COMMUNICATION –BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ESSAI MOHAMED KOURSI- « JEUX DE
POUVOIRS EN ALGERIE. PLUMES REBELLES »
JEUX DE POUVOIRS EN ALGÉRIE.PLUMES
REBELLES. Essai de Mohamed Koursi.
Editions Médias Index, Alger 2019, 454 pages, 800 dinars
L’histoire de la presse nationale et du
journalisme a, certes, commencé depuis assez longtemps, avec ses
travaux de recherche universitaire ou de simples écrits mémoriels et des
auteurs désormais connus (dont Tewfik El Madani, Zahir Ihadaden,
Brahim Brahimi, Zoubir Seif El Islam, Ahmed Hamdi, Agoun Youcef, Z.Chaouche
Ramdane, B. Mostefaoui, F-Z. Guechi, C.Souriau -Hoebrechts .....). Une histoire
qui a mis en relief des œuvres et des titres ainsi que des hommes (dont La République
algérienne, Alger Républicain, El Baçair
puis Résistance Algérienne ,
El Moudjahid -historique, La Voix de l’Algérie libre,..... F. Abbas,
Kessous, Mohamed Laichaoui, Mohamed Aissa
Messaoudi, Frantz Fanon, Redha Malek , A.Temam,
Mohamed El Mili, M, M’hamed Yazid, Henri Alleg, B.Khalfa.....), tous cités, aujourd’hui, en exemples dans les
Ecoles de journalisme
Mais, l’histoire de la presse nationale
contemporaine (post-62) restait encore à (par-)faire ,
encore que bien des travaux aient été déjà produits (Y. Ferhi, M. , A.Ancer, A.
Mahmoudi, A.Charef., M’hamed Rebah, A.Cheurfi, ....). Il manquait, cependant,
quelque chose. Son histoire racontée de l’intérieur par un journaliste
–enseignant universitaire de surcroît - qui y a vécu assez longtemps et qui y a
pratiqué ; une histoire des (grands
et petits) faits et des (grands et petits)
hommes ainsi que des (larges ou restreints) contextes ;ceci pour mieux comprendre (accepter ou rejeter) les
attitudes (politiques surtout) et les comportements dans le traitement de la
nouvelle. En temps de paix comme en temps de crise.
C’est désormais fait.....et le titre,
« Jeux de pouvoirs.....plumes rebelles », annonce d’emblée les « couleurs ».
Un ouvrage qui traverse le temps, puisant sa
source dans le journalisme militant de la guerre de libération nationale ;
un journalisme continuant sa
« mission » ,avec peine, mais avec l’enthousiasme des jeunes
révolutions qui « réussissent » et de ses adeptes ou fans se croyant presque
invulnérables ; basculant , à
partir des années 90 dans le journalisme « indépendant » (le terme
« privé » étant peu prisé à l’époque, les nouveaux entrepreneurs
n’arrivant que difficilement à se défaire de leur « amour » pour le
« service public » et se voulant plutôt mortellement - pas tous- « réformateurs ») ;
puis tombant, à partir des années 2000 , dans les rets de la gestion économique
pour ne pas dire commerciale ou même commerçante. Et, enfin, confronté, à
partir des années 2010, au plus grand
des défis, à la « concurrence » tous azimuts, celle créée par le développement époustouflant des réseaux sociaux via l’internet et le citoyen-« journaliste ».Conséquences !Des
« printemps » de la parole inattendus bousculant aussi bien les codes
politiques et déontologiques habituels que les styles d’expression. Des noms de
journalistes et/ou d’informateurs accompagnant partout et sans discontinuer les
citoyens, remuant et mobilisant les foules en un « clic » et
bouleversant les formes traditionnelles de la gouvernance......Depuis peu,
des « hiraks » partout ! Algérie, Soudan, Liban, Guinée,
Bolivie.....La « main de l’étranger » ? Pas si sûr !
Revenons au livre : Des noms de légende
(dans le microcosme de la corporation ) , algériens et étrangers, aujourd’hui
disparus ou gérant (péniblement ou au bord d’une piscine) leur retraite et
leurs souvenirs et presque oubliés par les tout nouveaux ; des titres de
poids dans la vie politique du pays et des aventures incroyables vécues (les dangers, parfois la mort ou la prison,
les pressions, les manipulations, la censure et l’auto-censure........mais , aussi, des satisfactions et des félicitations y compris !). Bien sûr, pour la seule
presse écrite l’Aps, El Moudjahid,
Algérie Actualités, Révolution africaine, La République (d’Oran).....mais
aussi, et cela a été un peu ,sinon beaucoup, oublié,
Echâab, El Djoumhouria , An Nasr Révolution et Travail, Novembre,
Adwa....... qui ont eu leurs moments et leurs hommes de gloire.
Mais, tout cela ne veut aucunement dire que
c’était un « âge d’or ». .....car une presse et un journaliste au
service exclusif des idées d’un homme politique au pouvoir ou d’un groupe, sous
couvert de cause (s), cachent toujours bien
des lacunes et des dérives dommageables au service public et à l’intérêt
général. Cela ne dure pas et c’est ce qui est arrivé, dans bien des pays
autoritaristes du monde ...ainsi qu’ en Algérie. Les
événements d’octobre 88 puis la loi d’avril 90, ont libéralisé le paysage
médiatique mais n’ont pas réussi à « libérer » entièrement le
journalisme.....car assez vite rattrapé par le pouvoir des politiques et celui
de l’argent. Le Hirak de février 2019
apportera –t-il du nouveau et du plus durable ? A suivre.
L’Auteur : Sociologue
de formation, enseignant universitaire et journaliste. Son ouvrage,
« Journalistes en Algérie : Destins individuels, histoire
collective » a reçu le Prix Essai à la Journée du manuscrit francophone
(Paris, 2018)....Il l’a revu et augmenté, tenant compte de la « révolution
du 22 février 2019 »
Extraits : « Le journaliste algérien a été façonné par l’histoire (notamment
celle de la guerre de libération nationale), formaté (par le parti unique),
instrumentalisé par les forces du marché lors du printemps de l’Algérie, désintégré par une décennie de
terrorisme et, enfin, prolétarisé dans un processus toujours en cours » (p
31), « Ben Bella entre dans l’histoire comme celui qui a tenté un
socialisme algérien mâtiné de référents au modèle cubain tout en gardant un
lien utile avec la France » (p 119) « La publication (El Moudjahid-
quotidien) perpétue la confusion et nourrit le mythe de la filiation directe à
la Guerre de libération nationale en affichant, sur l’espace censé fournir sa
carte d’identité, la proclamation du 1er Novembre » (p 131),
« Le journalisme, c’est d’abord une façon d’être et de vivre qui a été
façonnée par toute une armée de militants pour la cause nationale.
Ensuite, la jonction avec la nouvelle génération a été faite à
l’occasion de rencontres fortuites, de trajectoires singulières, de
bifurcations inattendues.... » (p 144),
« Le journaliste, a fortiori d’El Moudjahid, était l’écrivain d’un
roman national en cours d’élaboration. « El Moudjahid, à l’époque
(note : années 70) ,n’était pas le porte-parole
de l’Algérie, il était......la Parole ! » (dixit
Rachid Lourdjane)(p 263), « La rue est un véritable parlement des
algériens. Pour le logement, la santé et toute demande sociale, la rencontre ou
la négociation avec les pouvoirs publics s’y déroule de manière frontale sans aucune
intermédiation » (p 402)
Avis : Une
grande « biographie de l’absence » qui rappelle à la mémoire des
lecteurs et auditeurs de presse, toujours rapidement oublieux, les existences
d’hommes et de femmes d’Algérie ayant fait la légende d’un métier dur, mais à
la vie trépidante et endiablée ; d’hommes et de femmes qui ont construit
l’information nationale face aux multiples pouvoirs toujours se voulant dominateurs. Plus qu’utile. Un peu trop riche en digressions, peut-être ?
Mais absolument nécessaire(s) aux
futurs journalistes. Trop nostalgiques, s’abstenir !
Une nouveauté introduite :
l’intégration des codes QR, un pictogramme-passerelle entre la version papier
et le contenu numérique (site avec
vidéos, photographies de journalistes, documents...)
Deux observations :1) Le « fameux » article
120 (détention de la carte de militant) était une barrière pour accéder aux fonctions de responsabilité dans les
seules « Organisations de masse » dépendant du parti Fln. Cela , bien sûr, n’a pas empêché son utilisation
abusive par ailleurs. 2) Un grand manque : la « légende » de la
presse de langue arabe qui a produit de très grands noms du journalisme
national. Il est vrai que la Rue de la
Liberté et le Bd Che Guevara....et ses « lieux » fameux
d’accompagnement (Basse Casbah, Rue
Tanger....) ont attiré, toujours, bien
plus de monde......ceux de la Place Audin y compris.
Citations : « L’écriture
de l’Histoire est ainsi faite. Elle gomme la part de l’homme pour mythifier la
légende. Une sorte de désincarnation où le regard supplante le sujet, où le
verbe déclasse la texture » (p 138) « Aujourd’hui, le responsable
n’assume point ses erreurs. Pis encore, il colle ses bourdes sur le dos de ses collaborateurs,
profitant de ses entrées à plat ventre
,dans différentes institutions pour survivre, genoux à terre pourvu qu’il garde son poste » (p
164), « Si on évalue une démocratie par la liberté et la diversité de ses
médias (en plus du multipartisme) on devrait aussi juger de la qualité du
produit » (p 291), « En Algérie, la puissance ne se mesure qu’à la
capacité de rester dans les arcanes du pouvoir. Une fois éjecté ou en dehors,
la puissance disparaît »(p 404), « Les réseaux sociaux sont dans le
temps réel contrairement aux médias traditionnels qui manquent de
crédibilité » (Abdelaziz Rahabi , invité de la rédaction de la chaîne 3, 3
mars 2019, cité p 425), « Ce système (régime Bouteflika ) qui se nourrit
d’une matière et d’une croyance est adossé à une architecture sociale
segmentaire : la rente énergétique, la rente symbolique et le ciment népotique..........Trois
rentes qui ont causé un désordre moral, historique, social, technique et politique »
(p 449)