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Election présidentielle 12/12/2019- Débat télévisé 6/12/2019- Décryptage

Date de création: 12-12-2019 18:07
Dernière mise à jour: 12-12-2019 18:07
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VIE POLITIQUE- ETUDES ET ANALYSES- ELECTION PRESIDENTIELLE 12/12/2019- DEBAT TELEVISE 6/12/2019- DECRYPTAGE

 

Décryptage du débat télévisé des cinq candidats

(c) Par Ahmed Ben Amar/L’Expression, dimanche 8 décembre 2019

Les grands «Spin doctors» américains (les meilleurs dans le monde) s’accordent à dire qu’on pourrait accéder au pouvoir grâce à la formule magique qu’ils définissent par trois éléments : -storytelling, soit raconter une histoire capable de constituer l’identité narrative du candidat en respectant durant toute la campagne la tension narrative (dramatisation, tension, résolution)- positionnement différencié du candidat qui imposera ses thèmes de campagne. (encadrement du débat)- créer un réseau sur Internet d’une puissance telle qu’il captera l’attention du plus grand nombre.

 

Il est aisé de comprendre qu’aucun candidat ne répond à cette formule magique. Dans un pays imprégné de communication politique, ils seraient out dès le départ. Ceci pour dire qu’aucun candidat n’a été coaché par des communicants dignes de ce nom.
En fait, et sans exagérer, nous sommes encore à l’ère de la « réclame », chacun vantant son programme sans positionnement clair, sans thèmes clairs et surtout sans cette cohérence dans les discours qui doivent être en adéquation avec l’identité politique du candidat. Parfois, on en est arrivé à une surenchère dans les promesses. C’est à qui promet le plus. Et à qui tiendra le moins. On connaît le dicton : « Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. »
Revenons au débat de vendredi dernier. Dès qu’on a appris que Mohamed Charfi a rendu visite la veille et le jour du débat aux candidats, on a compris que les modalités de prise de parole choisies seront celles qui feront prendre le moins de risque au supposé « élu », car Bengrina avait juré d’étriper deux candidats qui avaient selon lui les faveurs du pouvoir. L’un a été éliminé par les défections et la comparution de son fils, l’autre n’ayant été entaché par aucun scandale. Las, après la visite de Charfi, le candidat Bengrina avait compris qu’il devait rengainer ses flèches. La tête qu’il tirait renseignait bien sur sa colère profonde et sa frustration.
Ainsi, opter pour les réponses individuelles des candidats aux journalistes sans possibilité d’interpellation directe entre les participants c’était courir le risque d’un débat trop cadré, trop conventionnel, trop rigide pour ne pas être ennuyeux. Et ennuyeux il l’a été par la faute également des journalistes choisis qui n’ont pas donné la meilleure image du potentiel formidable de la presse algérienne. Entre arabe approximatif pour l’une et tenues négligées pour certains, on attendait des questions qui leur ressemblent, c’est-à-dire poussives. On les a eues. Mais sans doute que l’Anie a mis son sel, l’Anie qui veut être l’amie de tous les candidats et qui leur épargne les questions qui fâchent. Charitable Anie. On aurait aimé pour la beauté du geste, des questions gratte-poils, des questions qui portent le couteau dans la plaie. C’était trop demander. Revenons à la prestation des cinq candidats.
Analysons d’abord leur communication non verbale qui est jugée plus importante que la communication verbale. On lui attribue même le pourcentage de 60% dans l’impact sur le téléspectateur.
Commençons par l’apparence physique qu’un homme politique ne peut modifier. On sait que la morphopsychologie des hommes politiques influe d’une manière positive ou négative sur la perception de l’audimat. Qui paraît le plus charismatique et qui paraît le plus lourd ? Qui paraît le plus fiable et qui le paraît le moins ?
La posture des cinq nous donne quelques clés. Ainsi, Bengrina, Benflis et Belaïd avaient la posture de l’arbre, conseillée par tous les spin doctor. Ils étaient droits comme des militaires au garde à vous avec leurs jambes légèrement écartées. Mihoubi dodelinait de gauche à droite donnant l’impression de tanguer. Si cette posture sied au poète qu’il est, en revanche, elle n’est pas recommandée pour le candidat dès lors qu’elle dénote un manque d’assurance. Quant à Tebboune, légèrement voûté, il s’appuyait des deux mains sur le pupitre. Comme s’il était fatigué. Comme s’il avait besoin de s’appuyer sur quelque chose pour ne pas tomber. Quand il enlevait ses mains du pupitre, il reprend la position voûtée du vieux lutteur qui n’a pas encore dit son dernier mot.
Les quatre avaient le même look : costume bleu ou foncé, chemise bleu ou rouge. Sur le plan de la mise, rien à dire. On peut les juger plus ou moins égaux. Mention spéciale aux deux plus âgés dont la coupe des costumes semble porter la griffe d’Arnys l’habilleur des stars de la politique française. François Fillon s’habillait chez Arnys. Avec l’argent de l’homme d’affaires Robert Bourgi qui a contribué à le couler. Le costume sur mesure coûte environ 6000 euros. Pas moins. Seul Bengrina était habillé de gris. Ce gris qui reflète son état d’âme d’homme frustré et déçu.
Les attributs vocaux. On sait depuis quelque temps que chaque être humain à « une empreinte vocale » qui le caractérise.
Celle de Tebboune est éraillée. C’est celle d’un vieux fumeur dont la voix virile manque cependant de souffle. C’est le seul dont on a entendu la respiration. C’est une voix vibrante, qui peut être coupante. On sent qu’elle est capable de mordre. Sa voix lui ressemble.
Mihoubi a une voix fluide et douce, une voix de poète déclamant des poèmes d’amour ou des poèmes épiques. Ce n’est pas une voix faite pour les menaces. Mais pour le dialogue. Adéquation entre sa voix et son physique d’’homme qui vibre à l’intérieur.
Belaïd a une voix légèrement éraillée d’un tribun qui a commencé la politique très tôt. Sa voix est riche de plusieurs gammes. C’est la voix d’un acteur de théâtre. Un mezzo-soprano. Il a un physique de boxeur. Sa voix lui ressemble.
Benflis. C’est la voix rassurante et séductrice du pater. Ton égal, voix nuancée et riche qui se retient de peur de céder au lyrisme qui ne sied pas à sa qualité de plus âgé des participants. Comme Tebboune, sa voix a des nuances qui disent que le loup peut se cacher dans la brebis. Ce qui n’est pas mauvais en soi pour un politique.
Quant à Bengrina il a la voix la plus grave, celle d’un baryton, mais un baryton freiné, frustré, qui ne peut chanter tous les airs d’opéra qu’il veut. On le limite à un rôle qui ne lui convient pas. Sa voix tonne. Des cinq c’est celui qui donne l’impression d’avoir le plus d’expérience dans l’expression orale. C’est un prédicateur. Et ça se voit.
Mihoubi a utilisé une langue sophistiquée élitiste. Que seule une minorité d’Algériens pourraient comprendre. Il a parlé comme s’il était en conférence devant un parterre d’hommes de lettres. Ce n’est pas un choix, c’est sa nature. Depuis toujours il a parlé cette langue qu’il a perfectionnée dans les conférences entre poètes. Son positionnement était feutré, celui du candidat qui veut fédérer le maximum. Mais comment fédérer le plus grand nombre quand on ne s’adresse qu’à une élite ? C’est celui qui s’est le plus bridé, ne répugnant pas à utiliser souvent cette langue de bois si chère à la plupart des politiciens.
A sa décharge, il était attendu par les quatre autres candidats et par beaucoup d’observateurs qui voyaient en lui « l’élu ». En termes de foot qu’il aime tant (c’est un ancien journaliste sportif), il a bétonné.
Bengrina. Son discours était celui d’un populiste. Sa langue aussi, langue du peuple même si souvent il employait des termes académiques. Il avait la voix vibrante de colère. On sent qu’il se retenait pour ne pas fustiger quelques participants. Son positionnement était celui d’un hirakiste pur sucre. Seul contre tous. Il voulait paraître comme un opposant au régime contrairement à certains participants. Mais pour que ce message soit crédible et point racoleur, il faudrait que la cible à laquelle il s’adresse soit frappée d’une forte amnésie qui lui fait oublier que le président de l’APN est un membre de son petit parti.
Benflis. Sa langue est un mix entre le dialecte algérien et l’arabe classique. Il a pris soin de n’utiliser d’ailleurs qu’un minimum de vocabulaire élitiste pour être compris par tous. Son ton posé, consensuel, montre assez qu’il a retenu les leçons du passé. Ceux qui attendaient un Benflis vibrionnant et vindicatif ont sans doute été étonnés. Ils n’ont vu qu’un homme rassembleur et apaisé. Si sûr de lui qu’il n’a à aucun moment élevé le ton. Son positionnement était celui d’un homme qui a rompu avec le système qu’il a servi. Et qui est prêt pour la fonction suprême. Benflis était déjà dans la peau du président. Il en avait pris la hauteur. Mais le poste est si haut que la hauteur de l’esprit ne suffit pas. Il faudrait aussi une très bonne échelle. Celle du suffrage ?
Belaïd. Sa langue est la langue parlée comprise par tous. Dommage qu’il n’a pas utilisé des mots de tous les jours, celle de la jeunesse comme « périmés, untik, etc. ». Cela l’aurait distingué des autres à qui il aurait donné un sacré coup de vieux. Le risque aussi dès lors que la cible visée (la jeunesse) était sans doute ailleurs que devant les écrans de télévision. Son positionnement était celui du jeune loup décidé à prendre la place qui lui revient de droit. Quand il a lancé son attaque finale: « L’expérience n’est pas l’ancienneté et j’ai l’expérience, le flambeau ne se donne pas mais s’arrache », on a compris qu’il visait les deux septuagénaires.
Tebboune. Pas de problème de ce côté, il sait parler au peuple. C’est un conteur-né. Il parle souvent sur le ton de la confidence du vieux capitaine qui a survécu à tous les naufrages. Son positionnement est celui du martyr qui a souffert de la «Issaba » qui l’a écarté parce qu’il voulait éradiquer la corruption. Ce discours est d’autant plus porteur que beaucoup d’Algériens voient en lui une sorte de chevalier blanc victime de l’oligarchie.
La gestuelle. Hormis Mihoubi qui avait un comportement gestuel très marqué-et c’est nouveau chez lui- car il a commencé ses meetings d’une manière très sobre-tous les
autres ont été mesurés et pondérés. Remarquons, en passant, que Belaïd avait la gestuelle de son idole Boumediene exprimée par son doigt qui frappait parfois le pupitre.
Que retiendra le téléspectateur ? Le moment de vérité de Benflis quand il reconnaît qu’il ne voudrait pas mentir au peuple et qu’il serait très difficile de récupérer l’argent à l’étranger des corrompus qui sont en prison. Et le cri du cœur de Belaïd qui dit que le moment est venu de laisser la place aux jeunes. Et comme il est le plus jeune…