HABITAT- REGION- SAOURA (BECHAR)
(c) R. B/ El Moudjahid, 18 août 2019
Lorsque l’on évoque le
sud-ouest du pays, il est indubitablement fait allusion à Béchar, capitale de
la Saoura qui, au fil des années, est devenue une destination
privilégiée, notamment à l’occasion d’événements, dont la célébration attire
bien des visiteurs nationaux et étrangers, concourant ainsi à la
promotion du tourisme local.
En effet,
l’affluence vers cette contrée est de plus en plus importante et ne faiblit
pas, en dépit de certaines insuffisances qui restent à relever, à l’exemple du
manque flagrant d’infrastructures hôtelières dans la région et auxquelles est
venue se substituer la fameuse formule « hébergement chez
l’habitant », moyen incontournable pour pallier cet état de fait et qui ne
rebute point les étrangers. Pourtant, la Saoura, l’une des régions les
plus attrayantes du sud algérien, située dans cette vallée façonnée par l’oued
qui en porte le nom, n’est pas uniquement synonyme de tourisme. Elle demeure
encore fière, outre ses sites naturels et son patrimoine matériel et
immatériel, de son histoire, dont nous allons conter un pan de trois de ses
contrées les plus riches : Taghit, Kerzaz et les Ksour du nord.
TAGHIT ET SES SAVOIRS
Lorsque l’on cite Taghit (90 km au sud du chef lieu de la wilaya de Béchar),
c’est forcément le potentiel touristique que renferme cette région qui nous
vient à l’esprit : gravures rupestres, tourisme chez l’habitant, ski sur
les dunes, etc. Mais Taghit, c’est aussi le berceau de deux zaouïas (Zaouïa El
Fougania et Zaouïa Ettahtania) et dont l’historique remonte vers le XVIe
siècle. A l’instar des autres zaouïas du pays et du Maghreb arabe qui les ont
érigées, ces dernières, sont considérées comme des édifices religieux
musulmans, dont la mission première est de préserver l’identité nationale, ces
deux zaouïas, actuellement gérées par des associations locales, ont
pratiquement vu le jour à la même période. Elles tirent tout d’abord leur nom
de leur position géographique, par rapport à la localité de Taghit, elle-même,
entourée de villages satellites et disséminés comme Barrebi, Brika et Bakhti.
C’est donc vers le XVIe siècle que Sidi Brahim Ben Mohamed, venant de
Saguiet El Hamra et pour qui les autochtones vouaient un immense respect,
décida de s’installer à Taghit jusqu’à sa mort et que son fils Sidi Boubekeur
hérita de sa position sociale et bien-sûr de son influence, en contre partie d
el’enseignement des pratiques religieuses qu’il dispensait aux habitants de
cette région. Mais c’est en vérité, son successeur Sidi Abdelmalek Boungab qui
fonda la zaouïa El Fougania, que dirigea après sa mort, son oncle Si Tahar et
qui en devint le cheikh. Les petits enfants de Sidi Abdelmalek Boungab, trop
jeunes alors pour diriger une telle structure religieuse musulmane pédagogique,
poursuivirent leurs études à Figuig (Maroc), sous le protectorat du Sultan du maroc
(qui les y emmena à l’issue de son passage à Taghit), avant de revenir
eux-mêmes diriger cette zaouïa, en collaboration avec une Djemâa. La Zaouïa El
Fougania adopte une doctrine identique à celle de la Kerzazia et Ziania, dont
les principes fondamentaux son Dikr et son Ouerd.
La seconde zaouïa, non moins importante et située donc en contrebas de Taghit,
tire également son nom de sa position géographique et par opposition à sa
voisine, la zaouïa El Fougania. C’est le quatrième fils de Sidi Othmane, Sidi
M’Hammed, déjà installé à Igli et dont la réputation flatteuse s’était bien
répandue au-delà de cette ville, qui fit construire la Zaouïa Ettahtania, après
que les populations lui proposèrent de s’installer et de se marier chez eux.
Sidi M’Hammed n’avait pas de Dikr propre à lui et c’est l’un de ses
descendants, Si Embarek, en voyage à Ouazane, qui en rapporta le Dikr des
Tayba, qui prêche l’élévation de l’âme vers Dieu, ainsi que la justice et
l’équité. La zaouïa Ettahtania entretient également de bonnes relations avec
celle de Kerzaz et d’Ouazane. Deux Zaouïas qui évoluent à l’opposé d’une même
ville, Taghit, érigée avec un,e multitude de villages, le long d’une faille
creusée par l’oued Zouzfana, et dont les doctrines œuvrent pourtant pour un
principe identique : la purification de l’âme et son rapprochement vers le
Créateur.
KERZAZ : UN PÔLE DU SAVOIR
Commune de la wilaya de Béchar (jusqu’au tout récent découpage administratif
qui la relie à la wilaya déléguée de Béni-Abbès), Kerzaz est constituée de
trois principales localités : Megsem, zaouïa Kebira et Kerzaz Ksar. Mais
ce qui la singularise davantage, c’est qu’elle est traversée par ce que l’on
appelle « la route des oasis » (RN 6) qui relie Sig, ville de l’ouest
algérien (40 km d’Oran) à Timiaouine, à l’extrême sud algérien et à la
frontière du Mali, en passant bien sûr par Béchar et Adrar.
C’est Sidi Ahmed Ben Moussa, fondateur de la zaouïa de Kerzaz qui en a fait,
avant sa mort en 1573, un véritable pôle du savoir.La ville de Kerzaz a une
histoire et des vestiges millénaires, car elle a gardé au fil des siècles, son
cachet traditionnel de cité du désert, tout en étant une ville d’accueil,
puisque déjà, elle servait de refuge aux nombreuses familles qui fuyaient les
guerres tribales, très courantes à l’époque dans la région. Ses vestiges,
Kerzaz les puise dans la construction et l’architecture traditionnelles de ses
ruelles, ses impasses et ses maisons en dépit des aménagements modernes qui s’y
sont infiltrés. La ville de Kerzaz est aussi et surtout connue par sa zaouïa,
véritable pôle du savoir et lieu incontournable pour bien des tribus, de toutes
les régions du pays d’Algérie, qui contribuent d’ailleurs à sa pérennité. Un
espace qui est fait pour répondre aux demandes du savoir pour ceux qui viennent
de toutes parts, tout en pourvoyant la région en imams et enseignants du Livre
Saint. Kerzaz, c’est aussi un lieu de pélerinage, à l’occasion du Mouloud
Ennabaoui, pour des milliers de fidèles de la confrérie El Kerzazia, qui y
viennent, annuellement, célébrer cette fête religieuse à la zaouïa El Kébira,
où se trouve le mausolée de Sidi Ahmed Ben Moussa. Mais cette ville renferme
aussi plusieurs sites historiques, tels les ruines des ksour de Tazougar, de
Sidi Moussa Ben Khalifa, père du fondateur de cette cité, et bien d’autres
ksour, dont la découverte en reflèterait toute la beauté et le prestige. Pôle
touristique malheureusement peu fréquenté, Kerzaz est un trésor patrimonial qui
reste à faire valoir. Une autre singularité de cette ville : une variété
de dattes portant le nom du cheikh de la zaouïa, qu’on ne trouve nulle part
ailleurs et qui a même surpris des émirs du golfe, en visite dans la région.
Kerzaz, bien à l’abri de sa muraille et de son enceinte, fière de son histoire,
renferme bien des lieux où la paix semble régner pour l’éternité.
KSOUR DU NORD :
TEMOINS D’UNE LONGUE HISTOIRE
Les ksour du Nord, trois communes de la wilaya de Béchar (Boukaïs, Mougheul et
Lahmar) recèlent des potentialités naturelles, historiques et culturelles qui
ne peuvent que susciter l’intérêt et la curiosité de tout visiteur. Situées au
nord de Béchar (à respectivement 50, 40 et 30 km) et non loin de la frontière
marocaine, ces ksour ont, de par leur situation géographique, joué un rôle
important lors de la guerre de Libération, à l’instar d’autres ksour et zaouïas
de la région. Celui de Boukaïs est l’un des plus anciens de la wilaya et sa
fondation remonterait, selon certaines sources historiques, à une quarantaine
d’années avant l’avènement de l’islam et son appellation
« Boukaïs » a une consonance berbère qui signifie « ton père ô
Farès », alors que d’autres versions attestent que son nom est tiré du mot
« Boughamouk » et qui désigne une séguia. Aussi millénaire qu’il le
soit, le ksar de Boukaïs est encore intact, grâce à diverses opérations de
réhabilitation dont il a bénéficié.
S’étalant sur une superficie de 6 hectares et toujours habité par le dixième de
la population locale de cette commune, ce ksar est incontestablement
aujourd’hui un pôle touristique des plus prépondérants de la wilaya de Béchar,
avec ses nombreuses oasis, ses palmeraies et sa source millénaire.
L’autre ksar et non des moins importants, est celui de Mougheul, qui se
distingue par son architecture d’inspiration musulmane, ses ruelles labyrinthiques
et obscures et la concentration de ses habitants. Portes en bois sculpté, hall
et colonnes en forme d’arcade, cheminée traditionnelle, le ksar de Mougheul à
su conserver toute son authenticité, de par également ses niches murales
tapissées et ses plafonds sculptés, créant ainsi une atmosphère de fraîcheur à
longueur de journée, même en période de grandes chaleurs. Avec son imposante
palmeraie et sa séguia séculaire, ce ksar demeure le témoin d’une longue
histoire, dont les habitants, à majorité berbérophone, ont su pérenniser leur
patrimoine culturel et qu’ils expriment à travers leur danse, connue sous le
nom de « hidous », une expression musicale et chorégraphique propre à
cette région.
La région de la Saoura revêt en fait un cachet particulier aussi bien par son
histoire ancestrale, riche d’événements, que par son patrimoine archéologique
et culturel et qui, de l’avis de tous, mériterait une protection et une
sauvegarde, ne serait-ce que contre l’oubli. Un classement au patrimoine
national marquerait un premier pas en ce sens, car en fait, ce sont 125 ksars
et sites historiques et archéologiques, à travers la wilaya de Béchar, qui en
constituent toute la richesse.
TABELBALA :
ENTRE MYTHE ET LEGENDE
Depuis fort longtemps, Tabelbala a opté pour le ciment, la brique et le béton
au lieu et place de la brique en terre (toub) et le tronc de palmier (des
matériaux bien adaptés aux conditions climatiques de la région). Toute la ville
est un gigantesque chantier et pourtant, à Tabelbala, il n’y a ni hôtel,
ni restaurant, ni autre structure d’accueil, et tous les visiteurs, pour quel
que motif que ce soit, du simple passager, aux chercheurs ou aux missionnaires,
ne peuvent compter que sur l’hospitalité légendaire des habitants de cette
contrée. Petite oasis enclavée au milieu d’une mer de sable, située à quelques
320 km, au Sud de Béchar et à quelques 1.400 km au sud-ouest d’Alger, Tabelbala
s’étend à l’intérieur d’une palmeraie de 12 km de long et 500 mètres de large,
enlacée par l’Erg Erraoui et Djebel Kahal, pour s’étendre sur 60.536 km2.
Tabelbala, constituée en fait de plusieurs petits villages et de deux
principaux ksars (Sidi Zekri et Ksar Cheraïa), a toujours été le carrefour de
plusieurs pistes chamelières, dont l’existence remonte à une époque lointaine,
à la croisée du Drâ et du Tafilalet, d’une part, et du Soudan et Tombouctou,
d’autre part.
Evoquer Tabelbala, c’est d’abord faire allusion aux sites préhistoriques
qu’elle renferme, très riches en outils Pré-acheuléen et Acheuléen, ensuite, à
son dialecte qui n’existe nulle part ailleurs, ses sept tombes géantes
(Sebâatou Rijal) et son fort militaire, construit en 1910, perché sur un
monticule et témoin de toute une histoire aussi ancienne que riche. Un
« Bordj » qui, d’ailleurs, il y a très longtemps, aurait été un lieu
de halte du Sultan noir, avant d’être transformé en lieu de détention.
Ce dernier ayant vu le passage de personnalités politiques connues, à l’exemple
de Habib Bourguiba, et bien plus tard, Ferhat Abbas.
L’histoire de Tabelbala reste encore difficile à écrire, car bien des
événements s’inspirent seulement de légendes. C’est vers le XIe siècle que les
Almoulatamoun auraient été les premiers occupants de Tabelbala, avant qu’elle
ne soit désertée durant quarante années et que sa véritable histoire commence
avec Sidi Zekri, qui érigea un ksar (Imaden dont les traces sont encore
visibles de nos jours). Ce qui attira très vite des habitants du Drâ et du
Tafilalet, accompagnés de leurs esclaves et de « harratine » (hommes
de couleur noire). Cette oasis prospérera alors grâce aux passages incessants
des caravanes, en quête de lieu de repos et d’échanges de marchandises.
C’est Tachenghit qui aurait le premier nom attribué à l’actuelle Tabelbala,
selon une étude de A.Cancel « un parler berbéro-songhai du sud-ouest
algérien - Tabelbala- élément d’histoire et de linguistique », et reprise
par Mohamed Tilmatine, Tabelbala serait une corruption de Tabelbert et désigné
par les habitants, entre eux, par Tawerbets.
Une version arabe, quant à elle, stipule que ce nom émanerait plutôt de la
racine « Blbl », d’où « Belbala », et qui signifie parler
de manière inintelligible. Le préfixe « ta », ajouté à cette racine
ainsi que le « t » muet final proviendrait d’une amazighisation du
nom. à l’exemple de Talmine, Tamesse, Tamehdi, Tamentit, etc.
LES TOMBES GEANTES
Plusieurs spécificités marquent cette région, et la rendent ainsi bien
mystérieuse, à l’exemple de ses tombes géantes de 7 à 8 mètres de long et
qu’une légende tente d’en expliquer l’existence.
Lors de la prière du Sobh, le muezzin aurait aperçu des flammes, non loin de la
mosquée. Sur place, les fidèles venus s’enquérir de ce phénomène, découvrirent
sept tombes encore fraîches et des traces de chameaux. Une coupole a alors été
édifiée en l’honneur de ces 7 hommes, inconnus. Au bas du monticule, se trouve
le cimetière appelé « Makbarek 66 M’Hammed ».
On raconte que 66 hommes, prénommés M’Hammed ont été tués lors d’une
« razzoua » (bataille menée par une bande armée, au Sahara, pour
piller) et sont enterrés dans cet endroit.
Une autre particularité de ce cimetière, c’est qu’il abrite certaines
anciennes tombes, dont l’orientation des sépultures, contrairement à l’exigence
musulmane qui veut qu’elles soient orientées vers l’est, sont orientées vers le
sud.
Ces tombes seraient donc vraisemblablement antérieures à l’avènement de
l’islam. Enfin, on retiendra également que les Belbalis parlent le korandjé, un
dialecte difficile à comprendre.
LE KORANJE : UN PLER COMME NULLE PART
AILLEURS
Le Koranjé est, certes, une langue qui est parlée comme nulle part ailleurs,
mais sa fonction essentielle demeure celle de lien social de la communauté
Belbalie. Les habitants de Tabelbala seraient, aussi loin que l’on puisse
remonter dans le temps (selon des études ethnographiques de Champault, 1969),
d’origines très diverses : arabes, berbères et d’Afrique noire. Ils sont
tous cependant musulmans et un grand nombre de mots de leur parler a une
consonance religieuse. Le orandjé serait donc une langue héritée des
populations noires qui auraient précédé les berbères, puis les Arabes, tant
elle demeure la plus isolée et la plus septentrionale des langues songhaï
qu’utilisent les habitants de Tabelbala.
Une structure fondamentalement songhaï, influencée par le berbère et l’arabe et
inintelligible, voilà ce qui caractérise essentiellement le korandjé, très
emprunt du songhaï et imposé par les esclaves noirs de langue sonraï, qui
transitaient par Tabelbala. Enfin, le korandjé n’est pas une langue liée à une
ethnie bien définie, d’où cette influence des langues sémitiques, berbère et
arabe, et à laquelle vient se greffer l’isolement géographique, qui lui aura
toutefois permis de se maintenir jusqu’à aujourd’hui.
TABELBALA, UN MUSÉE
Tabelbala est aussi un musée à ciel ouvert, puisqu’au versant nord
du mont Kahal, on y découvre de très riches ateliers d’industrie d’outillage
atérien, alors qu’un autre atelier d’outillages préhistoriques est situé à 200
mètres des gisements de kaolin de différentes couleurs, près du ksar Makhlouf.
Des outils de toutes formes et aux multiples usages témoignent encore de la
présence des gens de l’époque, venus exploiter le kaolin, destiné à
l’étanchéité des conduites souterraines, des foggaras ou pour la confection de
poteries. Tabelbala est une région d’une beauté à la fois attrayante et
mystique. Ce havre de paix au paysage vierge est aussi un lieu de méditation
que le visiteur ne peut s’empêcher d’y retourner.
C’est en 1905, après la bataille de Noukhila, que le capitaine Regnault arrive
à Tabelbala, alors qu’en 1908, la population de Tabelbala exprime son hostilité
au capitaine Martin et verra ainsi son ksar et sa mosquée détruits par des
bombardements. En 1910, une surveillance directe sera menée par le capitaine
Clermont-Gallerande, qui fera construire le fort militaire de Tabelbala.
Celle-ci demeurera sous l’administration militaite durant 51 ans. Aujourd’hui,
Tabelbala et au même titre que plusieurs communes éparses de la région, aspire
encore à son épanouissement, en dépit d’un développement local, dont elle a
bénéficié, dans le cadre de différents programmes et au profit de différents
secteurs et qui aura, certes, concouru à réduire l’isolement dont elle
souffrait depuis de longues années. Région à vocation agricole et pastorale,
Tabelbala pourrait également, grâce aux potentialités dont elle dispose,
devenir un pôle touristique probant, générateur d’une rente financière et
créateur d’emplois.