POPULATION-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN AKRAM EL KEBIR-« LES FLEUVES
IMPASSIBLES »
LES FLEUVES IMPASSIBLES. Roman de Akram El Kébir. Apic Editions, Alger, 2019, 196 pages, 700 dinars
Un alcoolique, un
dégénéré, un qui est de la « jaquette flottante », un peureux comme
pas deux, un chanteur raté, un qui est déjà clando avant d’avoir atteint
l’Espagne…..sans oublier un « niqué de la tête » (celui qui eu
l’ingénieuse idée de faire le voyage)……et deux nouveaux « imposés »
en dernière minute…… « trop bagarreurs sur
le bords et qui ne renâclent pas à, l’idée d’envoyer quelqu’un à l’hôpital
qu’ils ont payé grassement en retour »….
Programme :
El Harga……
Raison(s):
l’ennui, fuir les « insolations estivales et les crèves hivernales »,
le désespoir, le chômage…. Besoin de découvrir une herbe verte….et, surtout
« essayer de vivre »….un peu de tout, de tout un peu.
Destination :
Espagne…..pays le plus proche d’Oran…..et ailleurs par la suite….si tout se
passe bien.
Moyen : non
un frêle esquif , mais une embarcation solide….un
véritable bateau avec un véritable équipage.
Mode
opératoire : La prise en otage et son détournement d’un bateau-taxi
(Oran-Ain El Turk) à partir du port d’embarquement , en l’occurrence Oran.
L’opération
réussit…au départ……avec , cependant, un couac :
les deux « imposés » , bien décidés à réussir beaucoup plus ce qui
ressemble beaucoup plus à une fuite qu’à une harga ,
se mettent à utiliser la manière « forte », alors que tout se passait
tranquillement. Ce qui déplaît (ou dérange) fortement nos jeunes haraga assez
courtois et pacifiques……aussi bien avec les membres de l’équipage qu’avec les
passagers.
Car, il y avait
des passagers. Là aussi, de tout un peu, un peu de tout : des hommes (des
trentenaires ne « tournée ») et
des femmes (en hijab austère ou
non), des étudiantes portant le voile fleuri et des jeunes femmes cheveux au vent ,des maris et des épouses, des barbus et en kamis et
des imberbes…..Un autre pan de la société oranaise (ou algérienne)
Deux pans, deux
mondes qui, par hasard, se croisent , non sur la terre ferme, là où ils habitent depuis
des décennies, mais sur un bateau ….« piraté ». Des destins, heureux
ou malheureux ,qui , au fil du temps et de la traversée,
se rencontrent, échangent des regards (complices ou hostiles), parfois des
propos assez vifs sur la harga, sur la société, sur
la religion…. Les passagers (dont les membres , tous
italiens, de l’équipage ainsi que deux membres de la marine nationale pris en
otages en cours de route) vont alors
découvrir les « autres »et, surtout se découvrir….
L’opération
« harga » va échouer mais la fin, un
22 février 2019, va voir d’autres histoires, plus tendres, plus humaines,
commencer. Toutes nées sur une bateau-taxi détourné.
L’Auteur :Né à Oran (1984) , journaliste, déjà auteur de plusieurs
romans, toujours aux éditions Apic :
« Vivement septembre » (2016) et « Au secours
Morphée ! » (2018), les deux présentés dans Médiatic
Extraits : « La harga est une
expression qui, aujourd’hui, a beaucoup perdu de son sens. Originellement, les
tout premiers harraga étaient ceux qui
allaient en Europe par voie légale, et à peine avoir franchi la Paf de
l’aéroport, s’empressaient de brûler leurs passeports verts, pour signifier
qu’ils ne reviendraient plus jamais en Algérie. Ce phénomène est apparu dans
les années 1990, quand le pays était à feu et à sang. D’ailleurs, il n’est pas
besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que harrag
signifie brûleur !Vous avez déjà vu quelqu’un brûler la mer, vous ? »
(p 87), « Le vrai danger pour la société émane de ce pouvoir grabataire
qui ne veut pas lâcher prise, de ces messieurs, imbus de leur personne, qui
tiennent les rênes du pays, au point d’en faire désespérer sa jeunesse »
(p 179) ,
Avis : Bien sûr il y a une histoire de « harga », mais, en fait, il y a surtout l’histoire d’un
pan important de la société oranaise :celui des
jeunes……qui ne vivent pas mais vivotent, qui existent mais s’ennuient….C’est
aussi Oran by night….Oran jeunesse démunie…..jeunesse désespérée…….un autre
monde…
Un ouvrage très bien écrit (avec une
certaine « préciosité » grammaticale que les puristes du français
apprécieront), une histoire très bien emmenée (avec une fin ,
me semble-t-il « tirée par les cheveux ») …..un
livre qui pourrait connaître un sort….très enviable, pour peu que l’éditeur
sache le promouvoir.
Citations : « Les harragas placent tellement leur vie sur un piédestal qu’ils
sont capables de mourir rien que dans l’espoir de vivre » (p 22) « Rien que le fait d’entreprendre cette
aventure et de la mener à bien –et bousculer par là même l’ordre établi des
choses-, est un eldorado en soi » (p 22), « Parfois, la vie
regorge tellement de coïncidences farfelues qu’on est sur le point de croire
que notre existence, finalement, n’en est pas une » (p 92), « Un
homme heureux est un homme qui aime la vie, or la vie ne dure pas, d’où son
malheur ! »(p 154)