VIE POLITIQUE- ETUDES ET ANALYSES- HIRAK 2019-
SLOGANS
Le formidable éveil populaire
© MUSTAPHA BENFODIL/El
Watan, mardi 31 DÉCEMBRE 2019
Depuis la manif’
historique du 22 février, le mouvement populaire n’a eu de cesse de renouveler
son répertoire de mots d’ordre, enrichissant au fil des semaines sa batterie de
slogans et faisant preuve à chaque fois d’une formidable créativité.
En passant en revue
les principaux slogans qui ont jalonné cette impétueuse année 2019, le premier
mot qui nous vient à l’esprit est «Silmiya !» (Pacifique
!). A la moindre charge de la police, à la moindre attitude agressive d’un
insurgé, on entendait «Silmiya ! Silimiya !» (Pacifique
! Pacifique !) Et c’est devenu la marque de fabrique du mouvement, ce qui
explique l’appellation «Silmiya» dont l’a affublé une partie de l’opinion
longtemps avant l’apparition du mot «hirak» dans le dico des manifestants.
Fruit d’un élan
d’indignation massif contre le système Bouteflika, le mouvement s’est d’abord
exprimé contre le 5e mandat de Boutef. Aussi, l’un des tous
premiers slogans entendus dans les manifs aura été le truculent «Makache
el khamssa ya Bouteflika, djibou el BRI ou zidou essaîqa !» (Pas
de 5e mandat, Bouteflika, ramenez la BRI et les forces
spéciales).
Il faut dire que ce
couplet fracassant résonnait vigoureusement dans les stades avant d’investir la
rue. On se souvient du très pertinent «Makache er-Raïs kayen
tswira… !» (Il n’y a pas de Président, il y a juste
une photo) qui résumait admirablement l’état de déliquescence de la fonction
présidentielle qui n’était plus incarnée par la personne physique du Président
mais par un cadre photographique trimballé de cérémonie en cérémonie dans une
mise en scène ubuesque.
En évoquant les chants
des stades qui enflammaient les manifs, la palme revient incontestablement à La
Casa d’El Mouradia, un chef-d’œuvre signé Ouled El Bahdja qui est vite devenu
l’hymne de l’insurrection populaire : «Saâte el fedjer ou
madjani noum/ Rani n’consommi ghir bechouiya… !» (C’est
l’aube, je n’ai toujours pas trouvé le sommeil, je consomme par petites doses).
Jusqu’au départ forcé de Abdelaziz Bouteflika, c’est principalement le président
et sa bande, la fameuse «i3ssaba», qui subissent le feu de la contestation. A
la tête du clan : Saïd Bouteflika. Les manifestants ne le ratent pas. «Hada
echaâb la yourid, Bouteflika we Saïd !» (Ce peuple ne
veut pas de Bouteflika et Saïd), scandent-ils. On pouvait entendre aussi
: «Djoumhouria, machi mamlaka !» (C’est
une République, pas une monarchie).
«Yetnahaw ga3 !»
Le 11 mars, sous la
pression populaire, Bouteflika, de retour de Genève, annonce par le biais d’une
énième lettre lue à la télévision qu’il renonce à briguer un 5e mandat.
L’élection du 18 avril est annulée. Première grande victoire pour le mouvement
populaire. Le soir de l’annonce, alors qu’une journaliste de la chaîne Sky News
Arabia fait un live sur la rue Didouche pour recueillir les impressions des
citoyens suite au retrait du Président, elle est interrompue par un jeune homme
en colère qui lâche : «Yetnahaw ga3 !» (Qu’ils
dégagent tous !).
Le dégagisme a
désormais un slogan et un visage. Il faut reconnaître que la formule est d’une
redoutable efficacité, un peu à la «Yes we can» qui a fait la fortune d’Obama.
Elle est reprise à toutes les sauces : «Echaâb yourid yetnahaw
ga3 !» (Le peuple veut qu’ils partent
tous) «Hé, viva l’Algérie ! yetnahaw
ga3 !» «Mzinou n’har el youm
yetnahaw ga3 !» (Quel beau jour aujourd’hui, ils
dégagent tous !)… Si Bouteflika ne brigue pas un 5e mandat, il
ne démissionne pas pour autant, ce qui inspirera ce refrain caustique «Ma
tzidche dqida ya Bouteflika !» (Pas une minute de
plus, Bouteflika !)
Le thème de la
corruption va rapidement s’imposer également, aux cris de «Klitou
lebled ya serraquine !» (Vous avez pillé
le pays, bande de voleurs). Autre slogan à succès durant cette première phase
du mouvement : «El bled bladna we endirou rayna !» (Ce
pays est le nôtre et on y fera ce qui nous plaît).
Après le départ de Boutef
le 2 avril, feu Ahmed Gaïd Salah, qui était jusque-là épargné par les
manifestants, va devenir progressivement l’une des cibles favorites des
frondeurs. Cela commence doucement avec ce slogan plutôt sympa : «Sorry,
sorry, Gaïd Salah, echaâb hada machi djayeh, goulna yetnahaw ga3 !» (Désolé
Gaïd Salah, ce peuple n’est pas dupe, on a dit ils dégagent tous).
«Pas de chantage,
libérez les otages !»
Toutefois,
l’interdiction du drapeau amazigh et les campagnes d’arrestation, qui vont
s’abattre sur plusieurs manifestants et autres figures du hirak, vont nourrir
quantité de slogans hostiles au pouvoir de fait incarné par AGS : «Dawla
madania, machi askaria !» (Etat civil, non
militaire), «Had echaâb la yourid hokm el askar min djadid
!» (Ce peuple ne veut pas d’un nouveau régime
militaire), «Les généraux à la poubelle, wel Djazaïr teddi
l’istiqlal !» «Y en a marre des généraux !» «El Djeich dialna wel Gaïd
khanena !» (C’est notre armée mais Gaïd nous a
trahis)…
A partir des
arrestations massives du 21 juin, il ne se passera plus un seul vendredi ni un
seul mardi où les foules n’exigent la libération des détenus d’opinion en
martelant : «Harrirou el moataqaline !» (Libérez
les détenus), «Harrirou el massadjine, ma baouche el cocaïne
!» (Libérez les détenus, ils n’ont pas vendu de
cocaïne), «Makache echantage, libérez les otages !»
A noter aussi la
montée des slogans anti-élection dès que la date du 4 juillet a été cochée sur le calendrier pour la tenue de l’élection
présidentielle. Le slogan «Makache intikhabate ya
el issabate !» (Pas d’élections avec les gangs) fait
alors son entrée bien avant le scrutin du 12 décembre. Le 5 juillet, pour le 57e anniversaire
de l’indépendance, qui coïncidait avec le 20e vendredi du
hirak, un cri cinglant va fuser furieusement : «Echaâb
yourid el istiqlal !» (Le peuple veut l’indépendance).
Tebboune, nouvelle cible
des manifestants
Autres chants répétés
avec ferveur : ceux scandés à la gloire de deux figures de la Révolution :
Ali Ammar, dit Ali La Pointe, et le Colonel Amirouche. Dans les deux hymnes,
ces mots de détermination : «Makache marche arrière
!» Chronologiquement, il y a eu d’abord cette
complainte adressée au héros de la Bataille d’Alger : «Ya
Ali Ammar, bladi fi danger. Nkemlou fiha la Bataille d’Alger. Makache marche arrière
eddoula fourrière. El yed fel yed neddou l’istiqlal !» (Ali
Ammar, mon pays est en danger.
Nous allons continuer
la Bataille d’Alger. Pas de marche arrière, le gouvernement est à la peine.
Main dans la main, on arrachera l’indépendance). Après, il y a eu ce serment
ardent : «Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma
n’ouellouche, djaybine el houria !» (Nous sommes les
enfants de Amirouche, pas de marche arrière, on
arrachera la liberté).
A l’approche de la
rentrée, les manifestants brandissent une nouvelle arme : la désobéissance
civile. On entend alors les foules crier : «Rahou djay, rahou djay,
el issyane el madani !» (La
désobéissance civile arrive).
Et lorsque Abdelkader
Bensalah, le chef de l’Etat par intérim, convoque une nouvelle fois le corps électoral
en fixant l’élection pour le 12 décembre, le rejet du scrutin va s’exprimer
avec énergie pendant trois mois : «Dégage Gaïd Salah, had
el âme makache el vote !» (Pas de vote
cette année), «Makache intikhabate maâ el issabate !» (Pas
de vote avec les gangs), «Dirouna les menottes,
makache el vote !» (Mettez-nous les menottes, pas de vote),
pouvait-on entendre dans les marches.
Après la disparition
du chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, le 23 décembre, terrassé par une crise
cardiaque, c’est le nouveau locataire d’El Mouradia qui est devenu la cible
principale des manifestants, comme on a pu l’entendre vendredi
dernier : «Dégage Madjid Tebboune, had echaâb machi
aggoune !» (Dégage Tebboune, ce peuple n’est pas
idiot), «Tebboune m’zewar, djabouh el askar !» (Tebboune
est un «président truqué», il a été ramené par les militaires), «Allah
Akbar ma votinache, Tebboune dialkoum ma yehekemnache !» (Dieu
est grand, on n’a pas voté, votre Tebboune ne nous gouverne pas)…
A retenir enfin ce
nouveau slogan entonné en boucle, et où l’on retrouve le mot «silmiya», l’ADN
de l’insurrection pacifique : «Enkemlou fiha ghir be
silmiya, ou ennehou el askar mel Mouradia !» (On poursuivra
notre lutte pacifiquement, et on boutera les militaires du palais d’El
Mouradia).