CULTURE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI HELA OUARDI- « LES CALIFES MAUDITS.LA
DÉCHIRURE »
LES CALIFES MAUDITS. LA DÉCHIRURE. Essai
de Hela Ouardi. Koukou Editions, Cheraga/Alger
2019, 234 pages, 1 200 dinars
Chose promise, chose due. De toutes façons, elle ne pouvait faire moins que tenir sa
parole de bon chercheur : A la fin de son premier ouvrage, elle avait
annoncé une suite.....Une suite ? Celle de la naissance du premier califat
de l’Islam, une institution unique et inéditée, inventée il y a quatorze siècles ? Celle
des quatre califes, les « bien guidés » qui ont poursuivi sa
geste (Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthman et ‘Ali) ? .....
Un livre qui propose une reconstitution
historique détaillée de cette genèse qui a duré les jours et semaines qui ont
suivi immédiatement la mort du Prophète. Grâce à une exploration philologique
des sources de la Tradition musulmane
(sunnite et shî’ite.....qui « concordent
presque toujours dans leur description des événements ») et une mise en
forme qui rassemble les récits atomisés de la Tradition dans un ensemble unifié
(avec toujours des précisions quant aux sources « isolées » )
L’auteure est catégorique : son récit ne
veut pas dire « fiction » . « Rien,
absolument rien dans ce livre n’est
inventé ......tout ce j’ai trouvé, ajoute-t-elle, existe bel et bien dans les
sources les plus vénérées, mais est négligé par la mémoire collective ».
Les faits, les dialogues, tous les détails, jusqu’au portrait physique des
protagonistes, sont exclusivement tirés de la littérature musulmane
traditionnelle et canonique.
Les protagonistes sont tous des figures
majeures de l’islam naissant : Abû Bakr, le plus
proche Compagnon, ‘Umar, son second « impétueux et violent » , ‘Ali, le gendre bien aimé, Fâtima,
la « fille chérie au destin funeste », qui lancera une terrible
malédiction à ses spoliateurs, les futurs premiers califes. « Entre tous
ces personnages hauts en couleurs se noue une véritable tragédie grecque aux
conséquences durables.Car, au-delà des querelles de
personnes, c’est bin le destin de l’islam et, par
conséquent, du monde entier qui se joue »
Un récit accompagné d’une grande masse de
notes (26 pages) et une riche bibliographie : Sources arabe (de la
Tradition et contemporaines) + une bibligraphie
générale sélective. La traduction française du Coran utilisé est celle de
Masson, D. (Gallimard, « La Pléiade », 1967)
L’Auteure : Professeure
de littérature et de civilisation française à l’université Manouba
de Tunis. Chercheuse associée au Laboratoire d’études sur les monothéismes du
Cnrs (Paris). Déjà auteure des « Derniers jours de Muhammad.Enquête
sur la mort mystérieuse du Prophète » (présenté in Médiatic
en décembre 2018. Un ouvrage alors en vente
libre....seulement au Liban, en Tunisie et en Algérie....et une
« tentative » de saisie a eu lieu lors Sila de l’époque . Elle a, heureusement , échoué. )
Extraits : « Raconter l’histoire des premières années de l’islam est une
manière pour moi de réanimer une mémoire collective fossilisée par une amnésie
générale et confisquée par des forces obscures qui, sous couvert de
glorification du passé de l’islam, l’ont transformé en machine de guerre »
(p 13), « Deux groupes s’ apprêtent à s’affronter pour la possession
du pouvoir.D’un côté , les Emigrants conduits par Abû
Bakr et ‘Umar ; tous issus de la tribu de Quraysh.....De l’autre, les Ansârs.... »
(p 33), « Bien avant l’avènement de l’islam, les Qurayshites jouissaient
déjà d’un prestige inégalé parmi les tribus arabes. Gardiens depuis le Vè siècle du sanctuaire de la Ka’ba à la Mecque, ils
détenaient ainsi un prodigieux capital symbolique qui générait aussi un profit
matériel –le pèlerinage était déjà à l’époque une juteuse opération » (p
77),« Les hommes présents ce jour-là à la saqîfa
sont quasiment tous des commerçants et la négociation politique prend vite
des allures de marchandage.Les adeptes de la religion
du commerce jettent les bases d’un nouveau négoce : le commerce de la religipn » (p 85), « Dans la saqîfa,
ce n’est pas seulement deux clans qui s’affrontent mais deux conceptions
différentes de l’autorité politique : l’une horizontale, l’autre verticale
» (p 93), « La réunion de la saqîfa
conclue et achevée dans la mosquée aura été la genèse d’une autorité
politico-religieuse centralisée inédite qui va tenter de stabiliser le pouvoir
en Arabie par l’utilisation d’un paramètre totalement nouveau : le sacré.L’islam a profondément changé la nature des
Arabes ;il a métamorphosé et façonné cette matière brute » (p 117)
Avis : Une véritable recherche qui a réussi à réunir les
morceaux «éparpillés » d’un puzzle pour en faire des scènes et des portarits vivants, reliés par le fil d’une narration
chronologique suivie. Un livre qui rompt avec la légence
et avec tout parti pris idéologique. Un livre qui s’est bien vendu lors du
dernier Sila.....et après.
Des bio-express
des principaux protagonistes en début d’ouvrage......Des notes à profusion. Et,
une bibliographie très fournie dont les
sources arabes , de la Tradition, et
contemporaines
Citations : « L’orateur de la tribu est souvent
accompagné de poètes dont les vers font le plus grand effet sur l’esprit arabe,
très sensible au pouvoir persuasif de l’éloquence et à l’autorité de la parole.
Ces vers, repris et diffusés , exercent une influence déterminante sur l’
« opinion publique » de l’époque » (p 70), « La rumination
des haines du passé aura été le canevas sur lequel s’est tissée la négociation
politique, inscrivant la division dans le « programme génétique » de
la communauté musulmane.....Le spectre de la déchirure n’a jamais été
conjuré ;il reste là, tapi, à l’état larvaire.Il
grandira d’une manière souterraine et éclatera viont-qautre années plus tard dans une guerre qui divisera
irréversiblement les musulmans entre sunnites et shî’ites »
( pp 110-111), « Né à l’ombre de la saqîfa
des Banû Sâ’ida , le
pouvoir du premier califé de l’islam, ombre de Dieu
sur terre, grandira à l’ombre des sabres... » (p 186)