COMMUNICATION- ETUDES ET ANALYSES- ECONOMIE DES MEDIAS
EN ALGERIE- REVUE NAQD ,AUTOMNE-HIVER 2019 /N°37/JANVIER 2020 (II/II)
ÉCONOMIE DE LA PRESSE ET DE LA COMMUNICATION EN
ALGÉRIE : DE L’ « AVENTURE INTELLECTUELLE » À LA
« MÉSAVENTURE ÉCONOMIQUE » (SUITE ET FIN)
Troisième
étape : la mésaventure néolibérale
Elle va de la fin des
années 2000 à nos jours en accompagnant une « néo-libéralisation » de
l’économie nationale encore bien plus large qu’auparavant, avec une présence
plus forte d’entrepreneurs liés,
directement ou non, depuis 1999 au pouvoir en place (quatre mandats
présidentiels et un cinquième avorté en 2019) et pratiquant une
« stratégie de placement » de leurs capitaux.
Cette étape est marquée
par l’apparition lente mais inéluctable d’un nouveau modèle économique de la
presse, que l’on pourrait
appeler l’« aventure industrielle et commerciale ». Bien sûr, rien n’est
conçu à l’avance et tout est spontané, comme s’imposant de lui-même. Ce qui, en
dehors des manœuvres politiciennes habituelles, se déroule dans une certaine
confusion ou anarchie, au mépris de la
réglementation, lorsque celle-ci existe.
Le hasard a fait que le
gouvernement, en mars 2016, a parlé d’un nouveau modèle économique. Or,
la crise financière due à la baisse des prix du pétrole sur le marché
international entraînait une contraction de l’économie et des ressources
publicitaires (de 50 à 60%). En avril, il n’y avait pas d’avant-projet, ni même
de grandes lignes de ce projet. Comme si l’on voulait, involontairement (???),
laisser le secteur de la presse (le premier, en mars-avril 1990 à s’être lancé
dans la « libéralisation économique ») inaugurer les nouvelles règles
de la nouvelle économie de marché.
On relève donc que,
depuis le début de la décennie, et cela est allé en s’accélérant, les
journaux font face à de nombreuses
difficultés mettant en péril leur existence même.
Cela n’était pas très visible au départ car ceux
qui étaient touchés étaient des journaux au tirage limité et à l’influence
politique et économique peu importantes. Le nombre d’employés était d’ailleurs
assez réduit et la mise au chômage ne soulevait pas de gros débats.
Sur le terrain, on avait un grand
groupe de presse étatique, s’imposant
avec force, l’ATC :
Algeria Trust Communication/ SPA, appellation
de l’ancienne SGP Presse et Communication depuis janvier 2011
qui regroupe les entreprises
publiques de presse, c’est-à-dire les 6 quotidiens (El Moudjahid, Echaâb, El
Djoumhouria, An Nasr, Horizons, El Massa), les 4 sociétés d’impression (c’est-à-dire SIA,
SIO, SIE et SIMPRAL avec 7 unités dont deux au Sud du pays). En
face, une demi-douzaine de grands groupes de presse bien outillés : celui
d’El Watan, celui d’ El Khabar (avec leurs 5 unités d’impression,
propriétés communes, réparties à travers
le pays : Alger, Oran et Constantine) ; ce dernier (El Khabar) doté
un certain moment d’une chaîne de télé satellitaire. Il y a avait, aussi, Ennahar
(tirant, un certain moment, à plus de
300 000 exemplaires/jour) doté de plusieurs chaînes de télé satellitaire
installées en off-shore, Echourouk (tirant un certain temps près de
400 000 exemplaires/jour) doté de plusieurs chaînes de télé satellitaire en off-shore, Le
Quotidien d’Oran (avec son imprimerie à Oran), Liberté (soutenu par
son propriétaire majoritaire, le PDG de Cevital qui avait investi déjà dans
l’affichage), Le Temps d’Algérie (deux quotidiens, l’un en arabe et
l’autre en français, propriétés du groupe ETRHB du milliardaire Ali Haddad,
président du FCE) doté de deux chaînes de télé satellitaire en
off-shore........
Il y a
aussi quelques autres titres, aux moyens limités certes mais ayant un capital
de lecteurs fidèles et un quantum publicitaire minimum : Le Soir
d’Algérie, L’Expression, La Tribune (qui a disparu en 2017, en raison, de
ses dettes).
Le paysage audiovisuel
venait en effet, à la veille du 3è mandat présidentiel, d’être envahi par une
multitude de chaînes de contenu algérien mais dont le siège social se trouvait
à l’étranger, en attendant l’application de la loi relative à l’audiovisuel de
2014. Le monopole étatique de la production n’existant plus, les rédactions de
ces médias et les entreprises de production s’installent pour la quasi-totalité
en Algérie. Fin 2015, on en comptait près d’une cinquantaine (52 selon L’Expression
dans la chronique « Ecran libre » du mercredi 4 mai 2016),
aussi bien généralistes que thématiques ou publicitaires, émettant pour la
plupart sur le satellite Nilsat et sur le satellite émirati Yahsat.
Sans transparence financière aucune, « acceptées » ou encouragées par
les institutions avec parfois des
bureaux accrédités (seulement 5 début 2016), elles ont littéralement
« aspiré » les audiences, grâce à un genre journalistique peu
soucieux des règles de l’éthique et de la déontologie et à des conditions tarifaires plus que
favorables (dumping pratiqué à outrance ainsi que le « sponsoring »).
Ceci a entraîné des durées de vie assez courtes pour les chaînes sans réelle
assise financière ou sans soutien déguisé. 14 chaînes privées ont fermé depuis
2014 ; une bonne partie du gisement publicitaire déjà existant, s’étant
affaibli à partir de 2015, en raison de la crise
du pétrole ... Une bonne partie du gisement des téléspectateurs a, par
contrecoup, abandonné la presse écrite déjà un peu bousculée par l’internet et
les réseaux sociaux.
Le grand problème a
résidé non dans leur existence même, profitable au téléspectateur algérien
devenu un grand « zappeur » mais, dans le fait qu’elles étaient, pour
la plupart, financées par l’informel algérien, lui-même animé par des hommes
d’affaires et industriels installés ou non en Algérie, parfois eux-mêmes liés à
des mouvements politiques ou à des personnalités de la haute
administration civile ou militaire. Nous pouvons citer entre autres : Ali
Haddad des Travaux publics, Kermiche des Eaux minérales, Mazouz de
l’Agro-alimentaire, Takhout des Transports collectifs et de la concession
automobile, Djebbari de l’Immobilier, Meguenni, de l’industrie du carton et
propriétaire du Midi Libre, Ould Zmirli, président du Nahd
(équipe de football d’Hussein dey, Alger), fortement présent dans l’immobilier
et la pharmacie, actionnaire dans le capital d’El Djazairia Tv, Nabil
Amara actionnaire dans El Haddaf Tv et propriétaire du groupe de presse El
Heddaf-Le Buteur proche dit-on du FLN.... et de Belkhadem, Madjer, Si
Affif, etc), un entraîneur de football.....
A partir de 2015, la crise financière a précipité
le mouvement de contraction des marchés internes, obligeant ainsi des titres –
dont les propriétaires et animateurs sont
plus journalistes ou « affairistes » que gestionnaires – à « mettre la clé sous le paillasson ».
On peut citer Algérie News en français et Djazair News en
arabe dirigés par Hamida Ayachi, L’Echo d’Oran en arabe, El Youm,
El Ahdath, Le Financier, L’Actualité... La Voix de l’Oranie, Sawt
El Gharb et El Adjwa en arabe... Puis, en 2017, La Tribune et
El Fadjr (ce dernier titre un certain temps) . Tous
ces titres ont cherché soit à se vendre au « plus offrant », à
l’exemple du rachat (avorté) de 95% des actions du groupe El Khabar par
Nesprod, une filiale du groupe Cevital du milliardaire Isaad Rebrab (plus de 4,06
milliards de dinars), de la vente d’El Djazairia TV, de la recherche de
participation extérieure au groupe Echourouk (qui se retrouvait en 2018,
être le seul journal, avec une dette cumulée auprès des imprimeries d’au moins
1 milliard de dinars).
Bien sûr, il y avait la loi organique relative à
l’Information (12 janvier 2012) qui interdit
la cession des agréments et le possession, le contrôle ou la direction
par une même personne morale de plus d’une seule publication d’information
générale de même périodicité. Mais avec les atermoiements institutionnels bien connus et les multiples « jeux » des
nouveaux pouvoirs (surtout financiers et économiques) , il était devenu
difficile sinon impossible - d’ empêcher,
ou même de dénoncer, les appropriations
franches ou déguisées des médias, et une certaine concentration . La loi était aisément contournée ou ignorée. Il est vrai
que cette loi, avait été très mal faite au départ, car conçue en fonction
d’intérêts circonstanciels et intéressés et
adaptée au nouveau « modèle économique algérien », lui-même
adapté au nouveau capitalisme algérien, un capitalisme dit « de
complaisance », comme on le voit surtout dans les pays à démocratie
autoritariste.
Quatrième étape : Le temps de la com’
électronique ?
A noter qu’une quatrième étape
s’est annoncée encore plus rude, à la
fin des années 2010. C’est celle de la communication électronique. Facilitée
par le fait qu’il n’existe encore aucune
réglementation (décrets d’application) en phase avec la loi relative à l’information
de 2012. Le paysage médiatique numérique
de l’Algérie est ainsi inondé de sites, de blogs et de ce qui est communément
appelé « réseaux sociaux » pratiquant le « journalisme » de
manière informelle et même anarchique, sans respect du minimum de règles
d’éthique et de déontologie et absorbant une part de plus en plus
importante des utilisateurs (l’Algérie compte, en 2017, 34,5 millions d’abonnés
à l’internet fixe et mobile (28,5 en 2016). Une enquête récente, de Immar,
une société de médiamétrie, a avancé, selon El Watan du 6 février 2019,
le chiffre de 16,1 millions d’internautes et 14,1 millions d’utilisateurs des
médias sociaux, contre 16,7 millions de téléspectateurs, 3,4 millions
d’auditeurs de la radio et 2,6 millions de lecteurs de la presse écrite et de
la publicité, bien souvent à des prix défiant toute concurrence.
Et maintenant !
Le mouvement populaire (Hirak)
né le 22 février 2019, aux conséquences non encore palpables, est venu
brusquement perturber un processus que l’on croyait bien assis. Tant au niveau
de la pratique de la liberté d’informer qu’à celui de l’organisation des
entreprises.....privées.
En effet, ces dernières se
retrouvent soudainement confrontées à deux écueils majeurs :
- La contraction, sinon la récession, de
l’économie nationale, ce qui a des répercussions majeures sur le coût de la
vie, sur la consommation de la presse et sur le gisement publicitaire . Ce
dernier est réduit un peu partout au strict minimum ; la publicité
institutionnelle (étatique) , en l’occurrence, dirigée d’abord vers les organes de presse du secteur public. Pour
tous les autres, mis à part quelques rares entreprises proches du
« pouvoir d’Etat », c’est le
temps de l’austérité et des « vaches maigres » : personnel
réduit, collaborateurs extérieurs rémunérés (pigistes) quasi-disparus,
réduction des salaires, bureaux régionaux et locaux fermés, tirages en baisse,
pauvreté du contenu rédactionnel se suffisant de dépêches d’agences et de sites
d‘information......
-La lutte anti-corruption
menée et touchant ou visant tout particulièrement les entrepreneurs privés ,
financiers directs ou indirects de titres de presse , de chaînes de télévision
privées ainsi que de sites électroniques
d’informations. Ainsi, en quelques mois, le groupe « Temps Nouveaux »
du milliardaire Ali Haddad (lui-même traduit en justice) s’est retrouvé amputé
de ses deux chaînes de télévision satellitaires, et ses deux titres de presse
écrite sont désormais « gérés », non sans peine, par les journalistes.
Il est, par ailleurs, évident
que l’évolution politique –quelle que soit son orientation future, et à
l’image, peut-être encore bien plus forte, de ce qui s’était passé juste après
la « révolution d’Octobre 1988 » - va avoir, aussi , des conséquences
sur l’organisation du secteur public de la communication et de l’information ,
sur les modes de management des entreprises de presse privées et sur l’exercice des métiers.
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Selon un
rapport de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, LADDH (El
Hayat, mardi 3 mai 2016), plus d’une quarantaine de titres de presse
vont disparaître dans les mois qui
suivent.
Le ministre de la Communication
déclarait, à juste titre (lundi 25 avril 2016), que « sur les 155 titres
de presse quotidienne, il y a 20 ou
moins qui ont un poids et une importance sur le marché et sur les 20, il y a
peut-être 10 qui sont érigés et gérés comme des entreprises de presse ».
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