HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI
HENRI ALLEG- « LA TORTURE »
© El Moudjahid/M.Bourkaib, mercredi 26/2/2020
Ce livre-témoignage demeure un stupéfiant document sur
la torture qu’avait subie, en 1957, Henri Alleg,
né le 20 juillet 1921 à Londres et mort le 17 juillet 2013 à Paris. De son vrai
nom Harry Salem, membre du Parti communiste algérien, directeur du quotidien
«Alger républicain», il était tombé entre les mains des parachutistes français.
Il faut imaginer les sévices qu’il a endurés : emploi de la gégène, roué de
coups, le supplice de la baignoire, privé d’eau, de nourriture, d’hygiène
élémentaire, Henri Alleg ne parlera pas. Il écrira un
récit poignant pour en témoigner. Son arrestation date du 12 juin 1957. Les
soldats l’attendaient au domicile de Maurice Audin,
jeune assistant en mathématiques, lui aussi militant du PCA. Il
mourra le 21 juin sous la torture.
Parmi les nombreux ouvrages qu’Henri Alleg a écrits,
deux sont de nature très différente, mais se complètent convenablement ; «La
Question», publié aux Editions de Minuit en 1958, et «Mémoire algérienne» édité
chez Stock en 2005 puis aux Editions Casbah à Alger. Le premier document
est un récit circonstancié rédigé dans les geôles de Serkadji
à Alger, où il a été transféré après son «séjour» à El Biar.
De prison, les petits bouts de papier sortent au compte-gouttes,
Gilberte, l’épouse d’Henri Alleg les tape à la
machine. Jérôme Lindon, qui dirige les Editions de
Minuit, publie l’ouvrage en février 1958. Le livre fait l’effet d’une bombe, la
chape de plomb maintenue exprès pour dissimuler ces actes de torture vole en
éclats. Le témoignage va être pour notre lutte de libération, ce que la photo
des enfants brûlés au napalm sera durant la terrifiante guerre du Vietnam. La
Question est rééditée en Suisse, avec une postface de Jean Paul Sartre. Nils
Andersson, un Suisse, qui faisait partie des soutiens de la lutte pour
l’indépendance de l’Algérie, se chargera de le republier en terre helvétique.
Des extraits de cette vigoureuse charge contre la torture ont été publiés dans
plusieurs journaux. «L’Humanité», «France Observateur», «L’Express» ou
«Témoignage chrétien». Il faut noter qu’Henri Alleg
signera, en 2000, «l’Appel des Douze» pour la reconnaissance par l’Etat
français de la torture. Le mérite de Jérôme Lindon
fut d’avoir engagé les éditions de Minuit dans un combat honorable, en
s’élevant contre la torture et les dérives de «la guerre qui ne dit pas son
nom», avec la collaboration du célèbre avocat Jacques Vergès et de l’historien
Pierre Vidal-Naquet. Jérôme Lindon
publia 23 livres dédiés à la guerre d’Algérie jusqu’en 1962, pour douze saisies
et un procès. «La Question» provoqua une onde de choc en frappant l’opinion
publique : aux 84.000 exemplaires diffusés, s’ajoutèrent les 90.000 du bulletin
«Témoignages et Documents» de Maurice Pagat qui
reproduisait le texte en intégralité. À la fin des années 1960, les Editions de
Minuit devinrent une tribune éditoriale en faveur de la cause palestinienne,
avec la publication en 1969 de «Pour les Fidayine» de
Jacques Vergès, préfacé par Jérôme Lindon, suivi de
la «Revue des Études palestiniennes» de 1981 à 2008, et des poèmes du regretté
Mahmoud Darwiche au cours des années 1980. Comme
François Maspero, Nils Andersson, Jérôme Lindon
incarne un éditeur militant. La sinistre OAS
plastiquera, d’ailleurs, ses locaux. Fidèle au modèle éprouvé depuis les années
1950, la maison d’édition demeure toujours d’une taille modeste, ne
dépassant jamais la dizaine d’employés pour au plus une vingtaine de nouveaux
titres par an. Malade, Jérôme Lindon mourut à Paris
le 9 avril 2001. Nous ne saurions trop conseiller aux lecteurs de lire ou de
relire cet accablant document contre la bête immonde. C’est d’autant nécessaire
que depuis la fin de notre lutte de libération, des «révisionnistes», en mal de
notoriété, s’échinent à travestir la réalité historique, persistent à glorifier
ceux qui avaient commis des crimes impardonnables, à les
blanchir.