INDUSTRIES-OPINIONS
ET POINTS DE VUE- MONTAGE AUTOMOBILE- EL WATAN/SAID RABIA
Montage automobile en Algérie : Autopsie d’une arnaque
© El
watan/ Said Rabia, dimanche 9 février 2020
Le rêve d’une industrie automobile en Algérie tourne au désastre
économique. Les soi-disant chaînes de montage sont désormais toutes à
l’arrêt, et elles semblent bien fermées pour de bon n En 20 ans, ce sont 50 milliards de dollars qui se sont évaporés dans le
sillage de cette grande arnaque.
En 20 ans,
ce sont 50 milliards de dollars qui se sont évaporés dans le mirage de
«l’industrie automobile». C’est le patron d’Elsecom Motors, Abderrahmane
Achaïbou, qui le déplorait il y a quelques jours lors d’une manifestation
scientifique organisée par des enseignants et des élèves de l’Ecole
polytechnique d’Alger. Elsecom Motors et Hyundai Motors Algérie (HMA) de Omar Rebrab, ayant été dépossédés de leurs biens,
symbolisent à eux deux les méfaits du gangstérisme qui a prévalu dans le
secteur de l’Industrie sous l’ère Abdesselam Bouchouareb, aujourd’hui en fuite
et condamné par contumace par la justice algérienne à 20 ans de prison en
attendant d’autre procès le concernant.
Après deux
décades, le rêve de l’industrie automobile tourne au drame économique. Les
soi-disant chaînes de montage sont désormais toutes à l’arrêt, et elles
semblent bien fermées pour de bon. Dans l’immédiat, hormis la préparation de
l’importation des véhicules de moins de trois ans, le gouvernement ne prévoit
rien pour le secteur de l’automobile. D’aucuns savaient que la catastrophe
produite par les anciens responsables du gouvernement et Abdesselam Bouchouareb
était énorme, mais le constat fait mardi soir par le ministre de l’Industrie et
des Mines, Ferhat Aït Ali, est sans appel.
Ce qu’a révélé le ministre à
l’émission «El Hiwar El Ikdisadi», d’A3, est ahurissant. «Toute cette
industrie, y compris ceux qui assemblent les engins, tout ce qui est CKD, de la
téléphonie jusqu’aux véhicules, ne faisaient qu’importer tous les composants du
produit final qui arrivent déjà assemblés. Des fois même emballés», peste
Ferhat Aït Ali qui fait tomber l’inévitable sentence: «ceux-là, si
on ne leur importe pas à longueur d’année l’intégralité de leur chiffre
d’affaires, ils fermeront.
Le plus étonnant est que tout ce que
j’ai pu constater de l’extérieur, j’ai pu le vérifier», a
souligné le ministre en affirmant que «la fiche d’évaluation de ces
opérateurs depuis vingt ans ne contient aucune référence pour que l’on sache ce
qu’on est en train d’évaluer.» «Chaque
année, on est censé, dit-il, faire le point sur le taux
d’intégration, mais sur cette fiche, il n’y a que la déclaration du concerné.»
Ferhat Aït Ali déclare que même
Renault ne fait pas exception. Selon lui, «les
rapports d’organismes officiels confirment que tout ce qui est annoncé comme
taux d’intégration est faux.» «Un bénéfice de 1,5 milliard de dollars ou
d’euros en exonération fiscale est dégagé chaque année et il n’est pas normal
qu’avec toutes ses exonérations les concernés présentent des bilans avec des bénéfices
de 1% par an», s’offusque le ministre de l’Industrie et des Mines.
En parlant de «ces usines de
montages» nées comme des champignons, Ferhat Aït Ali met l’accent sur la
«logique d’importation». «Il existe, selon
lui, un ou deux qui ont essayé de réaliser ce que nous voulions faire
en 2017, ils ont importé des machines qui leur permettent de produire les
carrosseries (…) mais pour les autres, il n’y a strictement aucun effort
d’investissement». «Ce sont, tranche-t-il, des hangars
valables pour toutes sortes d’activités».
Le ministre, qui refuse de céder
au chantage par l’emploi, affirme qu’il n’existe aucun savoir-faire. «Tous les
tôliers d’Algérie ont une formation pointue dans le domaine. Il n’y a aucune
nouvelle connaissance», a estimé le ministre qui parle du
dérèglement total et d’une indescriptible anarchie dans le secteur de
l’industrie. Selon lui, le taux d’intégration devait, pourtant, reposer sur les
sous-traitants locaux, l’article 110 de la loi de finances 2017 stipulait
l’octroi d’avantages en faveur des importateurs de matières premières afin
qu’ils puissent produire de la pièce. Seulement, précise le ministre, jusqu’à
ce jour, les textes d’application de cette disposition n’ont pas suivi.
«Quelqu’un qui achète l’intrant de
base paye 15% de droits de douane, celui qui achète la produit monté paye 5%», dénonce
Ferhat Aït Ali qui semble bien diagnostiquer le secteur de l’industrie en
général et celui de l’automobile en particulier avant de conclure que «la
législation est piégée». Selon lui, la loi a été faite sciemment pour
que certains en tirent profit. Et ce n’est pas un hasard». «Il n’est
pas possible de continuer comme cela», affirme Ferhat Aït Ali qui
préconise la fin de toutes les exonérations douanières et fiscales. «Plus tard,
il va y avoir une nouvelle législation».
La fin de l’anarchie et les issues
possibles pour l’Automobile
La page est visiblement tournée.
L’Etat est définitivement résolu à ne plus encourager ce que Ferhat Aït Ali
appelle de «fausses importations». Les pertes subies par le
Trésor public, uniquement dans trois affaires traitées par la justice sont
considérables. Elles sont évaluées à près de 129 milliards de dinars. Selon le
patron de HMA, Omar Rebrab, les activités de ce qu’on a appelé l’assemblage
automobile ne répondaient même au cahier des charges.
Pis, à
vrai dire, dit-il, ce n’est ni du SKD ni du CKD, mais du DKD qui consiste à
déboulonner les pare-chocs et les roues avant de les remonter à nouveau. Spolié
de sa marque Hyundai, le patron de HMA qui a remis le compteur en marche au
niveau de Oued Smar, n’a jamais compris les prix des
véhicules vendus en Algérie. Exonéré de TVA et autres droits de douane, exempté
des charges patronales, de la TVN 15% et d’autres importantes impositions et
malgré cela le véhicule est vendu aux Algériens à des prix exorbitants, estime
Omar Rebrab pour qui l’installation d’une véritable industrie ’automobile est
une affaire de constructeur.
«L’industrie et la construction ce
n’est pas le métier du distributeur». «La vente
aussi est un métier», souligne le patron de HMA qui préconise la mise en place
d’une batterie de facilitations pour pouvoir attirer des constructeurs
automobiles dans notre pays.
Le patron d’Elsecom Motors,
Abderrahmane Achaïbou, victime de l’arbitraire de l’ancien ministre de
l’Industrie Abdesselam Bouchouareb et de l’ancien chef de l’Exécutif, Ahmed
Ouyahia, qui avaient la main sur le Conseil national de l’investissement (CNI)
suggère deux voies à l’industrie automobile : soit «le rachat
d’un processus complet d’un ancien modèle de véhicule avec assistance technique
du constructeur (emboutissage, chaîne de peinture, fabrication des kits), ou
offrir un environnement propice pour la délocalisation d’un constructeur
(éco-système, exonérations fiscales, zone franche portuaire)».
Abderrahmane Achaïbou cite
l’exemple du voisin marocain qui a offert les meilleurs critères d’accueil à
Renault et à PSA. Il donne aussi l’exemple de la Turquie qui, selon lui, a mis
en place des zones franches qui ont permis l’essor de l’industrie automobile
dans le pays. «Aussi bien au Maroc qu’en Turquie, l’installation de nombreux
constructeurs avec d’importants volumes de production destinés à l’exportation
dans les deux pays a entraîné la venue en masse des équipementiers et le
développement de la sous-traitance locale», constate Abderrahmane
Achaïbou qui est convaincu, en effet, que «rien ne
peut réussir sans la liberté d’entreprendre».
Le patron d’Elsecom Motors attend
l’issue des procès en cours. Le ministère, dit-il, doit faire un audit
aujourd’hui pour que tout ce qui a été enlevé de manière arbitraire soit remis
à ses propriétaires. «On a dépensé 10 milliards de dollars en trois
ans pour monter 380 000 véhicules. Le coût en termes de crédits
d’investissements, exonération de droits de douane et taxes est de l’ordre de 4
milliards de dollars», précise M. Achaïbou qui cite une analyse publiée par le
quotidien Le Soir d’Algérie.
Le manque
à gagner, souligne-t-il, est de 3 milliards de dollars. Seule une véritable
politique industrielle est capable de mettre un terme à la gabegie et la
catastrophe économique léguée par les précédents gouvernements. Elsecom Motors
et HMA ne perdent pas espoir de se voir rétablir dans leurs droits. Tous les
opérateurs attendent la politique que va imprimer le gouvernement au secteur de
l’automobile et le cadre législatifs annoncé et qui va être mis en place pour
instaurer des règles claires et pérennes.