HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI HOSNI KITOUNI – « LA KABYLIE ORIENTALE DANS
L’ HISTOIRE .PAYS DES KUTAMA….. »
LA KABYLIE ORIENTALE DANS L’HISTOIRE. PAYS
DES KUTAMA ET GUERRE COLONIALE. Essai de Hosni Kitouni. Casbah Editions, Alger, 2013, 268 pages, 715
dinars
Parler de
« Kabylie orientale » aujourd’hui, c’est évoquer une région qui n’a
plus de nom. Et pourtant ! Elle a bel et bien existé….pas seulement en
tant que « fiction ethnographique » destinée à servir le dessein
militaire de la colonisation…mais parce que , par la
suite ,la géographie et l’histoire reprenant
, immanquablement, leurs droits et leur autorité, on parle toujours de
« Kabaile El Had’ra »….et
bien souvent du « Pays des Kutama».
Charles Féraud
(1862) indique les limites de la Kabylie
orientale entre « le versant oriental du Babor
jusqu’à l’Edough , près de
Bône (aujourd’hui Annaba)» …..Il y a, aussi, une communauté de langage
(« un arabe corrompu par la prononciation vicieuse de certaines
lettres ») , une analogie des habitudes, une
parenté de l’indépendance et un habitat
spécifique…..En plus , avec des montagnes dressées en bordure de mer , face aux
vents pluvieux du nord-ouest, fortement arrosées, il y a un « pays imprenable ». Ce qui en
fait, pour longtemps, pour ne pas dire toujours, un « îlot » dur,
sauvage, enclavé, où seuls quelques cols ouvrent des passages aux voyageurs. Pas seulement
pour aller à Jijel ou Collo! Plus loin, on a Bissi
ou Fil Fila pour aller à Azzaba et à Annaba, Eddis puis El
Kantour pour aller à Constantine…..
Quant à l’histoire
du peuple Kutama, elle reste très liée à des guerres
et à l’exil…..Ayant adopté la foi chiite professé par les Fatimides (qu’ils
aidèrent à conquérir Alexandrie, l’Egypte et la Syrie car ils furent de toutes
les expéditions…au Maghreb, en Espagne, en Sicile ….perdant plus de cent mille
des siens, morts sur les champs de bataille ou égarés dans l’exil) , nombreux
installés en Egypte et en Palestine….ils sombrèrent, nous dit Ibn Khaldoun, « dans le luxe et la mollesse », ce qui
facilita , par Zirides et Sanhadja d’Achir interposés (puis, par la suite , on eut une
persécution hilalienne) leur
« extermination » (Choual 378,
janvier-février 989) . Le plus grand drame c’est d’en arriver même à « renier le passé …..à
l’ensevelir sous un monceau d’oubli, ne plus être ce qu’on a été …et
pour s’éviter l’ opprobre , chercher constamment à
faire oublier d’où il venait en se masquant derrière une ancestralité
problématique ». Etrangement, l’éthnonyme Kutama « n’existe plus dans la langue des
autochtones » . Il a fallu attendre longtemps avec une première phase
post-hilalienne ( XIè-XIVè siècle) pour voir se reconstituer le socle ethnique
berbéro-kutama et avec une seconde phase après la
création de l’Etat ottoman (XVè) : Avec les
corsaires turcs débarquent les premiers missionnaires religieux et les Andalous
chassés d’Espagne. Se fondant dans la population autochtone, ces nouveaux
arrivants vont apporter avec eux trois ferments essentiels : le droit, le
« ‘Ilm » (la connaissance religieuse) et le
« Cherifa », les trois souvent portés par un seul et même personnage : le marabout.
« Culturellement, ils (les marabouts) insufflent à l’âme kabyle l’idéologie
mystique et ses valeurs d’ascétisme et de quête de transcendance. Le fanatisme
qu’on a cru découvrir chez cette population, n’est que l’expression de sa
religiosité nourrie du vieux fond « chiite » mêlé à l’enseignement
soufi porté par les nouveaux arrivants.
C’est un pays de quarante
tribus et de cent mille âmes environ, traînant derrière lui une histoire vingt
fois séculaire, conservant le
particularisme kutama , malgré les Romains, les Vandales , les Byzantins les
Arabes et les Turcs……qui voit arriver un autre envahisseur : la France
coloniale.
On aura ,de 1839 à
1871, toute une période d’occupation forcée, sauvage faite de massacres , de
rapine , de razzia et de dépossession, mais aussi des résistances indomptables…
avec ses Chérifs révoltés (1839-1851) dont Si Zeghdoud,
Bou Dali Ben Lahrach, M ’rabet Ben Baghrich, Messaoud Ben Mansour,
Mohamed Ben Abdallah Ben Yamina, ….les uns poussés
par l’émir Abdelkader, les autres inspirés par leur seule foi en le djihad.
Bien sûr, les collabos’ – Caïds , Cheikhs
- ne manquèrent pas . La Kabylie orientale demeura don ,
jusqu’en 1851, avec la Grande Kabylie voisine, la seule région (de l’Algérie du
Nord) encore insoumise. L’expédition de
1851, jalonnée de crimes (« pour que la presse en parle ») , fut le début de
l’anéantissement. On organisa pour diviser et on divisa pour soumettre.
D’autres expéditions (1853) suivirent, toutes aussi meurtrières.
Les chefferies
traditionnelles se trouvèrent ruinées mais de nouvelles formes de résistance
allaient apparaître ……dont la confrérie Rahmanya, qui devint un « cadre structurant des
insurrections »…Ainsi , 1864 , en Algérie, fut
fertile en révoltes toutes d’inspiration religieuse.
L’idée
napoléonienne de « royaume arabe » ,
la naissance du « parti
colonial » et le sénatus –consulte de 1863 allaient
achever, la désagrégation sociale….On
eut, certes, partie du côté d’El Milia (Ouled Aidoun) , l’insurrection de février 1871 qui dura près de
sept mois ( « une des dernières grandes manifestations du cycle
patriotisme rural »), mais qui , défaite, aggrava l’appauvrissement et le
déracinement. « Il y a dans l’histoire de la colonisation un avant et
un après 1871 ».
Tout le reste est
fait de haine du parti colonial, prônant la supériorité des races,
l’asservissement des Algériens et poussant dans les « voies de
l’extermination » par la violence, la ruine et l’appauvrissement. Après la
dépossession et les séquestres sur certaines tribus ;..aux
conséquences tragiques avec des déplacements massifs, la cantonnement sur des
terres pauvres, les exodes dus à la paupérisation, le dépeuplement…..on inventa
le « douar colonial » ……..et avec la loi de 1882 (sur « la
constitution de l’état civil des indigènes musulmans de l’Algérie » ) ,
puis le code de l’indigénat, la colonisation va « ruiner » les
familles avec l’attribution de noms patronymiques inadaptés, collés
d’office souvent et parfois farfelus,
sinon insultants . Un mal dont
l’Algérie d’aujourd’hui ne s’est pas totalement débarrassé.
L’Auteur : Etudes
en économie (Paris VIII-Vincennes), enseignant, rejoint la télévision
algérienne et chercheur indépendant .Ecrit et réalise des émissions culturelles
et des documentaires historiques et sur le patrimoine . Auteur d’un
ouvrage (Le désordre colonial .L’Algérie à l’épreuve
de la colonisation de peuplement.. Casbah Editions, Alger 2018) et de plusieurs études
consacrées à la violence et aux changements induits par les dépossessions
massives au cours du XIXème siècle)
Sommaire : Préambule/ Introduction générale/ Première partie(Des
Numides aux Kutama ; Une identité renouvelée à
partir du XVIè siècle)/ Deuxième
partie (L’occupation coloniale ; Le patrimoine rural en échec ;
Après la ruine des tribus, ruine des familles)/Conclusion/Bibliographie
sélective (7 pages)
Extraits : « Il ya a, assurément, dans l’esprit
d’indépendance des Kabaile El Hadra
non point l’ « instinct de sauvage » mais un vrai frémissement d’une
sensibilité singulière, réductible à nulle autre. Sensiblité
qui n’a pu être forgée que par les événements de « la longue
durée » » (p 10), « Par la manière d’enterrer leurs morts, leur
langue et leur écriture, les premiers habitants de la Kabylie orientale sont
d’authentiques Numido-Berbères qui vont subir tout au
long de l’histoire les influences venues de divers horizons » (p 26),
« Il y a unanimité à reconnaître combien l’œuvre du roi massyle, Massinissa, fut considérable. Pendant son règne
qui aura duré cinquante cinq ans, il réussit à transformer profondément le pays
et les hommes » (p 29), « Punique d’abord, numide ensuite, romaine
enfin, telles ont été les influences qui ont profondément transformé le paysage
et les usages en Kabylie orientale. Mais, de toutes celles qui l’ont précédée,
la civilisation romaine aura marqué la pays, en y laissant ses traces dans la
pierre » (p 41), « S’il y a bien un trou noir dans l’atlas historique
de la conquête arabe, il couvre entièrement la Kabylie orientale »(p 45) ,
« Certes , les victoires sont parfois plus redoutables que les défaites,
mais la fin des Kutama fut surtout la conséquence
d’une persécution religieuse et ethnique qui allait durer deux siècles(note :
par les Aghlabides puis par les Sanhadja en raison de leur soutien aux
Fatimides et au chiisme professé par ces derniers) » (p 54), « Ni
dynastiques ni religieuses, mais des fédérations de fractions , telles sont les
tribus de la Kabylie orientale » (p 76), « Tous les domaines de la
vie sont touchés par le bilinguisme….pratiquement tous les éléments
topographiques sont nommés par le berbère, les créations humaines portent des
noms arabes »(p 88), « Face au danger…..elles laissent
(note : les tribus) tomber les
bannières étriquées de leur tribale appartenance et se fondent en un seul
« peuple », pour aller mourir au nom des seules valeurs qui , à leurs yeux vaillent la
peine qu’un homme meure pour elles : la religion et le territoire »
(p 95)
Avis : Un souci constant de restituer le rôle du peuple dans
son histoire en se plaçant résolument du point de vue de ceux qui souffrent et
luttent pour préserver vaille que vaille leur liberté et leur vie . Enfin, une
« vraie » histoire de l’Algérie qui rend justice à ses variétés
régionales…..multiples, diverses, variées mais toujours unies.
Pour mieux comprendre le caractère actuel
(la psycho-sociologie) des populations de la « Kabylie orientale »,
il faut absolument lire ce livre. Pour ma part, je me « connais »
bien mieux !
Citations : « Lieux de pouvoir et d’accumulation de la
rente, la cité a donc été un organisateur de l’espace géographique en jouant un
rôle d’intégrateur des populations rurales à son espace vital : par le
travail forcé ou volontaire, l’échange, le droit, la force, etc
… » (p 40), « C’est quoi un indigène ? Un simulacre d’homme, une
figure emblématique de rien. C’est une image factice : imaginée, pensée,
désirée, née dans les profondeurs nocturnes de la pensée coloniale, une sorte
de création fantasmagorique à laquelle devra par un lent apprentissage
s’assimiler l’Algérien. Pour devenir homme à part entière, l’
« Arabe » devra parcourir ce chemin long et sinueux qui ne mène nulle
part » (p 258)