HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN SAAD KHIARI- « LE
FILS DU CAÏD »
LE FILS DU CAÏD. Roman de Saad Khiari. Hibr Editions, Alger 2019, 293 pages, 950 dinars
Cela commence fort ....au Club des pins, pardi...et , déjà, on voit venir
l’auteur avec une histoire très
liée au Système ainsi qu’à l’histoire du pays . A travers une histoire toute simple et quelque peu
incroyable (chez nous, tout est possible !) .....plusieurs décennies après
l‘indépendance du pays.
Voilà donc un richissime gros, très gros « affairiste », devenu un véritable
pilier du Système en place ....Pourtant fils d’un Caïd du temps de la colonisation, pourri jusqu’aux os (et , d’ailleurs,
éliminé par un fidaï durant la guerre de libération
nationale ) qui se met à « traquer » un ancien moudjahid –émigré en
France- suspecté (non,
« accusé » !) d’être le meurtrier (décidément le monde à
l’envers) du père. Il a même passé un « contrat » pour le descendre.
Aussi incroyable que cela puisse paraître,
les « services » sont au courant mais ils ont les mains assez liées
face au puissant oligarque. Ils se contentent de mettre au courant la future
victime et de régler le problème en douce, sans trop de vagues. Le « Big Boss » lui-même a pris les choses en mains. C’est
dire !
Nous assistons donc à toute une suite de
rencontres et de « négociations » (au niveau le plus haut du pouvoir
« réel ») pour prouver
l’innocence de l’ami et frère émigré ou, au minimum, pour dissuader le nouveau
« justicier » de renoncer à
son projet criminel.
C’est, aussi et surtout , l’occasion , pour
l’auteur, de décrire la nouvelle petite société des nouveaux oligarques, celle
qui est devenue , peu à peu, plus puissante que le « pouvoir politique en
place », grâce à son immense fortune née des « affaires » et des
« amitiés » ou complicités, politiques et autres.
L’occasion, aussi, de montrer les ravages
causés par le « détournement du
fleuve révolutionnaire », celui sincère ayant pris sa source en novembre
54.
L’occasion, enfin, de décrire une société
perdue, mais pas abattue....capable, un jour, de se révolter contre un système
trop pourri pour durer : « Les héros de la libération du pays, alliés
à une baronnie très puissante qui tient le pays sous une coupe réglée avec la
bénédiction des forces étrangères. Tel est, ce moment, le sentiment général qui a eu raison de la
patience et de l’espoir d’un peuple pourtant jeune »
Cela a commencé au Club des pins, « lieu
de séjour, de refuge et de villégiature de la Nomenklatura, placé sous haute protection et figurant la plus belle
trahison des promesses de la Révolution de Novembre » .....Le tsunami
viendra-t-il de là-bas ?
L’Auteur :Cinéaste
diplômé, de l’Idhec (Paris), longtemps journaliste et
plusieurs ouvrages dont « Le soleil n’était pas obligé » (Hibr Editions. Prix Escale littéraire Sofitel
, section coup de cœur Alger
2018)
Extraits :
« La capitale est fatiguée et n’en peut plus de vieillir à un rythme
accéléré. Quand on l’a quittée depuis de nombreuses années, on a l’étrange
sensation que des forces mystérieuses veulent l’enfoncer dans la mer et qu’elle
s’accroche désespérément à ce qu’il lui reste de souvenirs pour résister et
survivre » (p 18) »Un Algérien qui ne fume pas, qui ne chique pas,
qui n’a pas pris de café, qui n’a pas assez dormi, qui s’est levé tôt et qui ne
sait pas où il va parce qu’on ne lui a rien dit, c’est quelqu’un à éviter de
préférence. Et si de surcroît , il a déserté le lycée,
quitté ses parents, raté un caïd, reçu des ordres d’une femme, dîné de beignets
froids et de pastèque tiède, c’est quelqu’un à éviter à tout prix » (p 41)
, « Chez nous (Constantine)l’argent n’est pas tout. Ici quand on dit de
quelqu’un qu’il est d’une grande famille, cela veut dire deux choses :
grande par le nombre parce que parfois il y a de véritables tribus, ou grande
par la bonne réputation, c’est-à-dire , l’érudition,
la moralité, le patriotisme. Mais jamais grande par l’argent » (p 113),
« On célèbre les nouveaux riches comme des héros des temps modernes.....au
point que les survivants incontestés de la guerre de libération sont
ringardisés au rang de pièces de musée ou de vétérans hors d’page ayant eu
leurs heures de gloire et méritant tout juste d’être exposés au soleil les
jours de célébrations périodiques »(p 227)
Avis : L’histoire de la collusion dévastatrice de l’argent
et du pouvoir. Ambiance de thriller......et de l’humour et de la dérision à
gogo. Peut-être un peu trop. Et, une écriture rapide (Pas étonnant, l’auteur
ayant eu une bonne formation de
cinéaste) : toute une gymnastique de phrases et de mots, de bons mots et
de jeux de mots. De temps en temps des digressions qui nous éloignent du sujet
du roman. Exemple du portrait des imams(p 157).
Ouvrage techniquement parfait....avec , en plus, une très
belle couverture signée.........Slim
Citations : « Il
n’y a que chez nous qu’un dadais de soixante ans se dit orphelin de père,
réclame des passe-droits parce que son père est mort au maquis, ou qu’un père
de famille réclame des droits parce qu’il a dix enfants à nourrir. Comme si
l’Etat l’avait obligé à les faire » (p 54), « Il faut dire que les
Arabes aiment bien les animaux, mais chacun chez soi » (p 67), « L’affection ou l’amour ou l’amitié , ce sont des sentiments qui se méritent parce
qu’ils nécessitent le passage par des épreuves nombreuses, complexes et parfois
imprévisibles » (p 281)