VIE
POLITIQUE- ENQUETES ET REPORTAGES- BOUTEFLIKA ABDELAZIZ/CHUTE-
Les secrets de la chute d’Abdelaziz Bouteflika
© Par Adlène Meddi,
mars 2020
C’est assurément
pendant l’été 2018 que le sort de Bouteflika a été scellé. Selon les
révélations contenues dans l’ouvrage Bouteflika,
l’histoire secrète, paru récemment, un « conseil de
famille » réunissant Abdelaziz Bouteflika, sa sœur Zhor
et ses deux frères Saïd et Nacer s’est tenu
à cette période.
L’annonce de la
candidature d’un président malade, dont on ne voit que les photos, qui ne
s’adresse plus aux Algériens de vive voix depuis 2012, choque profondément le
pays
« Saïd est le plus
tranché. Il n’est pas question que la famille cède le pouvoir et le président
peut et doit se représenter. C’est d’autant plus vrai que ses amis
oligarques avec lesquels [Saïd] dîne presque chaque soir lui font
subir des pressions. L’argument est simple : si les Bouteflika cèdent le
pouvoir, c’est l’exil ou la prison pour tous ceux qui les ont soutenus,
financés et ont profité de leur proximité », écrit le journaliste algérien
Farid Alilat, auteur de cette biographie.
Les « plans » de Saïd Bouteflika
L’idée est de se
rabattre sur l’initiative lancée par le président du Mouvement pour la société
de la paix (MSP, islamiste), Abderrezak Makri, qui propose une transition de cinq ans pendant
laquelle Abdelaziz Bouteflika serait maintenu à son poste en attendant de
trouver une solution consensuelle à la crise créée par la maladie du chef de
l’État.
« Au bout de deux
mois d’hésitations et de tergiversations, Makri donne
son accord pour une entrevue avec Saïd Bouteflika. Jeudi 18 octobre [2019], les
deux hommes qui se connaissent peu se retrouvent à Zéralda
[résidence médicalisée du président]. Saïd explique à son hôte que le
président est très malade. Il déroule son laïus : ‘’Il ne parle plus, c’est
pour cette raison qu’il ne reçoit plus les étrangers. Dans la famille, nous
pensons qu’il est temps de tendre la main à l’opposition pour nous accompagner
vers une sortie honorable’’. »
« Coup de bluff ou
pas, Saïd dit que Bouteflika n’est pas partisan de se succéder à lui-même :
‘‘Le président n’est pas favorable à un cinquième mandat. Je sais que beaucoup
y sont favorables pour leurs propres intérêts et non pour ceux du président.
Pour le cinquième mandat, nous n’avons pas de signaux favorables, aussi bien à
l’intérieur qu’à l’extérieur’’ », lit-on dans le livre.
Mais ces manœuvres sont
refusées par l’opposition consultée discrètement et par l’armée qui refuse tous
plans extraconstitutionnels. C’est ainsi que s’impose au clan Bouteflika
l’option suicidaire du cinquième mandat dès début 2019.
L’annonce de la
candidature d’un président malade, dont on ne voit que les photos, qui ne
s’adresse plus aux Algériens de vive voix depuis 2012, choque profondément le
pays.
Après des
manifestations dans plusieurs villes, Alger connaît, le vendredi 22 février
2019, un véritable tsunami humain pour rejeter le cinquième
mandat.
L’armée hésite, puis se décide
Le système est
ébranlé : « Au sein du commandement militaire, le soutien
indéfectible de Gaïd Salah [chef d’état-major de
l’armée] à l’option du cinquième mandat ne passe plus. Les généraux qui
l’entourent comprennent que le mouvement de contestation est irréversible. Le
choix devient de plus en plus intenable : faut-il sauver Bouteflika ou
l’Algérie ? Au sein de l’état-major, les partisans du maintien du président se
comptent sur les doigts de la main. Aussi les généraux pressent-ils Gaïd Salah de sonner la fin de la partie. »
Ainsi, après une
importante manifestation le 24 mars, Gaïd Salah finit
par se décider : « Ahmed Gaïd Salah se rend à la
résidence de Zéralda pour rencontrer le conseil de
famille formé du président, de ses deux frères et de sa sœur. Sa mission est
plutôt simple : obtenir la démission du chef de l’État. Le chef de l’armée
explique que la partie est finie et qu’il est temps pour le chef de l’État de
remettre sa démission conformément à l’article 102 de la Constitution. »
Saïd Bouteflika
s’engage dans un premier temps à accepter mais dès que le puissant haut gradé
quitte la résidence, il se retourne contre Gaïd
Salah.
Objectif : éliminer Gaïd Salah
« Lorsque le chef d’état-major
quitte les lieux, la famille n’entend pas abdiquer. Ne rien céder, ne rien
lâcher. C’est que, depuis des jours, Saïd est en relation avec le général
Mohamed Mediène [ex-patron des services secrets]. Les
deux hommes préparent un plan alternatif qui permettrait au président et à son
clan de se maintenir au pouvoir, le temps de préparer la succession »,
révèle Farid Alilat.
L’armée, par la voix de
son patron, celui qui était un fidèle du président Bouteflika, somme
publiquement ce dernier de quitter le pouvoir
« Ce plan passe
par l’élimination d’Ahmed Gaïd Salah, l’obstacle qui
empêche désormais les Bouteflika de garder le pouvoir. Le lendemain de cette
réunion, le patron de l’armée retourne à Zéralda pour
s’assurer de leurs intentions. Il ne trouve que la sœur et une vieille amie du
président. Celui-ci est allongé, groggy. Ses deux frères Saïd et Nacer sont absents. Gaïd Salah
perd définitivement confiance en son ami Bouteflika, d’autant plus que les
informations en sa possession, grâce aux écoutes téléphoniques et aux filatures
de Saïd et de ses amis, indiquent clairement qu’on complote contre lui. »
La suite ?
L’armée, par la voix de son patron, celui qui était un fidèle du président
Bouteflika, somme publiquement ce dernier de quitter le pouvoir. Le clan
présidentiel tente d’accélérer ses propres plans : maintenir Bouteflika à
son poste, demander à l’ancien président Liamine Zeroual de diriger un
gouvernement de transition et… évincer Ahmed Gaïd
Salah.
La riposte de l’armée
Le 30 mars au soir, Saïd
Bouteflika appelle l’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar :
« Il lui annonce que le chef d’état-major est en réunion avec des commandants
des forces armées et qu’il pourrait intervenir dans la résidence de Zéralda. Il ajoute que le chef de l’État envisage de
destituer incessamment Gaïd Salah. »
Selon les informations
de Farid Alilat, ce soir du 30 mars, « des
troupes spéciales font discrètement irruption au siège de la télévision
nationale alors que les chaînes privées sont placées sous surveillance afin
d’intercepter un communiqué faisant état du limogeage d’Ahmed Gaïd Salah et de son remplacement par le général Saïd Bey,
ancien commandant de la deuxième région militaire ».
Il n’y aura pas de
destitution du patron de l’armée. D’ailleurs, ce dernier reprend l’initiative
et, le 2 avril 2019, il tire à bout portant. « L’état-major au complet se
réunit au ministère de la Défense. Devant les généraux, le vice-ministre de la
Défense [Gaïd Salah] explique que le conseil de
famille de Bouteflika a comploté contre lui pour le destituer. Il dit être en
possession de preuves, de documents, de vidéos et d’enregistrements qui le
prouvent. »
La longue réunion ne se
termine qu’en fin d’après-midi : « À 17 h, Ahmed Gaïd
Salah appelle Mohamed Rougab, le secrétaire
particulier de Bouteflika : ‘‘Dites au président d’annoncer ce soir sa
démission avant 20 heures.’’ Rougab demande du temps
pour joindre la famille à Zéralda et rédiger le
communiqué. Cinglant, Gaïd Salah menace d’encercler
la résidence de Bouteflika si ce dernier ne s’exécute pas. »
À 20 h, le 2 avril, en
robe de chambre, Bouteflika apparaît à la télévision remettant sa démission aux
présidents du sénat et du Conseil constitutionnel.
« La chute de la
maison Bouteflika est aussi une histoire de trahison », conclut l’auteur de
l’ouvrage. Dès lors qu’il s’est senti trahi par Bouteflika et ses frères qui
s’étaient engagés à remettre la lettre de démission, Ahmed Gaïd
Salah s’est montré implacable, impitoyable à leur égard. »
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