CULTURE-
ARTS PLASTIQUES – PEINTURE- MOHAMED RACIM
Mohamed Racim,
issu d’une famille d’origine turque, est né le 24 juin 1896 à La Casbah
d’Alger. Son grand père Saïd faisait du négoce d’objets précieux tels la
porcelaine chinoise et les tapis d’Orient, du fait que le fils Ali a hérité de
nombreuses pièces de grande valeur : tapis persans, bibelots de Turquie et de
Chine, broderies précieuses, livres et manuscrits. On s’aperçoit ainsi que la
famille Racim vivait dans un milieu où le bon goût
était d’usage. Tous ces objets de valeur ont été éparpillés à travers des
personnalités influentes pouvant agir en faveur de Omar
lors de son incarcération. Le grand-père Ali Racim
était marié à Baya Boursas, issue d’une famille de
commerçants et propriétaires à La Casbah. Il eut six enfants, deux garçons et
quatre filles. Mohamed est le cadet gâté par son oncle paternel. Il manifestait
très tôt un caractère difficile, indépendant et curieux. Le père Ali et
Mohamed l’oncle étaient des artisans réputés pour la qualité de leurs œuvres.
Ils réalisaient des appliques de bois sculpté, des coffres rehaussés de
feuilles d’or à la vénitienne et colorés avec une finesse et raffinement, tout
en respectant le savoir-faire ancien hérité de l’Orient et influencé par la
Chine et Venise.
Ils y réalisaient aussi des tableaux
composés de versets du Coran calligraphiés encadrés de frises d’arabesques.Il faut savoir que leur atelier était un
lieu où se réunissaient les bourgeois lettrés d’Alger pour débattre des
événements conjoncturels du début du XXe siècle. Le sujet essentiel en ce temps
là portait sur la Nahda du fait de la venue à Alger,
en 1903, du Cheikh Abdou qui a été recu avec une
grande déférence dans le milileu algérois, notamment
lors de sa visite à l’atelier des frères Racim. Habituellement,
les sujets constamment traités en ce lieu étaient axés sur l’âge d’or de
l’islam. On y citait Al Farabi, Ibn Rochd et d’autres eminents
érudits. On parlait aussi d’alchimie et de la pierre philosophale, et bien sûr
des événements secouant le monde musulman, sans oublier la musique en citant Ziriab et d’autres musiciens qui ont su perpétuer cette
musique savante.
Mohamed, qui a fait ses premières classes
à la Rampe Valée, a vécu dans un milieu d’artistes, où la transmission s’est
faite presque machinalement. Son père Ali, son oncle Mohamed et Omar son frère
aîné tenaient à La Casbah un atelier d’enluminure et de sculpture sur bois qui
étaient très prisés par les amateurs et surtout les collectionneurs. C’est dans
ces lieux discrets mais magiques que Mohamed allait, au fil des jours,
s’affirmer comme un redoutble artiste sûr de son art.
Bon sang ne saurait mentir puisqu’il deviendra en peu de temps le maître
incontesté de sa spécialité, la miniature. A seulement 14 ans, le certificat
d’études en poche, et repéré par l’inspecteur des Arts indigenes
Prosper Ricard, il intègre le cabinet de dessin de l’enseignement professionnel
où ses qualités se métamorphosent. C’est là qu’il fit la connaissance d’un
illustre peintre plasticien dont la renommée a depassé
nos frontières. J’ai nommé Etienne Dinet Nasreddine venu se documenter pour le livre qu’il
s’apprêtait à rédiger : la vie de Mahomet dont l’illustration fut confiée à
Mohamed en 1916.
Le livre fut édité chez Piazza qui ne
manquera pas de confier d’autres décorations de plusieurs livres à Mohamed, qui
finit par quitter le cabinet de dessin dans lequel il activa durant 14 ans sans
discontinuer, de 1910 à 1924. C’est alors la grande aventure qui lui permit de
côtoyer les plus illustres des peintres à Paris et il eut pour mission de
procéder à la décoration de l’inégalable Mille et Une Nuits. Il ira en Espagne
pour s’enquérir des merveilles de l’Andalousie et son art musulman à Cordoue et
Grenade avec leurs mosquées, leurs palais féeriques et leurs luxuriants
jardins. C’était aussi le fief idéal pour l’art de la miniature qui était une
incontournable source d’inspiration.Puis, ce fut une
succession de voyages qui sont autant de découvertes au Caire, à Rome, à
Vienne, à Bucarest et à Stokholm où se forgea son
idylle.
Ses expositions à travers les grandes
métropoles constituent toujours un événement grandiose. Et ce n’est que le
résultat d’une consécration méritée qu’il reçoit en 1933 le grand prix
artistique de l’Algérie. Son empreinte se voit aussi dans l’enseignement qu’il
rejoint en 1934 à l’École des beaux-arts d’Alger où il initie les jeunes à la
miniature. Au journaliste de Compagnons qui lui demandait le secret de sa
réussite le 11 octobre 1941, Mohamed avec son flegme légendaire répondit : «La
minutie des miniatures est chose véritablement difficile et ardue.
Pour les réaliser, il faut des mois,
parfois même des années. Il faut travailler avec la loupe ou avec des
lunettes grossissantes et les yeux se fatiguent vite. Il faut doser
l’effort, se reposer, reprendre cent fois la tâche en ajoutant chaque fois un
petit détail au tout.» Puis d’ajouter : «Chaque fois que je fais une
exposition, les visiteurs curieux me demandent le temps que j’ai mis à réaliser
telle ou telle miniature ; ils s’attardent à découvrir les minuscules
personnages, comme si tout l’art du miniaturiste résidait dans la durée du
travail ou dans l’infiniment petit.» Mais où est donc la technique ? La
réponse du maître est aussi cinglante que prompte : «Une miniature,
explique-t-il, se prépare de longue date.
On fait des recherches après avoir choisi
le sujet. Ensuite, c’est l’étude de l’ébauche. Puis le coloriage et obtenir des
couleurs aussi pures que possible.Enfin, doser la
gomme, l’or en poudre, car c’est l’or qui donne aux miniatures tant de relief,
tant de richesse.» Mohamed Racim a laissé un beau
trésor à travers lequel il entrevoyait l’effondrement d’un monde marqué de
délicatesse et de charme, où le mendiant était digne, le riche humble, le
savant modeste, le guerrier clément. Il percevait à travers les travaux qu’il
côtoyait dans l’atelier de son père où dans les musées le reflet d’une société
empreinte de hauts sentiments.