CULTURE-
BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- LIVRES 2019- MON TOP 10(publiée in Mediatic/Le
Quotidien d’Oran , jeudi 16 janvier 2020) (I/II)
1/ L’HOMME–CARREFOUR ET AUTRES HISTOIRES D’UN PAYS IMPOSSIBLE. Nouvelles
de Hakim Laâlam. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2019, 198 pages, 600
dinars
En neuf nouvelles, l’auteur, fin observateur de la société dont il
est très proche (chroniqueur de talent ....., d’abord à la radio puis au
« Soir d’Algérie ») a fait le tour de la question ô combien cruciale
de l’homo-algerianus, qu’il soit simple citoyen,
cadre ou dirigeant. Bien sûr , comme tout journaliste
du réel voulant capter l’attention du lecteur (normalement une qualité
« obsessionnelle » chez tout journaliste qui se respecte), il le fait
avec son style désormais bien connu (et qui respecte son outil de travail et le
public......ce qui n’est pas généralement le cas chez beaucoup de ses confrères
, hélas) chargé d’humour mais assez caustique sans être méchant....On sent même
qu’il est malheureux, quelque part, de
constater des situations déplorables.
L’Auteur : Journaliste
né en 1962. Après un passage à la radio publique « Chaîne III »,il est devenu journaliste chroniqueur dans le quotidien
« Le Soir d’Algérie ».Ecrivain , déjà auteur de plusieurs
ouvrages
Avis :Pour
de bonnes nouvelles , ce sont de bonnes nouvelles !Il y a en a même qui flirtent (plus que ça !) avec le
grand art de l’écriture et de la pensée. A vous de les découvrir. Il faut
seulement tout lire. Mais attention ! Plaisir de
rire ou de sourire mais risque ......de pleurer en découvrant le ridicule de situations....tuantes
Citation : « Tout
le monde, de ce monde –là qui se taisait, était content et soudé autour du
Consensus construit par Chafik 1er et ses 22 sages. Une soudure
établie sur un système qui n’était pas sorcier, compliqué et difficile à
décortiquer. Non ! Il reposait tout entier sur la gratification, elle-même
assise confortablement sur la sacro-sainte règle du silence » (p 169)
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2/ ALGER,CAPITALE DE LA
RÉVOLUTION.DE FANON AUX BLACK PANTHERS. Mémoires
d’Elaine Mokhtefi. Editions Barzakh,
Alger 2019 , 279 pages, 800 dinars.
A vingt trois ans, en
décembre 1951, elle (la militante de gauche
anti-raciste, socialiste et
anticolonialiste et membre très active
de la branche étudiante des United World Federalists
(sorte de militants pour un « gouvernement mondial » assimilé au
« communisme » par la droite et ne supportant plus entre autres le Mc
Carthysme)
quitte les States (Newport News) et se rend en Europe dans un petit
bateau transatlantique néerlandais. Paris ! Maîtrisant de plus en plus le
français, elle arrive à se faire embaucher comme interprète ou traductrice et
participe à pas mal de réunions internationales organisées par l’Unesco , la Fao, Association des juridiques
démocrates....payée souvent par les délégations (en 1953 , le gouvernement
Eisenhower avait introduit un « serment de fidélité » pour tout employé des Nations unies. Aucun
Américain ne pouvait être embauché de quelque façon que ce soit- ni pour une
heure ni pour une journée- par une agence spécialisée de l’Onu sans présenter
un document connu sous le titre de « clearance ». Elle n’a jamais pu
l’avoir....le Fbi veillant au grain. C’était le temps de la guerre
froide.....et de la décolonisation accompagné de luttes armées !Elle s’implique à fond.
A Accra, elle rencontre ,au début de la
guerre d’Algérie, Mohamed Sahnoun et Franz Fanon....
L’Auteure : Elaine Mokhtefi, née Klein à New York en 1928 est issue d’une
famille juive (non pratiquante) très modeste. Sa participation à la lutte pour
l’indépendance de l’Algérie (à partir de New-York et de la France) va l’amener à Alger en 1962.
Interprète, traductrice, médiatrice, journaliste (Aps
et Rta) , enseignante
universitaire (Ecole de Journalisme d’Alger), elle a côtoyé les plus grands.
Elle a vécu douze années en Algérie (et durant les années 60, elle a été la
seule américaine à travailler dans l’Administration algérienne)...avant d’être
expulsée. Elle n’y est plus revenue (jusqu’en 2019 pour le Sila
et la sortie de son ouvrage) , bien que « non
rancunière ». Mariée à Mokhtar Mokhtefi ,
un moudjahid ( décédé en 2015)
Avis : Absolument
fascinant !
Citations : « (A propos
du discours populiste et du système du parti unique du Fln).On ne voulait pas
entendre que ce n’était guère là le chemin de la démocratie. Malheureusement,
la gloire d’être devenue une nation souveraine ne suffisait pas à renverser un
système mis en place pendant la guerre de libération par des individus versés
dans l’intrigue et la machination, et parvenus au pouvoir sur le dos de l’armée
du peuple » (p 87)
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3/ LES PETITS DE DÉECEMBRE. Roman
de Kaouther Adimi, Barzakh Editions. Alger , août
2019, 248 pages, 800 dinars
Une petite cité, presque résidentielle (car il ya bien mieux) , du côté de Dely Brahim
(Alger-ouest) .....Le tout premier village colon français. Quelques villas
presque toutes occupées par des familles de militaires, pour la plupart des
officiers supérieurs à la retraite ou décédés (colonels, généraux)
Une cité assez tristounette avec son entrée défoncée, non goudronnée , non totalement terminée comme bien
d’autres.....et ,au milieu , un terrain encore « vague » que les
jeunes du quartier utilisent comme terrain de foot. Le seul lieu de rencontres
et en sécurité.
Les habitants sont quelque peu déprimés en raison de destins
parfois brisés, souvent contrariés (la carrière militaire est farcie de chances , de malheurs...et de mauvaises humeurs...... des
plus gradés ). Il y a , aussi, une ancienne moudjahida connue pour son engagement et son franc-parler
et qui va servir de « bouclier » contre.......
Entre autres contre des généraux (deux) en exercice ...bien placés
dans les « services ».....qui, certainement sentant la retraite approcher (et donc être
« abandonnés » par les privilèges liés aux fonctions , dont le logement et les
avantages d’accompagnement....comme le
logement et le véhicule de service ) et qui viennent tout simplement, papiers
en mains, occuper le terrain vague port y construire leur future « villa
de retraite ».
Le décor est planté. Reste le sujet central ..........
Trois enfants puis des dizaines et des dizaines contre tout un
système ? Quarante enfants qui humilient deux généraux. Ça ne pouvait que mal se terminer.
L’Auteure :Née en
1986. Etudes de littérature .Vit et travaille à Paris. Déjà auteur de quatre
romans dont le remarquable « Nos richesses » (Prix Renaudot des
Lycéens, Prix du Style et Prix Beur Fm, en 2017)
Avis :Un
joli roman qui se lit d’un seul trait tant l’histoire est annonciatrice
d’une autre plus large. Prenante (et d’actualité). Il nous plonge dans
un micro- mouvement (populaire) .Il est vrai que ce roman a du être écrit
juste après février 2019.
Citations :
« Ils (les généraux) ont aussi parfois les hommes de l’ombre
qui n’apparaissent sur aucun organigramme officiel, qui n’ont aucune fonction
publique......Eux, possèdent souvent plus de pouvoir que des généraux et des
ministres. Ce sont des hommes d’affaires, des proches du président, des
faiseurs de rois ou de fous » (p 79) , « Les
différences de grade se gomment difficilement même une fois revenu à la vie
civile » (p 102)
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4/ LA FAILLE. Roman de
Mohamed-Chérif Lachichi, Editions
L’Harmattan Algérie, Oran 2018, 800 dinars, 283 pages.
Témoignage, récit, pamphlet, réalités, fiction, reportage,
commentaire et analyse.....tout un (heureux) mélange. Un genre que l’on
retrouve beaucoup dans le monde de nos écrivains, tout particulièrement chez
les nouveaux et les jeunes. Tout démarre dans une prison. Un journaliste
incarcéré.......injustement, cela va de soi........Un séisme...une rencontre
avec un « parrain ».....un gros, un très, très gros parrain....qui, à l’ombre de sa
résidence au Club des Pins (décidemment !) fait et défait les carrières de
presque tout ce qui vit et commerce sur la terre d’Algérie ..... tout en fumant de gros cigares, et dirigeant dans l’ombre.
L’Auteur : Né à
Annaba. Après un passage dans le secteur économique, il entame, dès les
années 90, une carrière de journaliste
(grand reporter) dans la presse écrite
algérienne (entre autres Liberté) .Premier roman.
Avis : De la
fiction ? Pas sûr. Une histoire qui a très bien démarré, qui s’est pas
trop mal déroulée....mais qui s’est terminée banalement.....Sauf s’il y a une
suite !
Citation : « Tchipa , comme c’est mignon, voilà une des
merveilles de la langue des Algériens d’aujourd’hui qui permet , sous ce nom si
gracieux, de commettre quelque chose d’immoral et de très nocif, et ce, sans
avoir jamais l’air d’y toucher. Tchipa, tout
le monde la dénonce, mais rares sont ceux qui la refusent » (p 54)
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5/ CASA DEL MOURADIA. Roman de
Mohamed Benchicou. Koukou
Editions, Alger 219, 146 pages, 600 dinars
Déjà bien des livres édités portant sur le mouvement populaire du
22 février 2019 (le « Hirak ») ! Ecrits , pour la plupart, par des journalistes qui ont
essayé de retranscrire les évènements tout en tentant de les expliquer. Une
très bonne chose que la réactivité
éditoriale.........encore que, peut-être, il fallait laisser « le temps au
temps » , c’est-à dire laisser le mouvement
suivre son cours normal, bien l’observer, le laisser se décanter puis,
enfin l’analyser. Une façon de
participer à l’écriture de l’histoire « immédiate » comme une autre.
On a déjà la photographie, l’humour et les slogans, les témoignages....De l’or
en barre pour les chercheurs de l’Université qui auront bien du « pain sur
la planche ». Tant mieux. Jusqu’ici, seuls octobre 88 et le Printemps
berbère ont connu un pareil intérêt...des journalistes et autres
« observateurs sociaux ».
Mohamed Benchicou,lui,
désormais plus écrivain – journaliste
que journaliste-écrivain, a choisi une autre approche qui lui paraissait
certainement bien plus convaincante. Il écrit donc le premier roman sur le
« Hirak ». Il fallait y penser.....Il
fallait pouvoir le faire . Bien et rapidement.
Ne voulant pas s’empêtrer dans des personnages d’actualité, il s’en
est allé loin, bien loin.....En 2079. Soixante années après la
« Révolution». Deux générations d’individus.
L’Auteur : Auteur de
nombreux essais (dont le très fameux « Bouteflika, une imposture
algérienne »....en 2004) et romans ( « La parfumeuse » en 2012 et « La mission » en 2014 ) , d’un
journal de ses deux années de prison (« Les Geôles d’Alger »....en
2009) , d’une pièce de théâtre (« Le dernier soir du dictateur »....en
2010) et d’un recueil de poèmes (« Je pardonnerai. Poèmes de prison »....en
2008) publiés en Algérie et à l’étranger. Il anime, aussi, un journal
électronique d’informations ( son journal « le
Matin » a fait l’objet d’une « saisie-vente ») .
Avis :De la
fiction ? Non de la réalité bien vraie....romancée, et racontée .....en
2079. Et, une larme
d’humour.....pour décrire une situation pourtant dramatique.
Citations : « La politique sourit avant tout à ceux
qui savent l’exercer avec cynisme » (p 72), « Les conneries
, c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer. Et puis,
il faut dire que ce soit la révolution ou le couscous, rien de ce qui est
algérien n’est simple » (p 107)