VIE POLITIQUE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN BENCHICOU MOHAMED- « LA CASA DEL MOURADIA »
CASA DEL MOURADIA. Roman de Mohamed Benchicou. Koukou Editions, Alger 219, 146 pages, 600 dinars
Déjà bien des livres édités portant sur le
mouvement populaire du 22 février 2019 (le « Hirak ») !
Ecrits , pour la plupart, par des journalistes qui ont
essayé de retranscrire les évènements tout en tentant de les expliquer. Une
très bonne chose que la réactivité
éditoriale.........encore que, peut-être, il fallait laisser « le temps au
temps » , c’est-à dire laisser le mouvement
suivre son cours normal, bien l’observer, le laisser se décanter puis,
enfin l’analyser. Une façon de
participer à l’écriture de l’histoire « immédiate » comme une autre.
On a déjà la photographie, l’humour et les slogans, les témoignages....De l’or
en barre pour les chercheurs de l’Université qui auront bien du « pain sur
la planche ». Tant mieux. Jusqu’ici, seuls octobre 88 et le Printemps
berbère ont connu un pareil intérêt...des journalistes et autres
« observateurs sociaux ».
Mohamed Benchicou,lui, désormais
plus écrivain – journaliste que journaliste-écrivain, a choisi une autre
approche qui lui paraissait certainement bien plus convaincante. Il écrit donc
le premier roman sur le « Hirak ». Il
fallait y penser.....Il fallait pouvoir le faire .
Bien et rapidement.
Ne voulant pas s’empêtrer dans des
personnages d’actualité, il s’en est allé loin, bien loin.....En 2079. Soixante
années après la « Révolution». Deux générations d’individus.
L’histoire démarre simplement. Lilya, une demoiselle d’origine algérienne, domiciliée à Liège (en Belgique) reçoit, un
jour, un colis d’une maison de
vieillesse d’Alger, rue Kamel Eddine Fekhar, Kouba : un gros document (« La casa d’El Mouradia ») envoyé par un grand père maternel (inconnu d’elle jusque-là), Messaoud dit Socrate Tabess Rassou, un
professeur de philosophie....limogé de l’Université d’Alger, devenu
presque clochard, et même revendeur occasionnel chez un marchand de vin
.....Des notes éparses sur la vie tumultueuse d’un quartier d’Alger ( Houmet Pigalle)
durant les journées d’une révolte populaire. « Un quartier sans prestige
où l’on venait au monde sans grand enthousiasme, où l’on vivait sans grandes
illusions et où l’on mourait sans grand panache ». On avait là Mélenchon,
alias Chaâbane l’Emigré, Hamza le Moko, les lycéens
Antar, Othmane et Kader..et
Ali Bouchekra, le militant Fln ...... en 2019.....
Février 2019, des journées qui virent le
grand-père...rencontrer la grand-mère Nora (morte en couches en donnant
naissance à la mère de Litya) .
La vie quotidienne, les espoirs, la frustration, les misères, l’amitié
aussi, la révolte, l’espoir, l’amour, ..... le tout raconté avec finesse
(ou délicatesse) sans tomber dans la
vulgarité d’une « histoire de cœur » ayant mal fini....Au contraire,
l’amour fleurant bon la liberté !Peut-être tout
ce qui manque actuellement aux jeunes Algériens ?
Car, le fond du livre (ainsi que ses
chapitres essentiels) est bien la
description , dans les détails les plus significatifs , d’un système, d’un régime
, d’un homme et de son clan.........et d’un quartier, déjà résigné devant
l’injustice des hommes....... encore
plus désespéré depuis ce « fameux après-midi de février 2019 » quand
on apprit que ........« Fakahmatou est candidat
pour un cinquième mandat ! ». La ligne rouge de la hogra, de l’arrogance et
du mépris venait d’être dépassée !
L’Auteur : Ecrivain
(et poète) , journaliste, directeur du quotidien
« Le Matin ». Vu son opposition au régime Bouteflika- voir plus haut
l’essai de Hammouche- , il
sera emprisonné durant deux années et le journal fera l’objet d’ une
« saisie-vente ». Auteur de
nombreux essais (dont le très fameux « Bouteflika, une imposture
algérienne »....en 2004) et romans ( « La parfumeuse » en 2012 et « La mission » en 2014 ) , d’un
journal de ses années de prison (« Les Geôles d’Alger »....en 2009) ,
d’une pièce de théâtre (« Le dernier soir du dictateur »....en 2010)
et d’un recueil de poèmes (« Je pardonnerai. Poèmes de prison »....en
2008) publiés en Algérie et à l’étranger. Il anime, aussi, un journal
électronique d’informations .
Extraits : «Ici,
il n’y a pas de place pour les martyrs.
Je veux dire les vrais. Les héros bricolés, il s’en trouve dans toute la
place, des petits, des gros, des grands, des jeunes, des moins jeunes, ceux qui
se disent baroudeurs de la première heure, ceux qui se sont inventés une
réputation de condamnés à mort ou d’évadés spectaculaires....Vous n’avez aucun
moyen de vérifier ni de contredire.....» (p 19) ,
« L’argent se mit à couler à flots. C’était l’époque où les gouvernants
eurent l’idée de s’offrir un peuple qui leur ressemblerait, réveillant ce qu’il
y avait en chacun de cupidité, de disposition à l’amnésie et de talent à
l’obséquiosité » (p 22 ), « Nous devrions être reconnaissants envers
ceux qui nous ont caché la vérité. Grâce à eux, et à notre insu, en vertu du
mensonge d’Etat, nous aurons été le premier peuple de l’histoire à être
gouvernés en pyjama et en chaise roulante » (p 117)
Avis :De la fiction ? Non de la réalité bien
vraie....romancée, et racontée .....en 2079. Et, une
larme d’humour.....pour décrire une
situation pourtant dramatique.
Citations : « On ne se voit jamais agir en canaille. Ce sont les autres qui le
voient pour vous » (p 41), « Dans un pays où, par tradition hypocrite
les hommes politiques sont sérieux à l’excès, les gens saluèrent avec
enthousiasme l’arrivée de la frivolité au pouvoir » (p 56), « La
politique sourit avant tout à ceux qui savent l’exercer avec cynisme » (p
72), « Les conneries , c’est comme les impôts, on finit toujours par les
payer. Et puis, il faut dire que ce soit la révolution ou le couscous,
rien de ce qui est algérien n’est simple » (p 107), « Le pétrole
algérien était géré dans l’ombre, par des mains expertes et des cerveaux façonnés
par le Diable » (p 131)