COMMUNICATION-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- JOURNALISME ET HIRAK
Grandeur et misère du journalisme algérien en temps de hirak populaire
(c) Par le Pr Belkacem Mostefaoui/El
Watan/Contribution, dimanche 24/11/2019
École
nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information, Alger
L’Histoire
du journalisme dans le monde est jonchée de dynamiques collectives et d’actes
professionnels individuels qui ont sédimenté et imprimé au métier les meilleurs
chemins de se construire en forges multiples de résistance contre trois
pouvoirs constitués à l’égard des droits humains : politique (et militaire en
Etat de non-droit comme le nôtre), d’argent et de religion. Et ainsi de pouvoir
tracer au mieux les règles et le sens de ses fondamentaux d’identité à même
d’instituer son statut dans la société.
La
production du journalisme d’Algérie en ce temps de neuf mois de vigoureux et
pacifique hirak est marquée dans ses ressorts de
survie contre les métastases des propagandes instituées depuis l’indépendance,
renouvelées en versions soft de communication institutionnelle depuis le
système Bouteflika. Cependant que via les nouveaux médias une communication
sociale – même si souvent cacophonique – offre de formidables et libres
expressions de l’opinion publique nationale.
De fait, il en ressort de faibles contre-feux via les médias traditionnels.
Ces
contre-feux ranimés au lendemain du 22 février, sans que pour autant
malheureusement il n’y ait eu depuis une forte dynamique d’organisation
professionnelle des journalistes (incontournable processus à notre sens), se
retrouvent confrontés gravement ces derniers jours, notamment dans les
télévisions et radios de droit public au regain féroce des pires formes de
censures exercées brutalement par les tenants du pouvoir.
Dans le
sillage de l’agenda médiatique militaire imposé par le commandement militaire,
de nouvelles chefferies des offices de télévision et de radio du Boulevard des
Martyrs viennent de prendre les commandes avec pour mission principale de
mettre fin aux «ouvertures contrôlées» de près de neuf mois, discréditer par
tous les moyens le hirak populaire ; et accréditer la
mascarade du scrutin présidentiel du 12 décembre comme seule solution immédiate
possible.
Cette
amulette est sans cesse ressassée par le général Gaïd
Salah, et introduite en leitmotiv dans les journaux radiotélévisés, en
contrebande car jamais questionnée à partir des principes fondamentaux de
production du journalisme. Relayée par des officiants journalistes, elle tient
lieu d’épine dorsale des programmes d’information des radios et télés gouvernementales,
des télés commerciales offshore et de la majorité des journaux privés
survivants encore, et en quémande de retour de services rendus pour
l’après-scrutin.
Cette
feuille de route est instaurée dans l’audiovisuel gouvernemental en redoutable
retour aux années de plomb ; elle y crée un marécage de misère professionnelle.
A la suite des télés qui ont sevré la nation de se voir en marches populaires
festives de vivre-ensemble, les radios (sous monopole d’Etat, comme seule la
Corée du Nord continue de le faire survivre) s’appliquent à rendre inaudibles
les clameurs chroniques de la vox populi. Surréaliste est ce spot sonore
d’autopromotion «La radio chaîne 3 au cœur de l’information» ; surréalistes
sont les journaux radiotélévisés de ce week-end gonflés d’infos bruits sur le
Sahara occidental et l’Irak, et pas un mot sur la nation constructive neuf mois
durant de son hirak.
C’est
ainsi que sont inculquées les ficelles de propagandes dans les (mauvaises)
écoles de communication : quand on ne trouve pas de recettes à même de produire
une propagande/désinformation susceptible d’efficacité, on recourt à celle du
fameux «trou de mémoire» imaginé par le visionnaire George Orwell. Il faut
jeter carrément dans ce trou/oubliettes l’info ou l’idée – comme s’il était
impossible, «la yadjouz», qu’elle soit. Le black-out
orchestré Boulevard des Martyrs sur les manifestations populaires est de cette
veine. Question intelligence de saisie des réalités, ce black-out est similaire
au geste de l’idiot qui casse le thermomètre parce que son mercure montre trop.
Cependant,
la grandeur du journalisme d’Algérie demeure. Elle est bien plus forte que les
misères d’embrigadement grotesquement administrées par les pouvoirs mal définis
des temps actuels. Elle a sédimenté pour édifier une base de socle à la liberté
de la presse depuis les premiers journaux de droit privé des années 90’, contre
la peste (de l’islamisme intégriste) et le choléra (du pouvoir politique). Au
prix d’une centaine de professionnels massacrés, et de tant d’exilés…
C’est dans cet entre-deux de lumière et
pénombre qu’il demeure bon et sain d’entrevoir encore et conforter de réception
tant de signes nouveaux de riposte aux nouveaux dispositifs de répression de la
liberté d’informer. Même si a priori ils peuvent paraître minimes, ces signes
nous disent bien que de dignes journalistes algériens continuent de se battre
contre les nouveaux jougs de domination. Point besoin de citer des noms de
journalistes qui régénèrent la flamme de la grandeur du journalisme national :
ils (elles) démissionnent de responsabilités administratives antinomiques avec
leur conscience professionnelle ; ils (elles) refusent de réciter une copie à
prétention de production journalistique ; ils (elles) produisent des reportages
réellement «au cœur de la société». Parce que la conscience professionnelle en
journalisme est de première ligne de défense de sa propre dignité, en partage
avec son peuple