VIE
POLITIQUE- ENQUÊTES ET REPORTAGES- SLOGAN HIRAK- « YETNAHAW GAÂ »
Il a été lancé par un
jeune algérois sur une chaîne arabe
«Yetnahaw gaâ !» Ce slogan qui
galvanise les foules
© IDDIR NADIR/El WATAN, 31
DÉCEMBRE 2019
Aujourd’hui
les mots «Yetnahaw gaâ !»
sont happés au vol par les Algériens. Ils sont inscrits sur des murs et des
plaques, des T-shirts et parfois dans les textes plus élaborés. Une notice Wikipédia lui est même consacrée.
Yetnahaw gaâ !» Qui n’a pas
entendu dans les marches populaires, en réunion restreinte de famille ou
d’amis, sur les plateaux télé, ces deux mots en dardja
(arabe algérois) ? Le slogan est apparu au tout début du hirak. Son lanceur : Sofiane Bakir
Turki, jeune Algérois de 33 ans, a interrompu le
direct d’une correspondante de Sky News Arabia, le soir du 11 mars 2019, où Bouteflika annonça
qu’il renonçait à briguer un 5e mandat.
Le buzz provoqué par
le slogan lancé en direct sur la chaîne était assuré. Le jeune père de deux
enfants et vendeur de son état dans une pizzeria de quartier avait-il calculé
son coup ? Aucunement. «J’étais dans mon
quartier de la rue Larbi Ben M’hidi
avec un ami. On était surpris de voir tous ces gens qui défilaient en voiture.
Mon ami m’a dit que c’est sûrement des ‘‘cachiristes’’
qui nous pourrissent la vie.
Nous avons marché jusqu’à la rue Didouche Mourad. Arrivés devant la fac centrale (université
Benyoucef Benkhedda), on a
remarqué une foule de journalistes, avec parfois juste des téléphones, mais
reconnaissables à leurs micro-cravate. Un groupe de personnes s’est rassemblé
autour d’une journaliste. J’ai proposé à mon ami de rester et voir ce que
disent les gens. J’ai même failli en
arriver aux mains avec un citoyen…
La journaliste a commencé à dire que les
Algériens se félicitent. C’est à ce moment-là que je suis intervenu pour dire
que je ne suis pas d’accord. Le cameraman m’a retenu de la main en disant que
c’est un live, mais je n’ai rien voulu savoir. Le slogan est sorti.
Le Bon Dieu a fait que je réagisse de la
sorte. C’était vraiment
spontané», nous raconte Sofiane, indiquant que la
journaliste, Yasmine Moussous,
qui a rejoint depuis l’incident Russia Today (RT), lui a assuré, lors d’une rencontre ultérieure,
qu’elle avait regretté de l’avoir interrogé, de crainte qu’il dise des
insanités. Finalement les mots «Yetnahaw
gaâ !» sont happés au
vol par les Algériens.
Ils sont inscrits sur des murs et des plaques,
des T-shirts et parfois dans les textes plus élaborés. Une notice Wikipédia lui est même consacrée. Des supporters de l’EN,
lors d’un match de la CAN-2019 au Caire, ont écrit le slogan sur une pancarte.
Ils ont été arrêtés et expulsés vers l’Algérie. Des actrices ont brandi le même
slogan lors de la 72e édition du Festival de Cannes.
Et même la chanteuse Souad Massi
a entonné une chanson intitulée Yetnahaw ga3. Nabni, think tank algérien fondé
en avril 2011, a même élaboré une plateforme «Yetnahaw
ga3». «Les slogans se succèdent, mais ‘‘Yetnahaw ga3’’ reste l’appel le plus constant du mouvement.
Cette revendication est paradoxalement absente, à notre connaissance, des
propositions de transition rendues publiques à ce jour.
Et quand elle est évoquée, seules les figures de
l’ancien pouvoir sont citées (el îssaba), alors que
le changement qu’attendent les citoyens est bien plus profond»,
soutient Nabni. Sofiane Bakir,
jeune jovial au regard malicieux, a quitté le magasin depuis trois semaines
pour n’avoir pas été assuré par son employeur.
Il est désormais chômeur. «J’ai
des promesses pour un poste stable d’agent», souligne-t-il. Il
n’est pas rare de voir le jeune dans les marches. Comment réagit-il à l’écoute
du slogan ? «Je suis très fier. Tout est venu
grâce à Dieu !» lance-t-il, tout sourire.