VIE POLITIQUE- DOCUMENTS POLITIQUES- PRESIDENT A. TEBBOUNE-
INTERVIEW « LE FIGARO » (France) ,MERCREDI
19 /2/2020
Le projet de
révision de la Constitution sera «prêt au plus tard, d'ici le début de l'été»,
a affirmé mercredi 19 février 2020, le
président de la République, Abdelmadjid Tebboune, soulignant que le texte
adopté par le Parlement sera ensuite soumis à un référendum, «le plus tôt
possible».
«Nous aurons
notre Constitution au plus tard d’ici le début de l’été, et nous ferons en
sorte que le référendum se tienne le plus tôt possible», a-t-il déclaré dans un
entretien accordé au quotidien français Le Figaro.
Auparavant, le projet de révision de la Constitution fera l'objet de larges
consultations auprès des acteurs de la vie politique et de la société civile.
«Un premier document va être remis à près de 600 partis, associations,
syndicats, corporations, etc. Ils auront un mois pour en débattre librement, et
il reviendra ensuite vers le comité de rédaction», a-t-il précisé.
Le 8 janvier dernier, le chef de l'Etat avait décidé de la création d'un comité
d'experts chargé de formuler des propositions pour une révision
constitutionnelle, pour concrétiser un des engagements qu'il a placés à la tête
des priorités de son mandat à la présidence de la République, celui de
l'amendement de la Constitution.
«J’ai donné à des spécialistes des orientations et formulé des limites, celles
qui touchent notamment à l’identité nationale et à l’unité nationale. Tout le
reste est négociable», a-t-il souligné.
Qualifiant la révision de la Constitution de «priorité des priorités», le
président Tebboune a affirmé que «la mouture finale sera soumise aux deux
chambres du Parlement, puis à un référendum populaire».
Le référendum est «déterminant pour obtenir une Constitution de consensus», a
soutenu le chef de l'Etat, expliquant sa décision de soumettre le projet de
révision de la Constitution au référendum par sa volonté de ne «pas imprimer sa
propre vision au changement constitutionnel».
En plus du processus de révision de la Constitution, engagé au début de
l'année, le président de la République a annoncé l'ouverture du chantier de la
révision de la loi relative au régime électoral.
«Le deuxième chantier sera celui de la loi électorale, qui est censée parfaire
nos institutions élues», a-t-il affirmé, faisant remarquer que «le nouveau
Parlement sera amené à jouer un plus grand rôle, mais pour cela, il a besoin
d’être assez crédible et ne souffrir d’aucun déficit de légitimité pour sa
représentativité».
Une des conditions sine qua non pour cela, a-t-il poursuivi, «c’est la
séparation de l’argent de la politique».
Evoquant les manifestations organisées, chaque vendredi, le président Tebboune
a soutenu que même si «il y a encore, tous les vendredis, une présence
citoyenne dans la rue, les choses commencent à s’apaiser».
Il a affirmé, à ce propos, que «de nombreux Algériens ont compris qu’on ne peut
pas réformer, réparer, restaurer ce qui a été détruit pendant une décennie en
deux mois».
«J’ai prêté serment le 19 décembre. Mais j’accepte qu’on me demande d’aller
plus vite, cela prouve que les gens ont l’espoir de changement», a-t-il ajouté.
Il a estimé, dans ce contexte, que «le Hirak a obtenu pratiquement tout ce
qu’il voulait : il n’y a pas eu de cinquième mandat, ni de prolongation du
quatrième mandat, puis le président a démissionné. Les têtes les plus visibles
de l’ancien système sont également parties, et la lutte a été engagée contre
ceux qui ont mis l’économie à genoux».
Pour lui, il «reste les réformes politiques», assurant qu'il en a fait «sa
priorité». «Je suis décidé à aller loin dans le changement radical pour rompre
avec les mauvaises pratiques, moraliser la vie politique, et changer de mode de
gouvernance», s'est-il engagé.
Interrogé sur le véritable rôle de l’armée, le chef de l'Etat a affirmé que
celle-ci «accomplit ses missions constitutionnelles, elle ne s’occupe ni de
politique, ni d’investissement, ni d’économie. Elle est là pour sauvegarder
l’unité nationale, protéger la Constitution et les Algériens contre toute infiltration
terroriste et toute tentative de déstabilisation du pays». «Vous ne trouverez
aucune trace de son immixtion dans la vie du citoyen si ce n’est lors du
service national», a-t-il ajouté.
Il s'est dit, par ailleurs, ne pas se sentir «redevable» qu’envers le peuple
qui l’a élu «en toute liberté et transparence». «L’armée a soutenu et
accompagné le processus électoral, mais n’a jamais déterminé qui allait être le
président. Si je me suis engagé dans la présidentielle, c’est parce que j’avais
un arrière-goût de travail inachevé. Vous savez dans quelles circonstances j’ai
quitté la primature», a-t-il expliqué au journal qui rappelle que M.
Tebboune avait été démis de ses fonctions, en 2017, moins de trois mois après
sa nomination comme Premier ministre pour être parti en guerre contre les
forces de l’argent.
«Mon pays étant en difficulté, j’ai pensé pouvoir apporter un plus même si je
savais que c’était un sacrifice pour ma famille et moi-même. C’est un devoir»,
a-t-il soutenu.
La République doit avoir des fondements
sains
S'agissant de l'une des revendications du Hirak (mouvement de contestation
populaire) relative à «un Etat civil, non militaire», le président Tebboune a
précisé que «ce slogan date du 19 juin 1965», date d'arrivée au pouvoir du président
Boumediene.
Interrogé sur la neutralisation de la «mafia politico-financière» dont de
nombreuses figures sont aujourd’hui en prison, le président de la République a
affirmé que «la corruption et l’accumulation d’argent sale ne s’effacent pas
avec du correcteur». «La tête de la mafia a été coupée mais pas le corps.
De l’argent sale circule encore. Chaque jour, de nouveaux responsables, des
pseudos hommes d’affaires se retrouvent devant la justice», a-t-il ajouté.
Les fondements de l’Etat algérien, a-t-il poursuivi, «doivent être sains». Il a
estimé, à ce titre, que «ce qui nous attend est bien plus grand que les travaux
de Sisyphe».
«Nous sommes en train de reconstruire, mais ça va prendre du temps. Aucun Etat
moderne ne s’est bâti en une génération. La Ve république en France a commencé
en 1958 du siècle passé ! Commençons par tracer les contours de notre nouvel
Etat sur le plan constitutionnel, puis institutionnel, puis économique», a-t-il
plaidé.
Le chef de l'Etat a mis l'accent, par ailleurs, sur l'urgence de sortir
l’Algérie de la dépendance aux hydrocarbures, estimant que cette «richesse
divine épuisable», doit «générer des richesses plus durables».
«L’Algérie regorge d’autres ressources dont la principale
est sa jeunesse instruite. Ma génération est restée dans son carcan mais les
jeunes sont en contact avec le monde entier. Des jeunes formés sur les bancs de
l’école algérienne sont sollicités pour leur dynamisme et leur savoir faire,
partout dans le monde, aux Etats-Unis, en Europe», a-t-il affirmé.
Il a expliqué, à ce titre, que «c’est dans cet esprit universaliste et par une
compétition saine et moderne que nous allons construire un nouvel édifice
économique basé sur la valorisation de la production nationale, l’économie de
la connaissance et la transition énergétique».
Selon le président de la République, «dans cet édifice, les start-up, TPE et
PME seront une pierre angulaire». «Nous allons aussi réfléchir à mieux
valoriser nos produits agricoles sans se retrouver dans des cycles irrationnels
de surproduction et de pénuries», a-t-il indiqué, regrettant que l’Algérie soit
«vue par ses partenaires comme un grand marché de consommation».
«Nos maux viennent de l’importation débridée, génératrice de surfacturation,
une des sources de la corruption favorisée par de nombreux pays européens où se
faisaient la bancarisation, la surfacturation, les investissements de l’argent
transféré illicitement. Cela a tué la production nationale», a-t-il affirmé.
Il a annoncé, à l'occasion, l'arrêt de l’importation de kits automobiles.
«L’usine Renault qui est ici, n’a rien à voir avec celle qui est installée au
Maroc. Comment créer des emplois alors qu’il n’y a aucune intégration, aucune
sous-traitance ?», s'est-il interrogé.
A propos de l'article 63 (anciennement 51) de la Constitution qui prive
l'Algérie de nombreuses compétences en empêchant les binationaux d'accéder aux
hautes fonctions de l'Etat, le président a précisé que «cet article va être
changé». «L'immigration d'origine algérienne à l'étranger a toute sa place ici,
et nous œuvrons pour qu'il n'y ait plus de séparation entre les citoyens
émigrés et ceux qui sont restés au pays. Ils ont les mêmes droits et
possibilités. Qu'ils soient momentanément ou définitivement à l'étranger, leur
pays d'origine demeure l’Algérie, et ils y sont les bienvenus», a-t-il affirmé.
Le chef de l'Etat a, toutefois, indiqué que «certains postes, ultrasensibles,
qui touchent à la sécurité nationale, ne peuvent pas être ouverts à n'importe
qui».
Concernant la relation mémorielle entre l'Algérie et la France, le Président
Tebboune a affirmé avoir eu quelque contacts avec son homologue français,
Emmanuel Macron, qui «essaye, a-t-il dit, de régler ce problème qui empoisonne
les relations entre nos deux pays», relevant que «parfois il est incompris, et
parfois, il fait l'objet d'attaques virulentes de la part de lobbies très
puissants».
«Il y a un lobby revanchard, qui rêve du paradis perdu, parle trahison de De
Gaulle et je ne sais quoi encore. Notre indépendance a presque 60 ans. Il est quand
même bizarre que l'Algérie revienne encore dans presque toutes les actualités
politiques françaises! Et quand on en arrive à écrire une loi qui glorifie la
colonisation, on est loin de ce que nous attendons», a-t-il fait observer.
Pour des relations sereines avec la
France
Le chef de l'Etat a indiqué que l'Algérie est pour des «relations sereines avec
la France, fondées sur un respect mutuel», estimant qu'«à un certain moment, il
faut regarder la vérité en face. Un premier pas est de reconnaître ce qui a été
fait, le deuxième pas est de le condamner».
Pour le président Tebboune, «il faut du courage en politique». Mais il y a un
autre lobby (le Maroc, Ndlr), dont toute la politique repose sur l'endiguement
de l'Algérie, et qui est présent en France».
«C'est un lobby, aux accointances économiques et sociales, qui a peur de
l'Algérie. Même quand l'Algérie intervient pour proposer des règlements
pacifiques à des crises, ce lobby tente de s'immiscer sous prétexte qu'il est
également concerné», a-t-il fait observer.
Interrogé sur les efforts que doit fournir l'Algérie pour ne pas exploiter
politiquement une rancœur vis-à-vis de la France, il a répondu «de notre côté,
il n'y a pas de rancœur».
«Il y a des réactions aux actions de haine, de xénophobie et d'islamophobie qui
se manifestent de l'autre côté. C'est ce que j'ai expliqué au président
Macron», a-t-il expliqué.
Le chef de l'Etat a fait savoir, à ce propos, que «les Algériens ne veulent pas
que l'on s'occupe de leurs affaires», en s'interrogeant «comment peut-on
suggérer une période transitoire à l'Algérie ou s'immiscer dans le choix de son
peuple?».
«Il revient aux Algériens seuls de régler cette affaire. Et il appartient aux
autres d'admettre que nous somme viscéralement jaloux de notre souveraineté chèrement
reconquise», a-t-il précisé.
«Et quand je vois des jeunes, sous l'œil passif, sinon complice, de la police
française, malmener des personnes âgées qui viennent dans leur consulat voter à
la dernière présidentielle algérienne. Est-ce que l'on est dans un pays
réellement démocratique?», s'est-il interrogé également, rappelant que
«beaucoup d'Algériens en France voulaient aller voter, mais ils ont eu peur.
Pour nous, l'affaire n'est pas enterrée. L'enquête continue». Par ailleurs,
concernant la situation au Mali et si la France cherchait le soutien de
l'Algérie, le président de la République a indiqué que «le président Macron
oui, ses prédécesseurs non. Si on nous avait laissé faire, il y a longtemps que
le problème malien aurait été réglé», a-t-il affirmé, soulignant que l'Algérie
«n'a cessé de présenter des solutions aux Maliens depuis 1962».
«Ce sont des frères. Leurs problèmes sont nos problèmes. L'accord d'Alger était
presque parfait. C'était la seule voie possible pour que le sud du Mali intègre
le nord dans ses structures et institutions. Mais la France officielle a voulu
régler le problème militairement», a-t-il fait observer.
«Nous nous sommes retirés et voyez ce qui se passe sur le terrain», a relevé M.
Tebboune, en rappelant que «les solutions militaires n'ont jamais réglé
les problèmes, bien au contraire, dans notre cas, ils compliquent les
situations et servent d'appel d'air aux terroristes», en insistant sur la
nécessité de «revenir à l'accord d'Alger».
Quant au G5 Sahel, le président Tebboune a indiqué que cette force «n'a pas les
capacités militaires pour lutter efficacement contre le terrorisme». Sur
la crise libyenne, le chef de l'Etat a rappelé que l'Algérie, dès 2011, a dit
que «ce n'est pas ainsi que l'on règle les problèmes», ajoutant que «si Kadhafi
pose problème, c'est à ses citoyens de décider de son sort». «Aujourd'hui, il
faut pousser les Libyens à dialoguer et à reconstruire leur Etat», a-t-il
souligné. «Si nous sommes habilités par le conseil de sécurité de l'ONU, nous
sommes capables de ramener la paix rapidement en Libye, car l'Algérie est un
médiateur sincère et crédible, accepté par toutes les tribus libyennes», a
affirmé le président de la République.
Il a soutenu, en outre, qu'«il ne faut pas faire des guerres par procuration,
il faut s'engager à ne pas vendre des armes et cesser de faire venir des
mercenaires», ajoutant que l'Algérie «fournit aux Libyens de la nourriture et
des médicaments et non des armes pour s'entretuer».
«Si la désintégration de la Libye se poursuit, d'ici à un an, un an et demi,
l'Europe et la Méditerranée auront une nouvelle Somalie à leurs frontières avec
des conséquences certaines sur leur stabilité et leur sécurité», a-t-il averti.
«La chance actuelle de la Libye est que ses grandes tribus n'ont pas pris les
armes. Elles sont toutes prêtes à venir en Algérie pour forger ensemble un
avenir commun», a fait savoir M.Tebboune. «Nous sommes les seuls à proposer des
solutions saines et désintéressées. On ne nous laisse pas faire. Pourtant,
l'Algérie n'a aucune visée hégémonique, ou visée sur les richesses de ce pays
frère qui nous a ouvert ses portes pendant notre guerre de Libération», a-t-il
fait remarquer.