HISTOIRE- PERSONNALITES- BENYAHIA
MOHAMED SEDDIK- PORTRAIT
©
Abdelaziz Boucherit, ,
mercredi 5 février 2020
– Il se distingua par un système de
pensée unique, avec des propos empreints d’un réalisme culturel complet, qui
emprunte aux idées modernes leur substance fertile et à la force de la culture
traditionnelle l’authenticité du pays réel. En somme, opter pour la modernité
et rester intimement attaché à la culture millénaire du pays. On oublie souvent
que Mohamed Seddik Benyahia
fut un fervent disciple de Farhat Abbas, l’homme du
bon sens, l’incompris, le père et adepte du concept fondateur de l’Algérie de
demain : l’Algérie algérienne. Une Algérie unie et fraternelle capable de se
régénérer en renaissant de ses propres cendres.
Le 12
juillet 1973, au plus fort de sa maturité politique, Mohamed Seddik Benyahia lança, du haut de
sa tribune, aux côtés d’un président de la République conquis par la subtilité
suprême de la pensée, insolite et supérieure du personnage, avec un sens aigu
de la formule, aux étudiants qui étaient venus l’écouter : «Votre présence
prouve que vous refusez l’université bourgeoise, l’université citadelle, que
vous rejetez l’extraterritorialité culturelle pour entrer dans le pays réel».
La nuance aux références culturelles du pays n’était pas fortuite. Elle
évoquait, avec un soupçon d’une pique, forgée dans l’élégance d’une pensée
étoffée dans la subtilité de l’éloquence, la critique du mauvais virage dans
lequel fut engouffré le pays.
Boumediene
n’eut rien vu venir, mais il fut alerté par de légères explications de Jean Leca (politologue français) et Jean-Claude Vatin (politologue et chercheur au CNRS). Ils trouvèrent
dans cette position un mixage des termes marxistes (université bourgeoise),
nationalistes (extraterritorialité), voire franchement aux mœurs et coutumes de
la culture traditionnelle (le pays réel). On aurait pu éviter d’aller chercher
trop loin des explications farfelues, avec des termes savants faisant référence
au marxisme ou on ne sait quoi encore. Le ministre se trouva, ce jour-là,
devant un public acquis à sa cause. Il voulut, tout simplement, livrer un
message qui lui tenait à cœur : assoir la véritable personnalité de l’Algérie
dans la continuité ancestrale d’une culture berbère millénaire. En somme, se
ressourcer de notre riche et vieux patrimoine. En langage naturel qui enrobe la
conscience, utilisé par les formulations de Ferhat Abbas. Cela voulait dire :
l’Algérie algérienne. Formule qui avait inspiré Abane
Ramdane et Didouche Mourad
avant lui.
Né le 30
janvier 1932 à Jijel, il disparait tragiquement le 3 mai 1982 dans l’explosion
d’un avion spécial en route vers Téhéran.
Mohamed Seddik Benyahia, issu d’une
famille aisée citadine de Jijel, avait suivi une scolarité assidue qui le
conduit du collège de Sétif, où il passera quatre ans, au lycée Bugeaud
(l’actuel Emir-Abdelkader) à Alger. Il fut remarqué par ses capacités
intellectuelles naissantes et, déjà, le sens aiguisé de la formule. Ses maîtres
revenaient souvent sur ses qualités, dans ses bulletins, avec l’appréciation :
sujet remarquable. Il lisait beaucoup et fut fasciné par Jacques Prévert. Il
connaissait par cœur les poèmes de ce dernier. Mohamed Seddik
Benyahia fréquenta l’université d’Alger pour suivre
des études de droit. Il obtint son diplôme d’avocat et s’inscrivit en 1953 au
barreau d’Alger. En 1951, Il venait d’avoir dix-neuf ans à peine. Le jeune
homme adhéra au parti MTLD, le Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques. Il assura la défense de Rabah Bitat,
écroué à la prison de Barberousse et profita pour tisser des relations
cordiales avec Abane Ramdane.
Il quitta le MTLD, lors du conflit entre les messalistes et les centralistes,
qui actera la rupture définitive au sein du MTLD, tout
en maintenant un contact permanent avec les militants du parti. Le harcèlement
de la police coloniale le poussa à rejoindre le FLN à l’extérieur du pays. Il
fonda l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens) avec son ami
Lamine Khane (originaire de Collo, dans la wilaya de
Skikda) et Ahmed Taleb Ibrahimi. Il fut parmi les
initiateurs de la grève, le 19 mai 1956, des étudiants qui rejoignirent en
masse les rangs du FLN et de l’ALN.
En août
1956, il sera désigné au Congrès de la Soummam en tant que membre suppléant du
CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne). Mohamed Seddik Benyahia fut affiché comme
un partisan dévoué à Abane Ramdane
en cautionnant la totalité des conclusions du Congrès de la Soummam.
En 1960, il
sera nommé au poste de directeur de cabinet du président Ferhat Abbas, lui-même
soutien d’Abane Ramdane
lors du 2e GPRA.
Après qu’il
eut représenté l’Algérie à la conférence des étudiants afro-asiatiques à
Bandoeng, Benyahia deviendra le représentant
permanent de l’Algérie en Asie du Sud-Est avec la
compagnie étroite de Lakhdar Brahimi.
Cet homme
de conviction faisait doucement son petit chemin, en dépit d’une santé
chancelante. Il fit partie de la délégation algérienne aux pourparlers de Melun
en 1961 et s’imposa par son charisme, comme un élément central dans la
commission des négociateurs des accords d’Evian. Il visita, au nom du CNRA, les
pensionnaires d’Aulnay, muni d’un passeport tunisien. Il était, en outre,
accompagné par Abdelaziz Bouteflika, l’œil de l’EMG, muni, lui, d’un passeport
marocain.
Mohamed Seddik Benyahia vit, de près, le
bras de fer entre Abane Ramdane
et l’EMG, l’état-major général. Certains disent le «complot» ou le «coup d’Etat
des colonels». Si Mohamed Seddik Benyahia
avait observé de près les manœuvres des militaires, il n’avait rien dit. Farhat Abbas savait que ces derniers ne connaissaient que
le langage des armes et, impuissant, il laissa faire. Le jeune Benyahia, âgé de vingt-huit ans, prit exemple sur son
mentor.
L’homme
aura marqué ceux qui l’ont connu par sa modestie, sa discrétion, sa modération
et la justesse innée, comme un don du ciel, de ses critiques. Son érudition
impressionnait par le verbe et l’étendue de sa sagacité intellectuelle. «Le
petit Benyahia», comme aimaient à l’appeler ses
compagnons, en raison de sa petite taille, une frêle corpulence et une santé
fragile. Il s’imposa par des compétences avérées au sein de la délégation des
négociations d’Evian, sans que personne ne trouva rien à redire ni rechigner
sur l’évidence de sa présence.
Albert Paul
Lentin, qui a suivi de près les négociations d’Evian,
le décrit ainsi : «Ce jeune renard aux traits aigus et à l’œil futé se
distingue non seulement par une astucieuse subtilité, mais par une volonté de
fer. Efficace et avisé, il va de l’avant, en dépit de sa santé chancelante et
il se fraie son chemin coûte que coûte, à force de prudente ténacité et de
dynamisme contrôlé». Boumediene et son clan se méfièrent de son alignement sur
les positions du GPRA, mais utilisèrent ses compétences et son intelligence
hors du commun. Boumediene était prudent mais fasciné par le génie du
personnage. Il parlait de lui en privé en le traitant de «Talleyrand algérien»,
une expression qu’il aurait empruntée à Ben Bella qui aimait coller des
étiquettes, généralement pour dénigrer.
La peur de
l’intelligence et le mépris des diplômés, par les nouveaux maîtres de l’Algérie
l’écartèrent volontairement de l’Assemblée constituante. Cette méfiance ira
jusqu’à désigner un bureau politique du FLN démuni, littéralement, de diplômés.
Le spectre de l’esprit d’Abane, même mort, inquiétait
les détenteurs du pouvoir. A leurs yeux, chaque homme politique intelligent, de
l’époque, portait, forcément en lui les séquelles des concepts fondateurs
édictés par Abane Ramdane
et la sagesse politique affinée par Farhat Abbas.
Mohamed Seddik Benyahia avait beaucoup
souffert, en silence, de ce mépris à son égard et surtout la politique de
guerre entreprise contre l’intelligence. En fin tacticien politique, il prit du
recul et demanda à se faire nommer comme ambassadeur à Moscou et à Londres.
Mais la malice sans génie ne peut mener nulle part en politique et la pratique
du pouvoir sans talent dérive toujours vers l’autoritarisme. Boumediene, contraint
et forcé, fit appel aux compétences de Mohamed Seddik
Benyahia pour s’occuper, sérieusement, des affaires
de l’Etat. Il prit le taureau par les cornes et s’engagea avec énergie dans sa
tâche, au service de son peuple, en prenant la responsabilité de plusieurs
ministères importants, jusqu’à sa mort.
Mais, en
attendant que l’histoire livre tous ses secrets et mette en avant les mérites
de tous les enfants du pays, Benyahia, comme tant
d’autres, furent victimes d’un système vicieux et cynique, attiré par un pouvoir
aux méthodes érodées. Pourtant, il est des morts qui dérangent et dont on
craint l’ombre, écrivait feu M’hamed Yazid, le 4 mai 1993, dans une évocation du souvenir de
Mohamed Seddik Benyahia. Il
suffit à notre peuple de retirer, juste, la poussière des années accumulée sur
les noms illustres de ses enfants pour trouver la lumière. Les enfants de
l’Algérie qui, par amour pour le pays, ont fait briller, par leurs prises de
position la personnalité réelle et éternelle de l’Algérie.