POPULATION – BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN SAMIR KACIMI- « L’AMOUR AU TOURNANT »
L’AMOUR AU TOURNANT. Roman de Samir Kacimi
(traduit de l’arabe par Lotfi Nia). Editions Barzakh,
Alger 2017, 190 pages, 700 dinars (Première édition en arabe, à Beyrouth, en
2014).
Deux
petits vieux qui se rencontrent par hasard sur le banc d’un jardin public du centre –ville d’Alger.
L’un
a quatre vingt cinq ans, ancien chirurgien –dentiste, veuf solitaire, attendant , dit-il,
« l’étreinte de la mort » depuis plus de vingt ans, l’existence,
pense-t-il, ne lui ayant rien apporté . Deux jambes qui, miraculeusement,
parviennent encore à porter son énorme carcasse .
L’autre,
un peu plus jeune mais tout aussi vieux , élégant,
extrêmement maigre avec un visage clair et des dents immaculées. Le regard est
pétillant, dévorant des yeux tout ce qui passe autour de lui.
On
fait lentement mais sûrement connaissance, une certaine méfiance étant toujours
présente au départ.
D’abord,
un simple échange de cigarettes.....puis , découvrant
qu’ « ils ressemblent tous les deux », on a la simple discussion sur la vie de tous
les jours, des banalités ....l‘amour, les femmes, la fidélité, la foi, l’existence de Dieu .
Mais, petit à petit, au fil des marches
dans la ville, des restaurants et des bars, ils vont aller encore plus loin
....Chacun va aller « à
confesse » : voyages, rencontres, expériences, aventures et
mésaventures....... et le passé de chacun va devenir le présent des deux.
Globalement
tout tourne autour de la question principale qui taraude (c’est mon opinion) , parfois plus qu’il n’en faut, l’esprit de « nous
autres » : un homme peut-il se passer de l’amour, quel que soit son
âge.
Et,
à chacun de raconter son histoire . L’une est
toute simple : boulot, dodo, veuvage, putes.....L’ autre est un peu plus
compliquée avec une histoire d’amour qui finit bien (par un mariage) puis mal (par une leucémie mortelle ayant
atteint l’aimée ) . Tout avait été dit ,par un de ses
amis maintenant disparu, alors qu’il était en pleine crise morale , sur les bords du Gange, par un moine hindou,
croisé par hasard ( ?). Tout était « écrit ! »......
Tout
cela raconté avec les digressions habituelles à nos écrivains et romanciers sur
l’environnement social et politique ...dégradé bien sûr et devenu presque
invivable. La réalité mais aussi beaucoup de nostalgie. Il est vrai que l’auteur
né au début des années 70 été jeune durant les années 90.....période des
réveils politiques chez la nouvelle génération (qui a brisé les
« murs » en octobre 88) et fin d’une « société ouverte » , moins enfermé dans une religiosité mortifère.
.
L’Auteur : Né en 1974 à Alger, études de droit
puis avocat, puis journaliste. Déjà
auteur de plusieurs romans dont un ayant obtenu l’ « International Prize for Arab Fiction » et
un autre (décembre 2016) « Prix Assia Djebar »
Quant au traducteur (arabe- français) , né en 1978 à Alger, il a déjà traduit, avec succès, plusieurs œuvres (d’auteurs
« difficiles ») de la littérature algérienne contemporaine.
Extraits : « La vie dans ce pays a complètement
changé de cap, elle tourne le dos à l’intelligence. L’esprit a été arraché du
corps, nous sommes des cadavres ambulants qui sonnent creux. Le vide gagne de
plus en plus de terrain en nous, et rien ne semble pouvoir le combler , rien ni personne....pas même Dieu » (p 15),
« C’est la gratitude qui nous a rendus esclaves de notre passé. Elle nous
soumet à une autorité dont on n’a jamais voulu. Elle fait de nous un peuple
débile, prêt à se faire couper la tête pour ceux qu’il voit comme des
révolutionnaires, ses « libérateurs ». A cause d’elle, nous sommes incapables
de trouver le bonheur loin du joug........C’est par gratitude que nous acceptons d’être traités
en citoyens de seconde zone : eux sont des moudjahidine, eux sont des
martyrs, eux sont des enfants de martyrs. Nous, nous ne sommes que les enfants du peuple. Un peuple qui
n’est pas tombé en martyr, qui n’a pas combattu....Des fils de putes et de
harkis » (pp 99-100) ; « Dans ce pays, l’homme n’a aucune
valeur. Comment voudrais-tu qu’ on respecte les
lieux ? Parfois, j’en viens à me dire qu’on prend un malin plaisir à
ruiner ce qui fait notre mémoire » (p 154)
Avis :
Troisième âge, Sexe, Amour, mais aussi Société et...... Politique. Précis,
concis.....rien de tel pour en faire un bon grand roman.
Citations : «
Ce n’est pas parce qu’on couche avec quelqu’un d’autre qu’on est infidèle.
C’est ce qui précède et suit l’acte qui compte » (p 24),Une bonne
imposture n’est jamais un mensonge intégral, elle fonctionne mieux avec des
semi-vérités » (p 25), « Les lieux sont comme les gens : quand
ils ne connaissent plus le plaisir, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes,
une collection de souvenirs » (p 92), « Le bonheur, même s’il n’est
qu’un ressenti passager, doit reposer sur des bases solides » (p 134)