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Roman Akram El Kébir- "Les fleuves impassibles"

Date de création: 11-03-2020 11:26
Dernière mise à jour: 11-03-2020 11:26
Lu: 1400 fois


POPULATION- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN AKRAM EL KEBIR-« LES FLEUVES IMPASSIBLES »

LES FLEUVES IMPASSIBLES. Roman de Akram El Kébir.  Apic Editions, Alger, 2019, 196 pages, 700 dinars

Un alcoolique, un dégénéré, un qui est de la « jaquette flottante », un peureux comme pas deux, un chanteur raté, un qui est déjà clando avant d’avoir atteint l’Espagne…..sans oublier un « niqué de la tête » (celui qui eu l’ingénieuse idée de faire le voyage)……et deux nouveaux « imposés » en dernière minute…… « trop bagarreurs sur le bords et qui ne renâclent pas à, l’idée d’envoyer quelqu’un à l’hôpital qu’ils ont payé grassement en retour »….

Programme : El Harga……

Raison(s): l’ennui, fuir les « insolations estivales et les crèves hivernales », le désespoir, le chômage…. Besoin de découvrir une herbe verte….et, surtout « essayer de vivre »….un peu de tout, de tout un peu.

Destination : Espagne…..pays le plus proche d’Oran…..et ailleurs par la suite….si tout se passe bien.

Moyen : non un frêle esquif , mais une embarcation solide….un véritable bateau avec un véritable équipage.

Mode opératoire : La prise en otage et son détournement d’un bateau-taxi (Oran-Ain El Turk) à partir du port d’embarquement , en l’occurrence Oran.

L’opération réussit…au départ……avec , cependant, un couac : les deux « imposés » , bien décidés à réussir beaucoup plus ce qui ressemble beaucoup plus à une fuite qu’à une harga , se mettent à utiliser la manière « forte », alors que tout se passait tranquillement. Ce qui déplaît (ou dérange) fortement nos jeunes haraga  assez courtois et pacifiques……aussi bien avec les membres de l’équipage qu’avec les passagers.

Car, il y avait des passagers. Là aussi, de tout un peu, un peu de tout : des hommes (des trentenaires ne « tournée ») et  des femmes (en hijab austère  ou non), des étudiantes portant le voile fleuri et des jeunes femmes cheveux au vent ,des maris et des épouses, des barbus et en kamis et des imberbes…..Un autre pan de la société oranaise (ou algérienne)

Deux pans, deux mondes  qui, par hasard, se croisent , non sur la terre ferme, là où ils habitent depuis des décennies, mais sur un bateau ….« piraté ». Des destins, heureux ou malheureux ,qui , au fil du temps et de la traversée, se rencontrent, échangent des regards (complices ou hostiles), parfois des propos assez vifs sur la harga, sur la société, sur la religion…. Les passagers (dont les membres , tous italiens, de l’équipage ainsi que deux membres de la marine nationale pris en otages en cours de route)  vont alors découvrir les « autres »et, surtout se découvrir….

L’opération « harga » va échouer mais la fin, un 22 février 2019, va voir d’autres histoires, plus tendres, plus humaines, commencer. Toutes nées sur une bateau-taxi détourné.

 

 

L’Auteur : à Oran (1984) , journaliste, déjà auteur de plusieurs romans, toujours aux éditions Apic : « Vivement septembre » (2016) et « Au secours Morphée ! » (2018), les deux présentés dans Médiatic

Extraits : « La harga est une expression qui, aujourd’hui, a beaucoup perdu de son sens. Originellement, les tout premiers harraga étaient ceux qui allaient en Europe par voie légale, et à peine avoir franchi la Paf de l’aéroport, s’empressaient de brûler leurs passeports verts, pour signifier qu’ils ne reviendraient plus jamais en Algérie. Ce phénomène est apparu dans les années 1990, quand le pays était à feu et à sang. D’ailleurs, il n’est pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre que harrag signifie brûleur !Vous avez déjà vu  quelqu’un brûler la mer, vous ? » (p 87), « Le vrai danger pour la société émane de ce pouvoir grabataire qui ne veut pas lâcher prise, de ces messieurs, imbus de leur personne, qui tiennent les rênes du pays, au point d’en faire désespérer sa jeunesse » (p 179) ,

Avis : Bien sûr il y a une histoire de « harga », mais, en fait, il y a surtout l’histoire d’un pan important de la société oranaise :celui des jeunes……qui ne vivent pas mais vivotent, qui existent mais s’ennuient….C’est aussi Oran by night….Oran jeunesse démunie…..jeunesse désespérée…….un autre monde…

Un ouvrage très bien écrit (avec une certaine « préciosité » grammaticale que les puristes du français apprécieront), une histoire très bien emmenée (avec une fin , me semble-t-il « tirée par les cheveux ») …..un livre qui pourrait connaître un sort….très enviable, pour peu que l’éditeur sache le promouvoir.

 Citations : « Les harragas placent tellement leur vie sur un piédestal qu’ils sont capables de mourir rien que dans l’espoir de vivre » (p 22)  « Rien que le fait d’entreprendre cette aventure et de la mener à bien –et bousculer par là même l’ordre établi des choses-, est un eldorado en soi » (p 22), « Parfois, la vie regorge tellement de coïncidences farfelues qu’on est sur le point de croire que notre existence, finalement, n’en est pas une » (p 92), « Un homme heureux est un homme qui aime la vie, or la vie ne dure pas, d’où son malheur ! »(p 154)