette
dernière décennie et tout particulièrement depuis février 2019, avec la rôle et
la présence (tout particulièrement au niveau des réseaux sociaux et des
télévisions) de personnalités – des diasporas
- ayant une certaine « épaisseur » intellectuelle et politique…..que
l’on soit pour….ou contre.
L’Auteur : Docteur en sociologie (Paris
8/France). Chercheur au Cread (Alger, 1998-2018) puis
à l’Institut national de recherche en Education, Inre
(Alger).
Table des matières :Les « quatre
âges » de l’ émigration intellectuelle algérienne/Etat
« épistémique » et usage
pratique de l’identité en Algérie/ Dynamique des formes identitaires du
nationalisme algérien et crise de médiation politique/ Crise de médiation dans
le « nationalisme hégémonique » et émergence des
« identités clandestines » / La migration intellectuelle
algérienne/L’enseignement supérieur et la formation des « foyers migratoires
intellectuels dormants »/Les identités sociales et professionnelles aux
sources de la migration intellectuelle en Algérie/ Crise des transactions
sociales au sein des systèmes institués et l’émigration intellectuelle en
Algérie /Conclusion/ Bibliographie
Extraits : « Le nationalisme et
son avatar, le populisme, ont été les principaux supports de processus qui ont
gelé et contrecarré l’émergence de la conscience de la citoyenneté » (Aissa Kadri, p13),
« L’interférence du politique depuis les réformes des années 1970 a
dénaturé et domestiqué les savoirs en Algérie » (p 20),
« L’émigration intellectuelle algérienne n’a rien d’économique. Elle est
purement politique, amorcée et « boostée » par un nationalisme
hégémonique qui empêche l’émergence des individus pensant, sensés prendre
librement leur destin social en main » (p 109), «.La gestion des
institutions de savoirs a, à vrai dire, perverti le fonctionnement naturel des
métiers intellectuels. Elle les a privés d’autonomie, de liberté d’entreprendre
et d’organisation individuelle et
collégiale.ces dysfonctionnements d’ « ici » et le contact
d’ « ailleurs » , dans le cadre des politiques de formations et
de recyclages depuis les années 1970-1980, ont alimenté davantage le désir
d’émigration » (p 160), « Les augmentations salariales en 2008 ont contribué
à la perte du sens du mérite et de la compétition intellectuelle au sein de
l’institution universitaire ;l’université a, à cette occasion, achevé de
perdre son esprit académique » (p 171)
Avis : Destiné beaucoup plus aux
chercheurs et aux étudiants en anthropologie (politique) et sociologie…..ainsi qu’aux (nouveaux)
décideurs politiques…..afin qu’ils puissent – si possible- réparer les profonds
dégâts déjà causés…..et entreprendre une véritable « refondation »
Citations : « La culture politique en
Algérie, comme produit de l’Histoire, est soumise à l’impensé et à
l’impensable. Ce processus d’occultation systématique et systémique est un
mécanisme de perpétuation à la domination hégémonique de la société par le
Pouvoir d’Etat » (p 58), « Oublier ou vouloir faire oublier
l’histoire réelle de la société , c’est vouloir
« instituer le mensonge »( p 64), « Le problème de
l’intelligentsia algérienne est un problème purement politique. Il ne peut y
avoir des corps sociaux intermédiaires réflexifs dans une ambiance idéologique
unanimiste qui s’est forgée dans les institutions au nom du nationalisme
statutaire » (p 86), « La formation sociale réflexive (de
l’individu) ne peut se réaliser sans la
liberté, elle-même entretenue et garantie par le droit » (p 90) ,
« Il n’y a pas d’individus dans le peuple, corps homogène et compact qui
n’a pas besoin du droit pour se reproduire » (Lahouari
Addi cité, p 91), « L’exil et l’asile des
intellectuels sont des caractéristiques sociohistoriques qui ne concernent que
des Etats dictatoriaux. Les système politiques autoritaires instaurés juste
après les indépendances sont les causes principales et le noyau central de
l’effritement et de l’hémorragie du champ intellectuel dans ces pays » (p
133)