VIE POLITIQUE-
ENQUETES ET REPORTAGES- HIRAK- REVOLUTION FEVRIER 2019
IL Y A UNE ANNÉE, LE MEETING DE SOUTIEN
AU 5E MANDAT POUR BOUTEFLIKA À LA COUPOLE……Le
show qui a fait basculer l’Algérie
Show organisé à le coupole du 5-Juillet
pour “plébisciter” un 5e mandat pour Bouteflika. © Louiza
Ammi/Liberté
© Liberté/ Karim Kebir,dimanche
9 février 2020
Perçue
comme une humiliation suprême par un peuple longtemps relégué au rang
d’assisté, la réponse ne tardera pas à venir à ce qui était considéré comme un
“affront” de trop.
L’événement est passé depuis dans la
postérité. Il y a une année, jour pour jour, le Front de libération nationale
(FLN), parti majoritaire à l’Assemblée nationale, au pouvoir depuis
l’indépendance, décidait, après plusieurs semaines de tergiversations, d’exhorter
l’ex-président Abdelaziz Bouteflika à briguer un cinquième mandat. “En votre
nom, et par devoir de gratitude, je suis honoré d’annoncer que le FLN présente
comme candidat à la prochaine élection présidentielle le moudjahid Abdelaziz
Bouteflika”, déclarait, dans un show haut en couleur à la coupole
Mohamed-Boudiaf, l’éphémère président de l’APN, Mouad
Bouchareb, aujourd’hui disparu des radars.
Devant plusieurs centaines de personnes, dont beaucoup étaient acheminées des
villes de l’intérieur et dont certaines ignoraient même les raisons de leur
déplacement, en présence de cadres du parti et d’Abdelmalek
Sellal, qui devait un moment prendre la direction de
la campagne, Mouad Bouchareb
justifiait le choix du parti par les “réalisations” et le “passé révolutionnaire
du grand moudjahid”. Clou du “show”, dont l’image passera aussi à la postérité
et relayée en boucle depuis plusieurs mois par les internautes : Abdelmalek Sellal, Bouchareb et Hebba El-Okbi, faute de la présence du “candidat”, reclus à Zéralda depuis son AVC en 2013 et n’apparaissant que
rarement sur les écrans de télévision, se sont affichés avec un “cadre” du
Président. Cette séquence venait de confirmer le soutien exprimé une semaine
plus tôt par les partis de l’alliance présidentielle (FLN, RND, TAJ et MPA) au
siège du FLN, mais également par d’autres organisations, à l’image du FCE, de
l’UGTA, des zaouïas et autres structures satellites.
Aussi, pour les connaisseurs des
mécanismes du fonctionnement du sérail, elle venait de clore dans une large
mesure les supputations, nées quelques mois plus tôt, sur l’éventualité ou non
d’un cinquième mandat. Sauf que ce moment solennel qui pouvait traduire un
“consensus fragile” au sommet du pouvoir et une absence d’autre alternative
pour le régime va provoquer une onde de choc au sein de l’opinion.
L’Algérie, riche par sa jeunesse, n’avait-elle d’autre choix que subir les
caprices d’un homme grabataire, âgé alors de 81 ans, dont les rapports au
pouvoir sont pathologiques et qui ne s’était pas exprimé à son peuple depuis
2012, s’interrogeait-on ? Perçue comme une humiliation suprême par un peuple
longtemps relégué au rang d’assisté, soumis au chantage à la peur et dont on
n’a sans doute pas alors mesuré l’ampleur de la colère qui couvait en lui,
qu’on a décrété à tort résigné, la réponse ne tardera pas à venir à ce qui
était considéré comme un “affront” de trop. Une semaine plus tard et contre
toute attente, plusieurs milliers de personnes, drapeau algérien et emblèmes
noirs en guise de deuil à la main, descendent dans les rues de Kherrata, ville symbole au sud-est de Béjaïa,
théâtre des événements du “8 Mai 1945”, pour dire “non” à un cinquième mandat.
Cette manifestation qui avait surpris
par sa spontanéité sera relayée par les médias et les réseaux sociaux, et fera
le tour du monde. Trois jours plus tard, Khenchela
prend le relais : des citoyens décident de décrocher un portrait géant du
président déchu accroché à la façade d’une mairie. Un geste qui fait aussi
grand bruit. Un tabou venait de sauter. Même s’ils pouvaient apparaître alors,
pour certains, comme isolés, ces événements se déclinaient pourtant comme les
signes avant-coureurs de la “révolution” qui allait advenir un certain… 22
février. En réponse à des appels sur les réseaux sociaux, mais aussi probablement
à des “encouragements” d’un segment du pouvoir, des millions de personnes, fait
inédit dans l’histoire de l’indépendance du pays, investissent la rue pour
clamer le refus du cinquième mandat et réclamer un changement radical du
système.
Et la suite, tout le
monde la connaît. Malgré quelques tentatives de forcing de ses soutiens et une
ultime manœuvre de son clan, notamment à travers la lettre du 11 mars annonçant
un certain train de mesures dont l’élaboration d’une nouvelle Constitution et
le renoncement à briguer un autre mandat, Bouteflika finira par être poussé
vers la sortie par la pression populaire qui n’a pas cessé, depuis, de
revendiquer le changement et par l’armée, le 2 avril. Un nouveau chapitre dans
l’histoire mouvementée du pays venait de s’ouvrir.
Aujourd’hui, la plupart des responsables de ceux qui ont soutenu sa
candidature, frappés alors de cécité, et qui ont porté le mépris à son
paroxysme et n’ayant sans doute pas pris la mesure de la mutation de la
société, croupissent en prison. Le “show” qui devait préparer la “fête du 18
avril”, date initialement fixée pour le scrutin, s’est transformé en cauchemar
pour eux. Et Bouteflika qui rêvait d’un destin à la “De Gaulle”, dont certains
réclament le jugement, est jeté aux oubliettes.
Quant au peuple, lui, ayant brisé le mur de la peur, il continue à écrire
l’Histoire du pays chaque vendredi. De la plus belle des manières :
pacifiquement et avec le sourire.