CULTURE- MUSIQUE- MOHAMED LAMARI
Décédé à
Alger ,dans la matinée du lundi 16 décembre 2019, à l’age de 79 ans, le “ténor de la
Casbah” a marqué des générations grâce à ses titres incontournables, à l’instar
d’El-Djazaïria ou encore Ya Qalbi.
Ah Ya Qalbi
! Ch’hal tekwit mel kiya (ô mon cœur, combien de
peines tu as endurées) (1973), si tant de chagrins d’amour qu’il s’en est allé
Mohamed Lamari ce “ténor de la Casbah” après qu’il a
fait l’éloge de sa mère patrie El-Djazaïria et
surtout l’Algérienne qu’il avait au cœur. D’ailleurs, qui de nous n’a pas
fredonné cet air Ya Qalbi, né de la composition du Safar Bati Mohamed El-Mahboub (1919-2000) dit Mahboub Bati durant l’été 1973 ? Natif en 1940 à l’îlot du
Mont-Thabor dans la Haute-Casbah d’Alger, Mohamed Lamari
est allé sur l’itinéraire de ses aînés pour être d’abord docker au port
d’Alger. Mais c’était trop peu pour lui, puisqu’il n’avait ni l’allure ni le
profil d’un débardeur de quai.
Ce qu’il désirait avant tout ? C’était de la douceur qu’il goûtait sur ses
premiers pas de “halwadji” (pâtissier) et de
l’esthétique qu’il façonnait de ses mains d’apprenti bijoutier jusqu’en 1956.
Et à l’instar des petits “Ya Ouled”, il adhéra au group
Echihab des boy scouts pour
interpréter les chants patriotiques qui l’emmenèrent sur la scène du cinéma El-Djamal (ex-Montpensier) à Soustara
où il chantait les standards de feu Abderrahmane Aït Mira dit Abderrahmane Aziz
(1920-1992) aux émissions de “radio-crochets” durant les séances de music-hall
de dimanche. Et c’est dans le feu de la guerre de libération nationale qu’il
enregistra son premier 45 tours aux éditions El-Djamal
qu’il doit aux paroles de cheikh Abdelkader El-Khaldi
(1896-1964) et à la musique de l’accordéoniste Boualem
Hadjouti de l’orchestre de Blaoui
Houari (1926-2017). Vif et alerte, Mohamed Lamari
gravit les marches de l’Opéra d’Alger où il a trouvé la main tendue du “hezzab” Mahieddine Bachtarzi (1897-1986) qui ôta les maladresses de sa fougue
juvénile et lui apprit les rudiments du chant.
Très vite, il s’engagea dans la cour des grands, celle de la troupe de Besnassi Mohamed dit Touri
(1914-1959) et s’auréola de succès, et de là il enregistra en 1957 Mansitchi Ayama Elhilwa (je n’ai pas oublié les jours heureux) de Haddad
Djilali (1927-1986) à la maison Teppaz. S’ensuivit Sammoura (la brune) de Haddad Djilali (1927-1986), qui
l’emmena au Colisée, l’actuel El-Mouggar, avec
l’orchestre de Marcel Ayala qui lui ouvrit les portes
de la gloire et sa rencontre avec Pétula Clark.
Seulement, l’ascension de Mohamed Lamari allait
connaître la trêve due à l’épopée héroïque de la Bataille d’Alger où le crooner
allait connaître les geôles du colonialisme jusqu’à sa libération à la fin de
l’année 1958.
Et au lendemain de la liberté arrachée, Mohamed Lamari
renouera avec la scène parisienne et ses sunlights, où il brilla de mille feux
lors d’un tour de chants avec l’orchestre de Jerry Mengo
et de Amraoui Missoum (1921-1968). D’ailleurs, c’est l’époque où naquit
l’indémodable El Djazaïria qu’avait signée
conjointement le regretté duo composé de Mohamed Lahbib
Hachelaf et de Haddad Djilali. D’un tantinet dandy,
mais révolutionnaire, Mohamed Lamari a chanté la
Palestine ainsi que les exploits guerriers d’Ernesto Guevara dit le “Che”
(1928-1967), puis Africa lors du 1er Festival
panafricain aux côtés de la militante anti-apartheid Miriam Makeba
(1932-2008). En dépit qu’il s’est éteint, Mohamed Lamari
reste à la haute place du podium de la chanson algérienne qu’il a chantée aux
quatre coins du globe, mais aussi sur les planches de l’Opéra d’Alger
auxquelles “la bête de scène” qu’il était de son vivant mettait le feu. Certes
que l’on ne le verra plus sur la terrasse du grand café le Tanton-ville
d’Alger ni à l’affiche de ses concerts “Rana H’na” (On est encore là), mais il restera l’indéboulonnable
idole des jeunes, notamment ceux de la génération des seventies qui
n’oublieront jamais sa voix de ténor et son jeu de scène qui soulevait les
foules.
Dans un entretien accordé à El
Watan en 2011, l’artiste avait déclaré
à Smail K.
qu’il avait fait trois fois le tour du monde et qu’il avait été reçu par 22
chefs d’Etat : Nkrumah, Sékou Touré, Hafed El Assad, Hassan II, Tito, Bourguiba… «J’ai dormi dans
la maison de Walid Joumblat en 1976, durant la guerre
civile au Liban… Je chante dans huit langues, notamment en hongrois, russe,
espagnol… Je me suis produit en concert devant 100 000 personnes au stade du 5
Juillet, à Alger, en 1985, lors du match opposant l’Algérie à la Zambie.» Selon
lui, sa voix était un don de Dieu.
«Elle est en sol mineur. On ne
triche pas avec une voix. Si c’était à refaire, je referai la même carrière…
J’ai refusé, en 1963, une carrière internationale, chez Pathé Marconi. Je
devais être affublé du nom d’artiste Harry Lamy. Genre, crooner de bossa nova…
Je suis un patriote. J’ai fait les scouts avec Ali Maâchi,
un nationaliste. On est de la même ‘‘race’’».
Il est à noter que le journaliste
Abdelkrim Tazarout avait consacré, en 2010, une biographie
intitulée Mohamed Lamari, le ténor de La
Casbah, aux éditions Rafar. Dans la préface,
Achour Cheurfi note que «Lamari
a réellement révolutionné la chanson algérienne en lui ouvrant toutes grandes
les portes de la modernité (…) Son répertoire immense aux sonorités variées va
de la chanson d’amour, romantique et douce jusqu’au texte engagé et
mobilisateur…».
Lamari a chanté de sa voix forte des
chansons qui resteront à jamais gravées dans les mémoires, à l’image de Djazaïria ; Africa,
ou encore Rana H’na.
Tous ceux qui l’ont approché gardent de lui l’image d’un bon vivant qui aimait
son métier par-dessus tout. Pour saluer la mémoire de cet immense artiste, des
témoignages émouvants lui ont été rendus. Tous se sont plus à affirmer que la
grandeur d’un homme se mesure au caractère ineffaçable de son œuvre.