HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI CHRISTIANE CHAULET ACHOUR- « ECHOS
LITTERAIRES D’UNE GUERRE….. »
ÉCHOS LITTÉRAIRES D’UNE GUERRE.ŒUVRES
ALGÉRIENNES ET GUERRE DE LIBÉRATION NATIONALE. Essai de
Christiane Chaulet Achour. Dar Khettab , Boudouaou, 2019, 151 pages, 700 dinars
Voilà une
recension (d’œuvres de l’esprit) qui donne un état des lieux (le champ
littéraire) quand un pays bascule du statut de colonie à celui de nation……avec
des conditions d’écriture et de publication problématiques. Avec le choix de
l’année 1962… « une année à deux visages,
répartie en parts égales » (janvier - juin 62, avec un pays en proie à
tous les actes les plus désespérés….et juillet –décembre 62, avec un pays où,
malgré les luttes des clans politiques, on a un élan formidable de désir de
paix et de liberté)
L’auteure évoque
d’abord l’amorce de la constitution d’un « récit national » par la
résistance au colonialisme, à travers les nouvelles écrites durant la guerre ou
dans les premières années de l’indépendance.
Ensuite, on a une
sorte d’enquête sur le lieu où se trouvent alors les premiers acteurs du champ
littéraire, les auteurs et les écrivains et sur la manière dont se manifeste
leur visibilité.
Les ouvrages
algériens édités en 1962 sont composés surtout de témoignages : F. Abbas, A.Ouzegane, Y. Saadi, A. Benzine, Moussa Lachtar, Mouloud Feraoun . Il y a
aussi des essais : surtout F.Fanon et Mostefa Lacheraf. Des romans avec Mourad Bourboune,
Assia Djebar , Mohammed Arabdiou, Dib M.
Du théâtre avec Kateb Yacine, Mohamed Boudia. Et, de
la poésie, bien sûr, avec Boualem Khalfa , Nordine
Tifafi et Jean Sénac. Sans oublier les œuvres éditées par des Français proches ou adhérents à la
lutte de libération et/ou favorables à l’indépendance de l’Algérie :
Simone de Beauvoir (avec « Djamila Boupacha ») , Gisèle Halimi, Pierre Bourdieu, Robert Bonnaud, Léon –Etienne Duval, Paulette Péju,
Pierre Vidal-Naquet.
Le ton est donné
avec l’émergence du champ littéraire national…..la « Nouvelle »
prenant le pas…un véritable phénomène de masse aidé par la presse qui les
publie rapidement. L’auteure a recensé
une trentaine d’écrivains, auteurs militants ou témoins….En dix années (62-72)
il a été dénombré quelques 500 nouvelles dont les trois quarts portent sur la
guerre
Le chapitre sur la
torture – « une douleur lancinante » - est le plus émouvant….très,
très difficile à lire car on sent, on
sait que les moments de « sous-vie » décrits ont
été pour (et sur) les « sur-vivants »
presque impossibles , en tout cas difficiles,
à écrire et encore moins à dire: Alleg, Amrani,Ighilahriz, Zhor Zerari, Leila Djabali, Annie
Steiner, Bachir Hadj Ali ….et, aussi, Jean Amrouche
(à la mémoire de Larbi Ben M’hidi),
Malek Haddad , Annie Steiner ( au moment de exécution de Fernand Yveton) , Anna Greki, Dib, Bediya Bachir, Myriam Ben…
Hélas, la violence
a refait surface durant les années 90, avec une guerre civile ne disant pas son
nom, en raison du terrorisme islamiste…..faisant ressurgir celle de la guerre
de libération nationale chez « les enfants de la guerre » ….certains
entrés en littérature :Anouar Benmalek,
Aissa Khelladi, Salima Ghezali……la plupart
évoquant la guerre présente en la liant au passé colonial. Tous dénoncent la
guerre, « dévoratrice des êtres et inféconde par sa violence ».
Violence contre les femmes en particulier , une histoire déjà entrevue dans la littérature
algérienne avec Nedjma,
la femme sauvage dans « Les Ancêtres redoublent de férocité »
L’Auteur: Née à Alger au lendemain de la Seconde guerre
mondiale, dans une famille où ses parents avaient de fortes convictions
religieuses, ouvertes et tolérantes .Famille qui s’était
engagée dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Universitaire (Ens Kouba/Alger, Université
d’Alger….jusqu’en 1994, Caen et Cergy
–Pontoise /France…) ayant consacré plusieurs de ses études aux œuvres
algériennes et, depuis 1972, plus particulièrement aux rapports
Littérature/Histoire autour de la guerre de libération nationale. Fervente
militante des Droits de la femme.
Sommaire : 1962, le passage du témoin .Ouvrages, témoins,
écrivains/ Ecritures algériennes de la guerre en langue française
(1954-2010)/La torture, chambre noire de la guerre/ D’une guerre à l’autre en
Algérie.1954-1962.Effet de miroir/ Ecrits d’Algériennes et guerre
d’indépendance. Témoignages et créations…..Chaque chapitre est accompagné d’une
riche bibliographie.
Extraits : « Lorsque la
nouvelle met en scène les deux communautés, elle privilégie une binarité
schématique avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre, comme dans la
littérature coloniale la plus courante, mais avec une inversion des pôles
positif et négatif » (p 25), « La littérature a été à la fois un des
lieux majeurs où les mémoires individuelles ont trouvé refuge et où des faits,
des ressentis et des représentations ont été engrangés sans un objectif absolu
de démonstration que l’on peut trouver , malgré leur recherche incessante
d’objectivité, chez les historiens » (p 41)
Avis : A lire surtout par les étudiants en lettres mais aussi par tous ceux
qui s’intéressent aux longs, douloureux et tragiques combats des écrivains algériens
Couverture émouvante illustrée par la
reproduction d’une peinture (« 5 juillet 1962 ») de Jean Degueurce, un militant algérien anti-fasciste
(né à Alger en 1912 et décédé dans un accident de la route à Relizane le 19 novembre 1962)
Citations : « Il est sain de faire une marche arrière,
de regarder dans le rétroviseur pour apprécier ce qui était rêvé, ce qui s’est
réalisé » (p 4 de couverture) , « La littérature n’existe que
lorsqu’il y a des écritures diversifiées » (p 43), « Toute entrée
dans la violence est un labyrinthe et un vertige et personne ne s’y engage de gaieté
de cœur » (p 97), « Les anciennes moudjahidate
(combattantes) n’ont pas toujours joué le rôle qu’on attendait d’elles dans une
société indépendante et ont ,souvent, été prisonnières de leur image
héroïque » (p 102)