CULTURE- ETRANGER- MUSIQUE GNAOUA
Figures acrobatiques, musique lancinante et costumes
multicolores: des dizaines d'artistes ont défilé, samedi, au rythme de leurs
tambours et castagnettes d'acier dans les rues d'Essaouira, dans le sud
du Maroc, pour célébrer l'inscription , jeudi 12
décembre 2019, de leur musique gnaoua au patrimoine
immatériel de l'Unesco. “Notre but est de faire connaître cette musique au
monde entier. C'est une culture riche dont il faut préserver la magie”, lance
avec un grand sourire Mokhtar Gania,
56 ans, un des maîtres de l'art gnaoua. Son
grand-père et son père Mahmoud Guinea étaient déjà
des figures emblématiques de cette musique qui associe rituels africains
et culte des saints de l'islam, et qui a été perpétuée au Maroc par les
descendants d'anciens esclaves venus d'Afrique subsaharienne. “La
reconnaissance officielle de l'Unesco, est une consécration de l'engagement
pionnier d'Essaouira pour la sauvegarde de cet art”, se félicite André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI et président d'une
association très active ayant fait de la culture un vecteur de développement de
la ville. Carrefour de plusieurs civilisations, l'ancienne Mogador est le
berceau de la culture traditionnelle gnaoua. C'est
dans cette citadelle bleue et blanche, accrochée à une presqu'île rocheuse au
bord de l'Atlantique, qu'est organisé depuis 1997 un Festival de musique gnaoua qui attire des flots de fans du monde entier chaque
début d'été. Pour les organisateurs du festival, l'inscription de l'art gnaoua au patrimoine immatériel de l'Unesco est une
formidable reconnaissance.
La musique, un “langage universel”
Portés par la force de leurs rythmes, les maâlems
(maîtres) de l'art gnaoua ont commencé à enregistrer avec
les plus grands noms du jazz dès le début des années 1970. “Mais avant le
Festival d'Essaouira, cette culture reconnue par des grands noms de la scène
musicale mondiale n'avait pas la place qu'elle méritait dans l'imaginaire
populaire marocain”, souligne Neila Tazi, productrice
de l'évènement. “Il y a un avant et un après Festival d'Essaouira pour les
musiciens gnaoua”, renchérit André Azoulay, qui souligne la reconquête de dignité d'une
communauté longtemps marginalisée, ces artistes ayant longtemps été considérés,
au mieux, comme des troubadours. Autrefois cantonnée aux “lilas”, nom donné à
des veillées de transe aux rituels ésotériques réservés aux initiés, la culture
gnaoua trouve désormais un écho dans le monde entier.
Le rendez-vous musical d'Essaouira, qui propose d'étonnants métissages musicaux
avec les musiques latines et africaines, a vu défiler des têtes d'affiche,
comme les jazzmen Pat Metheny, Didier Lockwood ou Marcus Miller, venus se produire avec les plus
célèbres maîtres de la musique gnaoua. Dans un
atelier de la vieille ville d'Essaouira, elle-même classée au patrimoine
mondial de l'Unesco, Maâlam Seddik
El-Arch, 68 ans, est un témoin privilégié de cette
évolution. Cet artiste luthier se réjouit que “des musiciens de toutes
les nationalités viennent ici apprendre (à jouer du) guembri”,
sorte de luth tambour à trois cordes, composé d'un manche rond enfoncé dans une
caisse de résonance en peau de dromadaire. “Malgré la barrière de la langue, on
arrive à s'entendre et à jouer ensemble. La musique est un langage universel”,
souligne l'artiste, qui se félicite de la “baraka (bénédiction) de
l'Unesco”.
Préserver et transmettre
Mokhtar Gania s'apprête,
lui, à sortir un album sous le label Universal Music
avant de partir en tournée mondiale avec son groupe, composé de musiciens
marocains et ouest-africains. Ce chanteur et joueur de guembri
a déjà partagé la scène avec des pointures comme le guitariste mexicain
Santana. À Essaouira, la nouvelle génération est prête à prendre la relève.
Abdeslam Benaddi, 25 ans, a créé avec d'autres jeunes
musiciens le groupe Oussoul gnaoua
(l’origine du gnaoua). Ensemble, ils ont lancé, il y
a trois ans, le Festival “Génération gnaoua” qui
réunit des groupes locaux. Lors de ce rendez-vous, des groupes de jeunes
viennent jouer des standards de la musique gnaoua
dans le respect de la tradition devant un jury de vieux maâlams.
“Pour tous, c'est important de préserver cette culture et la transmettre aux
générations montantes”, dit le jeune musicien.