COMMUNICATION – OPINIONS ET POINTS DE VUE- A.BELHIMER, MINISTRE
DE LA COM’/ENTRETIEN APS LUNDI 16/3/2020
Les récents événements ayant marqué le pays, les enjeux
du néo-Hirak animé par des tentatives de «forces antinationales» de
transformer le Hirak originel en mouvement insurrectionnel non armé
visant la paralysie du pays, ainsi que les appels des voix de la aison à
une pause salutaire et à une trêve préventive devant les menaces qui pèsent sur
le pays sont autant de sujets abordés dans cet entretien accordé à l’APS, par
le professeur Ammar Belhimer, ministre de la Communication, porte-parole du
gouvernement.
Quel bilan faites-vous de l’évolution de la situation
politique et sociale depuis février 2019 ?
Pr Belhimer : Bien avant l’irruption du coronavirus comme risque anthropique
majeur pour le pays et pour le reste du monde, le Hirak perdait au fil des
semaines son caractère de mouvement populaire, historique, car inédit,
spontané et surtout rassembleur à grande échelle. Sa grande dimension, sa masse
critique, son amplitude, sa récurrence et sa résilience lui ont permis de
traverser l’ensemble de la société algérienne au-delà même des classes
sociales, des ancrages idéologiques, des sensibilités politiques, de
l’appartenance identitaire et du sentiment religieux.
Le mouvement du 22 février, consacré «Journée nationale de la fraternité et de
la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie» par le président
de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui culmine avec l’élection présidentielle
du 12 décembre 2019, commence à produire ses premiers effets, avec la formation
d’un gouvernement de compétences engagées sur la base d’un programme
entièrement dédié aux libertés et au renouveau économique, ainsi que
l’élaboration d’un projet de constitution qui sera soumis à débat et à
référendum, et dont il est attendu qu’il produise une solide assise législative
qui concilie démocratie représentative et démocratie participative, qui
facilité l’émergence d’une société civile libre et fort,e et d’une vie
politique intense de nature à consolider les espaces de médiation requis pour
la stabilité et la transparence, ainsi qu’une presse libre et responsable.
Le temps est à la reconstruction. Aidons ce processus à aboutir dans les
meilleurs délais.
Peut-on considérer que les choses ont radicalement changé et que la
contestation n’a plus lieu d’être ?
On ne reconnaît plus, au fil du temps qui passe, le mouvement des origines. Un
an après sa naissance, favorisée par la tentative du passage en force du
président déchu — alors incapable — pour un cinquième mandat destiné à
préserver les intérêts mafieux d’une caste parasitaire aux commandes du pays,
le néo-Hirak fait du surplace et s’installe dans l’impasse. À l’origine
mouvement transcourant et transgénérationnel, il a fini par être parasité par
certains courants politiques qui l’ont rejoint, pour mieux le faire dévier de
sa vocation citoyenne, patriotique, démocratique et plurielle. Il est donc à
craindre que le Hirak s’inscrive de plus en plus dans le prolongement de ces
«bouleversements préfabriqués» qui, au demeurant, révèlent chaque jour
davantage leur caractère contre-révolutionnaire.
Des ONG qui ont pignon sur rue à Genève ou à Londres, des résidus irréductibles
de l’ex-FIS et des revanchards mafieux de l’ancien système travaillent
d’arrache-pied, y compris par derrière les barreaux ou à partir de leurs
retraites dorées (forcées ou choisies), pour propager les mots d’ordre de
désobéissance civile, de troubles et de recours à la violence.
L’accumulation effrénée de ressources financières et le positionnement de leurs
relais dans tous les appareils d’État et à tous les niveaux de décision leur
confèrent naturellement une force de frappe qui n’a pas encore été totalement
contenue. Ils escomptent un retour aux affaires et aux commandes à l’aide de
marches quotidiennes là où elles peuvent être tenues, appuyant des mots d’ordre
hostiles à l’institution militaire et aux services de sécurité. Ce qui est en
fait visé, ce sont les institutions, l’ordre public, la stabilité et la
souveraineté nationale.
Quels enjeux particuliers se profilent derrière ces nouvelles tendances ?
Ce qui se profile dangereusement derrière un mouvement qui a porté la cause
juste d’un changement démocratique, grâce à sa formidable discipline et à son
caractère non violent, c’est la quête d’une nouvelle hégémonie coloniale. Les
millions de manifestants mobilisés par le Hirak en vue de mettre un terme au
culte de la personnalité, renouer avec les libertés pour mieux en élargir le
champ d’exercice et installer l’alternance au pouvoir, ont été efficacement
exclus par la nouvelle secte autoproclamée «révolutionnaire» — le manque
d’organisation politique nationale permettant aux personnalités et partis de
«l’opposition» néolibérale et conservatrice d’aspirer à conquérir le pouvoir.
Et ce n’est certainement pas un hasard si certains mass media encensent le
caractère «spontané» des luttes (et non les revendications socioéconomiques) et
confèrent un éclairage défavorable au rôle de sauvegarde et de stabilisation de
l’Armée nationale populaire (ANP).
Gare à la manipulation ! Les masses sont encensées pour leur «héroïsme», la
jeunesse pour son «idéalisme», mais on ne les propose jamais comme acteurs
politiques centraux dans le nouveau régime.
Vous suggérez l’existence de menaces, mais demeurez toutefois confiant et
optimiste...
Tout indique que l’issue ne sera pas forcément celle que l’on escompte. Et
que dans ce scénario, le danger n’est pas toujours là où il est annoncé ou
attendu.
Dans ce scénario, où «la forme d’exercice antilibérale, anti-rentière et
antiautoritaire de la politique d’émancipation reste à construire», dixit
l’ancien ministre de l’Économie, Ghazi Hidouci, l’Algérie ne semble
malheureusement pas épargnée et il est attendu de toutes les forces
patriotiques une vigilance de tous les instants.
L’un des mots d’ordre récurrents les plus pernicieux est celui d’une «nouvelle
indépendance» destinée à faire valoir l’idée que l’Indépendance arrachée de
longue et haute lutte à l’ancienne puissance coloniale, n’a pas apporté les
acquis que le monde entier reconnaît pourtant à notre peuple en matière de
libération et de libertés, d’éducation et de développement, en général, apport
sur lequel on peut légitimement rester assez critique par souci de toujours
mieux faire.
En opérant sciemment un divorce entre le peuple et la révolution nationale
qu’il a enfantée et portée à son terme, les commanditaires du néo-Hirak restent
cependant fidèles à une vieille litanie néocoloniale qui stipule qu’«avant,
c’était mieux» et que l’Indépendance n’a pas été au niveau des «bienfaits de la
colonisation».
Comme l’écrivait feu Abdelhamid Mehri, le 15 février 2011 : «La majorité des
Algériens considère que le régime politique chez nous n’est pas fidèle aux
principes de la révolution algérienne et à ses orientations et ne répond pas à
la soif d’intégrité, de liberté, de démocratie et de justice sociale pour
laquelle le peuple algérien a sacrifié des centaines de milliers de ses
enfants.» Le trait est accentué délibérément, l’histoire réduite à quelque
chose d’autre que ce qu’a retenu la mémoire collective comme scènes de liesse
et d’espoirs au lendemain de la sortie de la nuit coloniale.
Quid alors du mouvement social, de la société civile, des partis, des
syndicats, des associations et des autres institutions qui, suivant un parcours
inégal, ont nourri le jeu institutionnel, directement ou indirectement ? Comme
le rappelle encore, et fort justement, feu Abdelhamid Mehri, dans la même
lettre déjà citée : «C’est un régime à l’édification duquel a participé
quiconque a assumé une part de responsabilité publique depuis l’indépendance,
que ce soit par son opinion, son travail ou son silence.»
Une masse critique d’incertitudes semblent donc se profiler. Quelle
évaluation en faites-vous ?
On l’a bien vu, le néo-Hirak n’est plus que l’occasion de procès à charge des
hommes et des femmes qui ont sacrifié leur vie et donné au monde un exemple de
lutte et de sacrifices inégalables.
Le pays est confronté aujourd’hui à la montée des périls et à la conjugaison
des menaces. Menaces de déstabilisation en interne et menaces terroristes aux frontières
qui s’ajoutent désormais aux sérieux dangers représentés par la baisse
draconienne des revenus des hydrocarbures et la menace globale qui se précise
sous la forme d’une propagation exponentielle du Covid-19. Sans compter qu’une
grande lame de fond de contestation sociale se profile, corrélée à la
raréfaction des ressources financières et indexée sur un héritage empoisonné en
la forme d’une masse de promesses démagogiques faites par l’exécutif précédent.
Faute de pouvoir injecter des quantités d’hydrocarbures supplémentaires en
dehors du gaz – malheureusement sans incidence notable au regard de la douceur
qui a gagné l’Europe cette année — l’Algérie, au même titre que les autres pays
membres de l’OPEP, continue de subir.
Aussi, au cours actuels du baril, les recettes escomptées ne pourront pas
dépasser les vingt milliards de dollars, cette année, ce qui affectera
fatalement, dans le sens d’une baisse drastique, nos réserves de changes.
N’y a-t-il pas des raisons d’espérer ?
En vertu des tentatives des forces antinationales de transformer le Hirak en
mouvement insurrectionnel non armé visant la paralysie du pays, et au vu de ce
qu’il représente aujourd’hui comme risque sanitaire majeur, des voix de la
raison se sont élevées dans le pays et dans la diaspora, notamment à travers
les réseaux sociaux, pour appeler à une pause salutaire, à une trêve
préventive. Des leaders d’opinion lucides et réalistes appellent même à l’arrêt
pur et simple des marches et des rassemblements. Car la pandémie du coronavirus
est sérieuse, attestée par la rigoureuse OMS, l’Organisation mondiale de la
santé.
Ces mêmes voix de la lucidité citoyenne et de la raison patriotique appellent à
cesser les marches dans un contexte national aussi complexe et aussi périlleux,
marches pour lesquelles elles ne trouvent plus aucune raison d’être, car le
Hirak est déjà victorieux. Et il a gagné sur plusieurs fronts. Grâce à sa
convergence initiale avec l’ANP, qui l’a accompagné et protégé, il a permis de
faire barrage au 5e mandat d’un président cacochyme utilisé comme devanture
politique par une caste mafieuse et des réseaux transversaux d’accaparement et
de dilapidation des richesses nationales. Grâce à son insurrection pacifique et
intelligente, il a révélé au pays et au monde la colossale et effroyable
corruption du régime précédent et de ses insatiables clientèles. Et, toujours
de son fait, le Hirak a favorisé l’avènement d’une opinion publique agissante,
influente et désormais écoutée. De même qu’il a permis aux Algériens de
s’approprier la politique en lieu et place de structures de médiation,
d’intermédiation et de représentation défaillantes, discréditées et inaudibles.
Et par-dessus tout, il a rendu possible le changement pacifique et ordonné.
Quel avenir pour le Hirak dans un contexte exceptionnel d’alerte sanitaire ?
Le Hirak est intelligent et généreux. Il doit le rester et même l’être plus
encore lorsqu’il y a péril majeur en la demeure. Ceux qui s’obstinent, dans un
entêtement suicidaire, à le maintenir coûte que coûte et quoi qu’il en coûtera
à la nation tout entière, ne doivent pas concourir à son échec, voire à sa
disparition. Ils devraient en être empêchés par la force de la raison citoyenne
et par celle du droit qui est au-dessus de tous.
La raison exige la cessation des marches et des rassemblements. Et, une fois la
crise grave du coronavirus résorbée par la mobilisation de tout un peuple, rien
n’empêchera alors le Hirak de reprendre son cours si d’ici là, des avancées
démocratiques et sociales majeures n’auront pas été enregistrées.
In fine, il faudrait donc écouter cet éditorialiste algérien, par ailleurs voix
porteuse du Hirak qui dit : «Nous sommes déjà meilleurs grâce au Hirak. Et ce
Hirak doit nous aider à vaincre nos colères et à donner victoire à la raison.
Organisons-nous autrement, restons vigilants, utilisons au maximum les réseaux
sociaux, continuons à informer sur les atteintes aux libertés, mais nous
devons, sans attendre, décider de nous donner toutes les chances de gagner la
longue bataille politique pacifique engagée le 22 février 2019. C’est parce que
le Hirak nous a rendu meilleurs, plus intelligents et plus responsables que
nous devons le décider : les marches et les rassemblements doivent être
suspendus. Vainquons nos colères, car nous-nous aimons. Nous serons encore
meilleurs et plus forts pour les batailles qui viennent.»
Ces batailles sont déjà amorcées, comme en témoignent les correctifs et
retouches qui ne manqueront pas d’être apportés par la loi de finances
complémentaire dans trois directions : primo, le renforcement du pouvoir
d’achat des ménages, grâce à l’exonération de l’IRG pour les salaires
n’excédant pas 30.000 dinars et la revalorisation du SNMG dès janvier prochain.
Secundo, les mesures encourageant l’installation des entreprises étrangères et
la suppression de la règle de répartition du capital social 49/51. Tertio, les
mesures visant à améliorer le recouvrement fiscal à un moment critique
d’érosion des ressources.