SCIENCES-
RECHERCHE SCIENTIFIQUE- CORONAVIRUS/COVID 19- ENTRETIEN PR KAMEL SANHADJI/LE
SOIR D’ALGERIE (EXTRAITS)
©Maâmar Farah/Le Soir d’Algérie, 5 avril 2020
Pouvez-vous nous rappeler l’origine probable du virus causant la
maladie Covid-19 ? Quel est son mode de transmission
? Quels sont les symptômes ?
Le nouveau coronavirus (SRAS-CoV-2), à l’origine de
la maladie Covid-19 (2019), dont l’expression peut
aller d’un simple rhume à un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), fait
partie d’une famille de virus dont certains peuvent infecter les humains,
entraînant le plus souvent des symptômes bénins comme le rhume. Cependant,
trois épidémies mortelles sont déjà survenues durant cette dernière décennie
dont celle du Covid-19 causée par le virus SRAS-CoV-2. Elles ont impliqué des coronavirus émergents,
hébergés par des animaux et soudain transmis à l’homme comme le SRAS-CoV en 2003 (rebaptisé tout récemment SRAS-CoV-1) et le virus MERS-CoV en
2013 à l’origine du syndrome respiratoire du Moyen-Orient. Alors que l’épidémie
liée au coronavirus SRAS-CoV-2 se propage dans le
monde, la recherche se mobilise pour accélérer la production des connaissances
sur ce virus, sur la maladie qu’elle provoque Covid-19
ainsi que les moyens de la guérir et de la prévenir.
Sur le plan de l’histoire de la maladie Covid-19, le
nouveau coronavirus, le SRAS-CoV-2 (à l’origine
baptisé 2019-nCoV), ce sont maintenant sept
coronavirus qui se transmettent à l'être humain : HCoV-229E
et HCoV-0C43, tous deux découverts dans les années
1960 ; le SRAS-CoV-1 découvert en 2002 ; le HCoV-NL63 découvert en 2004 aux Pays-Bas ; le HCoV-HKU1, découvert en 2005 à Hong-Kong et enfin le MERS-CoV découvert en 2012. En fait, la famille des coronavirus
est composée d’une cinquantaine de virus spécifiques des animaux
(chauve-souris, pangolin, chat musqué…). Peu d’études ont été effectuées dans
cette famille car, jusqu’à récemment, les maladies causées par les coronavirus
sont très bénignes.
Le coronavirus a la particularité de pouvoir muter (se modifier pour s’adapter)
très facilement, ce qui inquiète les autorités au sujet du Covid-19
causé par le SRAS-CoV-2. En effet, les coronavirus ne
possèdent pas de système de correction d'erreur au moment de la réplication
(reproduction) de leur ARN pouvant ainsi engendrer de façon aléatoire des mutants
plus ou moins virulents.
Chez l'homme, les coronavirus sont à l'origine de pathologies pulmonaires, plus
précisément d'une infection respiratoire plus ou moins grave causant le SRAS
(syndrome respiratoire aigu sévère), qui s'accompagne parfois de gastroentérite.
D’autres signes tels qu’un écoulement nasal, des maux de crâne, de la toux,
sont rencontrés dans la plupart des infections à coronavirus courants, comme le
229E, NL63, OC43 et le HKU1, et n'entraînent que des symptômes bénins selon le
Centre de contrôle des maladies et de prévention aux Etats-Unis.
A noter qu’une étude chinoise récente affirme que les mutations du SRAS-CoV-2 ont entraîné le développement de deux souches
distinctes : la souche S (celle d’origine qui représente 30% des cas) et la
souche L, plus agressive et représentant 70% des cas.
Tous ces signes cliniques n’ont de sens qu’accompagnés d’un test biologique
positif.
Quant au virus lui-même, le SRAS-CoV-2, il s’agit
d’un virus avec un grand ARN (il y a aussi des virus à ADN). Il est de grande
taille par rapport aux autres virus. Sa grande taille constitue un obstacle à
son passage à travers des filtres (masques). La transmission interhumaine,
c'est-à-dire de personne à personne, est confirmée. La maladie se transmet par
les voies respiratoires, à travers les postillons (éternuements, toux), avec
une projection ou un contact directs. On considère qu’un contact étroit avec
une personne malade est nécessaire pour transmettre la maladie, ceci dans le
cadre d’un même lieu de vie, un contact direct à moins d’un mètre lors d’une
toux, d’un éternuement ou lors, par exemple, d’une discussion en l’absence de
mesures de protection. Aucun autre mode de transmission n’a, à ce jour, été
identifié comme l’air ou l’eau.
Quant aux symptômes de la maladie Covid-19, l’OMS a
analysé les symptômes du Covid -19 sur près de 56 000
cas confirmés en Chine. Les signes et leurs fréquences sont comme suit : fièvre
(88%), toux sèche (68%), fatigue (38%), expectorations ou flegme épais des
poumons (33%), essoufflement (19%), douleurs osseuses ou articulaires (15%),
maux de gorge (14%), maux de tête (14%), frissons (11%), nausées ou
vomissements (5%), nez bouché (5%), diarrhée (4%), toux de sang (1%) et yeux
gonflés (1%).
Les symptômes du Covid-19 sont d’autant plus
difficiles à repérer qu’ils ressemblent à ceux de la grippe mais sont moins
spécifiques. Si la fièvre, les maux de tête, les douleurs musculaires, la
fatigue et les éternuements sont communs pour la grippe ; pour le coronavirus,
la fièvre est souvent présente mais les autres signes peuvent varier d’un
patient à l’autre. Pour le Covid-19, les difficultés
respiratoires peuvent survenir en cas d’infections graves alors que ces
complications sont rares dans le cas de la grippe. Les formes les plus sévères
de la maladie Covid-19 peuvent se traduire par une
détresse respiratoire, une insuffisance rénale aiguë ou encore une défaillance
multi-viscérale potentiellement fatale.
Quels sont les tests de dépistage Covid-19
?
En cas de suspicion d’infection au coronavirus, les personnes sont invitées à
appeler un médecin, ou accéder à une téléconsultation, ou consulter le site
dédié au Covid-19 pour être orienté ou appeler la
cellule d’information Covid-19 au Numéro Vert 3030,
ou les urgences en cas de difficultés respiratoires mais de ne surtout pas se
déplacer.
Les tests diagnostics ne sont pas systématiques. Les patients considérés comme
à risque feront un test dans un laboratoire habilité.
Le test actuel est effectué sur un prélèvement nasopharyngé
(dans la partie haute du nez) à l’aide d’un long coton-tige (écouvillonnage).
La mise en place du test permet de savoir si la substance prélevée est chargée
de virus ou non. Le résultat est obtenu au bout de 3 à 5 heures. Il s’agit d’un
test appelé PCR qui permet d’amplifier le signal (l’ARN viral) de la moindre
particule virale ramenée par l’écouvillonnage. En cas de test positif, le
patient reste en confinement à son domicile en prenant toutes les mesures
d’hygiène pour ne pas contaminer son entourage (masque, gants, lavage des
mains) et appelle les urgences s’il éprouve des difficultés respiratoires. Au
cas où le patient montre un signe de gravité, il sera pris en charge au service
des maladies infectieuses ou en réanimation si le pronostic vital est engagé.
Un autre test sérologique (test ELISA) permettant de rechercher les anticorps
contre le virus suite à un contact datant de plusieurs jours. Il permet de
signer l’ancienneté de l’infection (présence d’anticorps IgG)
ou une infection plus récente (présence d’anticorps IgM).
Ce test sérologique est très récent, avec une version d’auto-test
rapide, n’est pas encore validé par les instances sanitaires internationales.
Un autre test basé sur l’imagerie, utilisant le scanner pulmonaire semble
présenter une spécificité importante quant à l’image cible caractéristique du
nouveau coronavirus. Cet examen serait intéressant pour pallier la pénurie
mondiale des kits servant de réactifs au test PCR. Là également une validation
internationale de consensus s’impose.
Il y a deux types de réactions officielles face à la pandémie :
confinement strict ou immunité collective ? Laquelle est, selon vous, la plus
efficace ?
Il y a deux options : celle du confinement strict (adoptée par la Chine, la
France et l’Italie) et celle de l’immunité collective (adoptée par le
Royaume-Uni et les Pays-Bas et l’Allemagne). Les deux options se valent et sont
défendables. Opter pour l’un ou pour l’autre ? Un choix calculé………………………….
La première option est basée sur le principe de « casser la chaîne de transmission
» du virus. Il s’agit d’une procédure raisonnable mais à condition de ne pas
dépasser un seuil en matière du nombre de personnes contaminées et en
particulier le nombre de morts du Covid-19 sinon le
seuil des capacités de prise en charge en réanimation (nombre de lits avec
logistique) sera atteint, déséquilibré et ensuite rompu par l’affluence des
patients ayant besoin d’être assistés. Avec le Covid-19,
l’effet de surprise de sa vitesse de propagation a été important si bien qu’il
a été difficile de rompre la chaîne de la transmission du virus. Dans ce cas,
le confinement ne fera que ralentir et « lisser » la courbe de propagation. Ce
plan de confinement strict nécessite la mise en place d’une importante
organisation humaine et logistique. Il est basé sur des mesures permettant de
réduire les contacts et les déplacements au strict minimum sur l’ensemble du
territoire. Le mot d’ordre étant « Restez chez vous ».
Quant à l’option basée sur le principe de l’immunité collective appelée
également « immunité de troupeau », elle a pour but d’enrayer la propagation
d’une maladie contagieuse par le simple fait qu’une certaine partie de la
population y soit immunisée naturellement, au contact du virus, en développant
des anticorps après cette première contamination. Elle se base aussi sur le
fait qu’il serait impossible d’éviter que tout le monde attrape le virus. Mais
cette stratégie ne sera efficace que lorsqu’au moins 85% de la population sera
immunisée car en dessous de ce seuil, on pourrait observer la résurgence de
foyers infectieux. Aussi, le prix à payer pour atteindre ce seuil
d’immunisation est le risque d’arriver à un nombre de décès élevé. Un risque
calculé !
Que pensez-vous du protocole actuel adopté par de nombreux pays
aux malades ?
Il s’agit d’un essai clinique européen (appelé « Discovery
»), incluant 3 200 patients, dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité et la
sécurité de quatre stratégies (essai à 4 bras) thérapeutiques expérimentales de
prise en charge qui pourraient avoir un effet contre le Covid-19
au regard des données scientifiques actuelles. Cette stratégie a été le fruit
d’une analyse des données scientifiques concernant le SRAS-CoV-1
et MERS-CoV ainsi que sur le SRAS-CoV-2
de l’essai chinois récent. Elle a abouti à une liste de molécules antivirales à
tester selon 4 bras : a) le remdesivir (déjà utilisé
contre le virus Ebola) ; b) le lopinavir en
combinaison avec le ritonavir (association utilisée
contre le VIH) ; c) ce dernier traitement associé à l’interféron bêta
(anti-inflammatoire biologique) et d) l’hydroxychloroquine.
La liste de ces médicaments potentiels est basée également sur la liste des
traitements expérimentaux classés comme prioritaires par l’OMS. De par le
caractère urgent de la situation de la pandémie, cet essai est modulable,
c'est-à-dire que très rapidement les traitements expérimentaux qui s’avèrent
inefficaces pourront être abandonnés et remplacés par d’autres molécules qui
émergeront de la recherche.
Un autre essai clinique international (« Solidarity
»), sous l’égide de l’OMS, est également organisé avec d’autres molécules. Discovery et Solidarity vont se
complémenter.
Tous ces médicaments sont utilisés dans les pathologies, en particulier
d’origines virales, avec plus ou moins de succès. Ce sont des molécules qui ont
un effet sur les virus, en particulier le virus à ARN (VIH, Ebola…), par
interférence sur leur réplication (multiplication). Il est donc tout à fait
légitime d’y faire recours en attendant les résultats de la synthèse de
nouveaux antiviraux ou d’un vaccin spécifique pour lutter contre le Covid-19. On s’adresse aux molécules plus ou moins «
anciennes » car il s’agit bien d’une course contre la montre.
Quant au protocole relatif à l’hydroxychloroquine,
son utilisation semble donc bien fondée. Dans ce protocole, elle est associée à
un antibiotique de la famille des macrolides (azythromycine)
pour prévenir les complications d’une surinfection bactérienne. D’abord, la
chloroquine (Nivaquine) est une molécule utilisée comme médicament pour
prévenir et traiter le paludisme (malaria). Elle possède des propriétés
antivirales in vitro contre le virus SRAS-CoV-2
responsable du Covid-19. La molécule existe également
sous une forme dérivée, l’hydroxychloroquine (Plaquénil) prescrite pour le traitement de certaines maladies
auto-immunes (lupus, polyarthrite rhumatoïde). Son mécanisme d’action comme
antiviral, notamment dans le cas de Covid-19, n’est
pas complètement élucidé. Il s’agirait d’un effet antiviral indirect où la
molécule modifie le pH (degré d’acidité), à l’intérieur de la cellule où elle
pénètre. Cette modification de l’acidité du milieu intracellulaire n’est pas
favorable à la multiplication du virus du Covid-19.
La multiplication ralentit et s’arrête in vitro.
Quant à son efficacité in vivo chez les personnes infectées dans le cadre de Covid-19, elle est l’objet, justement, du protocole en
cours en même temps que les autres bras de l’essai européen. Les autorités
sanitaires algériennes ont, à juste titre et à temps, lancé un protocole
utilisant l’hydroxychloroquine. A ce propos, il est
important d’attirer l’attention du grand public sur les méfaits d’une
utilisation non contrôlée (auto-médication,
prescription de complaisance) de l’hydroxychloroquine.
En effet, sa dose efficace est proche d’un effet toxique en particulier sur le
système cardio-vasculaire avec un effet sur le muscle du cœur provoquant des
cardiomyopathies (avec des signes d’arythmie, palpitations et étourdissements)
en cas de surdosage. Une surveillance stricte (électrocardiogramme, dosage d’hydroxychloroquine et du potassium dans le sang), en milieu
professionnel hospitalier, est impérative lors d’un traitement utilisant l’hydroxychloroquine.
En
attendant, quelles sont les mesures à observer pour réduire le risque d’une
contamination par le nouveau coronavirus ?
A ce jour, il n’existe aucun traitement spécifique contre le Covid-19. Le traitement des cas, en dehors du protocole
adopté utilisant l’hydroxychloroquine en Algérie,
n’est que symptomatique comme le traitement de la fièvre, des congestions ou
des douleurs éventuelles. Et en l’absence d’un vaccin ou d’un traitement, le
moyen le plus efficace reste le confinement connaissant les modes de
contamination par le nouveau coronavirus. Toutefois, des consignes sanitaires
sont recommandées afin de prévenir la maladie Covid-19,
en particulier : se laver les mains régulièrement, tousser ou éternuer dans le
pli de son coude, utiliser des mouchoirs à usage unique, porter un masque
lorsqu’on est malade et son efficacité n’a pas été démontrée sur les personnes
non malades. A noter que lavage des mains est une opération très importante car
le virus n’est pas vraiment un organisme vivant mais un ensemble de molécules
biologiques (ARN et protéines). Il n’est pas donc tué mais se décompose de
lui-même. Le temps de désintégration dépend de la température, de l’humidité et
du type de matériau dans lequel il se trouve. Le virus est très fragile et il
n’y a que son enveloppe (fine couche de graisses) qui le protège. Tout savon ou
détergent est le meilleur moyen pour le détruire car la mousse de savon dissout
les corps gras de l’enveloppe du virus. C’est pourquoi, il est recommandé de se
frotter les mains avec le savon pendant au moins 20 secondes pour dissoudre les
corps gras et par voie de conséquence décomposer l’enveloppe virale et la
disperser ensuite par dilution avec le courant d’eau. Garder les ongles courts
car le virus peut s’y cacher. Aussi, l’alcool ou tout mélange avec de l’alcool
à plus de 65% dissout la graisse de l’enveloppe virale. Egalement, un mélange
d’une part d’eau de Javel avec cinq parts d’eau dissout l’enveloppe du virus.
Vis-à-vis des matériaux, le coronavirus résiste 3 heures sur les tissus, 4
heures sur le cuivre et le bois, 24 heures sur le carton, 42 heures sur l’acier
et 72 heures sur le plastique. D’où l’utilité de désinfecter régulièrement les
surfaces et les objets tels que les poignées de porte, les boutons d’ascenseur,
les claviers d’ordinateurs, les téléphones, les bureaux, etc. à l’eau de Javel
diluée au 1/5 ou à l’eau et savon…………………………… ;;;
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(*)
Professeur des universités.
Directeur de recherche, hôpital E. Herriot, Lyon, France.
Directeur du Centre de recherche en sciences pharmaceutiques (CRSP),
Constantine.