COMMUNICATION-
PRESSE- PRESSE QUOTIDIENNE- TITRE TAMAZIGHT- TIGHREMT
La presse écrite algérienne vient d’accueillir un
nouveau-né médiatique : Tighremt (la Cité en
kabyle). Tighremt prend le pari risqué de se faire
une place dans le climat hostile du paysage médiatique national. Le défi est
d’autant plus osé qu’il s’agit du tout premier quotidien national en tamazight.
L’équipe a installé le siège de sa
rédaction nationale dans la ville de Béjaïa et a
produit hier le numéro 1 du quotidien. Mais l’aventure a commencé avec le
numéro zéro, tiré à 3000 exemplaires, le samedi dernier, 22 février. «Nous
avons voulu marquer le double événements du premier anniversaire du hirak et la journée internationale de la langue
maternelle», nous dit Djamel Ikhloufi, qui forme avec
Yacine Zidane la paire de la rédaction en chef. Le titre est issu d’un cahier
bihebdomadaire puis hebdomadaire qui a compté, depuis 2015, 550 numéros insérés
dans le quotidien La Cité de Fodil Mezali.
En janvier 2016, il est passé mensuel
et n’a résisté qu’une année avant de céder sous le poids de difficultés
assassines. Revenir, malgré tout, et sous la forme d’un quotidien, est
révélateur d’une détermination de fer à offrir à tamazight son propre journal.
«Lorsqu’on se dit être dans un pays amazigh et où tamazight est devenue langue
officielle, il faut donner à celle-ci sa chance.
Elle, aussi, a droit à son média», nous
dit Fodil Mezali qui a dû
batailler pour avoir l’agrément. «Je me bats depuis huit ans pour avoir un
journal en tamazight», nous confie celui qui a été co-fondateur, en septembre
1991, du journal Le Matin, disparu en 2005, et fondateur du journal La Cité qui
survit difficilement faute de manne publicitaire. «La Cité n’a pas de siège. Je
fait le journal chez moi», confie-t-il encore. «Cette fois-ci, j’ai demandé à
voir le ministre. Et puisque j’ai l’agrément, je me lance», ajoute l’ancien
porte-parole du collectif d’Alger républicain. Il a dû emprunter de l’argent
pour sa nouvelle aventure médiatique qui ne manque pourtant pas de risque.
C’est que Fodil
Mezali considère que «toute offre crée sa propre
demande» bien que la problématique du lectorat amazighophone
se pose. Mais, il est attendu de celui-ci d’adopter le premier quotidien
national qui lui parle dans sa langue maternelle. «Akken
ur iderru ara wayen yedran akked
Alger républicain, L’Opinion, Algérie-actualité, le Nouvel Hebdo akked l’Hebdo libéré, ilaq-agh ad nefru snat
n temsal : tamsalt n yimeghriyen akked tin n udellel. Ghef tamsalt
n yimeghriyen sin n yisteqsiyen :
anwa i yeqqaren Tamazight, deg wanta tamnadt
i tt-qqaren bigher Tamurt n leqbayel ?» écrit Fodil Mezali dans l’édito du n°0.
Traduction : «Pour qu’on ne revive
pas l’expérience d’Alger républicain, de L’Opinion, d’Algérie-actualité, du
Nouvel Hebdo et de l’Hebdo libéré, il nous faut régler deux questions : la
question des lecteurs et celle de la publicité. Au sujet des lecteurs, deux
questions : qui lit tamazight, dans quelle région la lit-on en dehors de
la Kabylie ?».
Pour lui, l’urgent ce n’est pas la
quête du lectorat, mais «d asebded n ughmis s tutlayt 3zizen ghef Dda Lmulud
at M3emmer !» (C’est la mise sur pied d’un
journal avec la langue chère à Dda Lmouloud At Mâamer).
De premières expériences ont mis dans
les kiosques, au début des années 90’, des journaux d’expression kabyle dont
ceux ayant servi d’organes des partis politiques du FFS (Amaynut)
et du RCD (Asalu). Deux titres qui n’ont pas fait
long feu, disparus plus rapidement que Tamurt qui a
résisté quelques années sous la forme d’un cahier dans les pages centrales
de l’hebdomadaire Le pays, ou encore la revue Izuran.
Edités avec les caractères latins, ces
journaux étaient l’émanation d’un engagement militant pour la cause identitaire
qui n’était pas dans les pages en tamazight des journaux étatiques El
Moudjahid, Echaab et El Massa. «Tamazight était
un simple enjoliveur», estime Yacine Zidane, également inspecteur de tamazight
dans l’Education nationale.
Les pouvoirs publics n’ont pas accédé à
la demande de financer sur fonds publics un journal d’expression exclusivement
amazighe. Pour seule concession, on a mis en place, en mai 2015, une édition
amazighe de l’APS, l’agence officielle. Après l’expérience du quotidien Le
Matin, La Dépêche de Kabylie dispose aussi d’un cahier hebdomadaire en
tamazight.
Y a-t-il des enseignements à tirer de
toutes ces expériences pour permettre une longue vie à Tighremt ?
L’équipe du nouveau-né est convaincue qu’un lectorat s’est formé depuis
l’introduction de tamazight dans le système éducatif et universitaire. «Le
lectorat n’est plus un problème, tout dépend du contenu que nous offrons»,
répond Mohand Aït Ighil,
directeur de la rédaction. Et c’est ce qui fait dire à Fodil
Mezali que l’avenir est pour la presse amazighophone. «Les journaux d’expression amazighe seront
les plus importants», nous dit-il. Ces journaux seront-ils portés par les
contingents d’étudiants que forment les quatre départements de langue et
culture amazighes du pays ?
En tout cas, à la porte 22, du bâtiment
A2, à la cité 254 logements qui fait face au lycée El Hammadia,
l’équipe rédactionnelle de Tighremt est à pied
d’œuvre pour honorer un engagement quotidien, inaugurant un parcours qui se
doit d’être le plus long possible. Bon vent.