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Droits voisins (France)

Date de création: 15-11-2019 17:45
Dernière mise à jour: 15-11-2019 17:45
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COMMUNICATION- ETRANGER- DROITS VOISINS (FRANCE)

 

 Le nouveau droit voisin des éditeurs et agences de presse

(c) Philippe Mouron/.La revue européenne des médias et du numérique, n° 52, automne 2019 (www.le-rem-eu)  

La loi du 24 juillet 2019 vient de créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse, leur permettant d’autoriser contre rémunération la reproduction et la diffusion totale ou partielle par un service de communication en ligne des publications dont ils assurent l’édition. La loi française transpose ainsi l’article 15 de la directive du 17 avril 2019, la création de ce droit ayant néanmoins suscité un certain nombre de controverses.

« S’agissant en premier lieu de savoir quels seront les titulaires de droits voisins, on peut certes songer à dire que ce droit sera accordé à toute personne dont les activités ont pour objet l’exploitation d’une œuvre de l’esprit. Mais, à l’évidence, on ne saurait multiplier les titulaires de ces droits sans risque de paralyser cette exploitation. Donc, il serait logique de n’attribuer ce droit qu’à ceux qui apportent à cette exploitation une contribution d’une importance et d’une qualité particulière. »1

Ainsi s’exprimait le professeur André Françon en 1974, sur le sujet de la protection que l’on doit accorder aux droits voisins du droit d’auteur. Ces réflexions allaient être suivies onze ans plus tard par la loi du 3 juillet 1985, consacrant en droit français les droits voisins des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, ainsi que des entreprises de communication audiovisuelle. Il n’était pas question alors d’inclure, parmi les titulaires de ces nouveaux droits, les éditeurs de presse, quand bien même ceux-ci exploitent également des œuvres de l’esprit2. Les premiers droits voisins visaient surtout à récompenser l’investissement réalisé dans le développement de nouvelles techniques de diffusion et de fixation, tels les enregistrements sonores ou audiovisuels et la communication audiovisuelle, lesquels ne concernaient pas, en l’occurrence, le secteur de la presse écrite.

Le développement des services de communication en ligne pendant les années 2000 a néanmoins durement affecté le secteur de la presse écrite, au point de légitimer, en France, une première réforme touchant l’exploitation des droits d’auteur des journalistes employés par les entreprises de presse. La loi Création et Internet du 12 juin 2009 ou Hadopi 1 (voir La rem n°12, p.10) a ainsi entériné le principe d’une cession automatique des droits des journalistes à l’éditeur pour une exploitation multi-supports de leurs contributions, ce qui inclut bien entendu les services de presse en ligne3. Depuis, le secteur de la presse écrite a été confronté à de nouvelles difficultés avec l’arrivée de services de communication en ligne qui utilisent le contenu des publications sans bourse délier à leurs éditeurs. Tel est le cas précisément des agrégateurs de presse, des services de veille médiatique et autres sites utilisant des crawlers (robots d’indexation). Ceux-ci procèdent d’une nouvelle organisation des articles de presse, qui peut prendre la forme de snippets (extraits) dans certains cas, tout en profitant d’une captation de l’audience publicitaire associée à la consultation de ces contenus. Il semble en effet qu’un grand nombre d’internautes se limitent à la consultation de ces résumés, sans prendre connaissance de l’intégralité des publications.

L’idée d’octroyer un droit voisin au profit des entreprises éditrices de publication de presse a fait son chemin. Malgré l’échec des initiatives allemande et espagnole en la matière (voir infra), c’est au niveau européen que celui-ci a finalement été consacré par la directive du 17 avril 2019 (voir La rem n°50-51, p.12). La directive a été suivie, en France, d’une loi de transposition, promulguée le 24 juillet 2019, portant spécifiquement sur ce droit voisin. L’un et l’autre textes soulèvent néanmoins bien des interrogations quant au fondement et à la mise en œuvre de ce dispositif.

Le droit voisin prévu par l’article 15 de la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique

L’article 15 de la directive octroie désormais aux éditeurs de publications de presse un droit sur l’utilisation en ligne de celles-ci par des fournisseurs de services de la société de l’information.

Dans son préambule, la directive reconnaît la contribution de la presse au débat public et au bon fonctionnement d’une société démocratique (cons. n° 54), ainsi que la contribution « organisationnelle et financière » des éditeurs dans la production de publications de presse (cons. n° 55). La reconnaissance d’une contribution particulière à la diffusion d’œuvres de l’esprit, au sens donné par André Françon, intervient donc tardivement pour ces entreprises et dépendrait du contexte technologique. Si les justifications fournies par le préambule de la directive sont légitimes, les conditions et les finalités de l’exploitation des contenus de presse sont pourtant sensiblement différentes de celles des titulaires « classiques » de droits voisins4. Aussi, la création de ce droit vise moins à récompenser la contribution des éditeurs qu’à corriger le déséquilibre financier dont ils font l’objet en raison d’une pratique sectorielle5.

Au-delà, la directive définit les publications de presse relevant du champ d’application de ce nouveau droit voisin. Celles-ci sont exclusivement constituées de créations journalistiques, quels que soient leur nature et leur support, publiées dans des périodiques quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, généralistes ou spécialisés (cons. n° 56). Seules les publications « principalement » écrites sont concernées, la présence de contenus de nature différente étant considérée comme accessoire. Cela conforte le champ restreint du droit, limité aux publications de presse, et exclut les contenus journalistiques de type radiophonique ou audiovisuel. Les contenus produits par les agences de presse sont également concernés. Les publications scientifiques et universitaires sont exclus du dispositif, ainsi que, de façon implicite, tous les autres types de supports qui relèvent d’une activité d’édition sans lien avec la presse (livres, disques, vidéogrammes…).

Le champ d’application du droit voisin est également établi dès le préambule de la directive. Celui-ci aura la même portée que le droit de reproduction et le droit de mise à disposition au public prévus par la directive de 2001, sans pouvoir s’appliquer aux actes d’hyperliens ni aux faits rapportés dans les publications de presse. L’exclusion des hyperliens entend ainsi préserver la jurisprudence de la Cour de justice en la matière, toute reprise d’un lien hypertexte ne constituant pas forcément une nouvelle communication au public6. Il est néanmoins important de noter que le droit voisin s’appliquera aussi bien aux reprises intégrales qu’aux reprises partielles de publications de presse, sans pouvoir inclure les utilisations de mots isolés ou de très courts extraits. Cette dernière notion pose un délicat problème de définition non résolu par la directive, alors même qu’elle est d’une très grande importance pratique. Outre les exclusions précitées, le droit voisin sera soumis aux mêmes exceptions que celles applicables aux autres droits selon la directive de 2001 (cons. n° 57). De même, les utilisations privées ou non commerciales ne seront pas non plus concernées par la nouvelle prérogative.

Le nouveau droit ne saurait être invoqué à l’encontre des droits des auteurs, ceux-ci ayant également droit à une part des bénéfices engrangés par l’exploitation de leurs contributions. De même, il ne saurait priver les auteurs d’œuvres intégrées dans des publications de presse d’exploiter celles-ci par d’autres moyens de communication au public. On pense notamment aux photographies d’illustration réalisées indépendamment de la publication, pour lesquelles un contentieux récent a rappelé, en France, le périmètre d’exploitation dont peut se prévaloir l’éditeur7.

Enfin, la durée du droit voisin créé par l’article 15 est de deux ans à compter du 1er janvier suivant l’année de la première parution des publications de presse. Il est également précisé que seules celles parues après le 6 juin 2019 seraient concernées par ce dispositif, donc indépendamment de la transposition dans les lois natio­nales. Sur ce point, la France s’est montrée bonne élève puisque l’article 15 a déjà été transposé dans le droit national.

La loi française

Une proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des éditeurs de presse avait déjà été déposée dès le mois de janvier 2019 par le sénateur David Assouline, alors même que l’adoption de la directive avait été repoussée de quelques mois.

L’objectif visait à anticiper la transposition de celle-ci avec un « véhicule législatif adapté », la situation des éditeurs de presse appelant une réponse urgente de la part du législateur8. La loi a finalement été promulguée le 24 juillet 20199, après une discussion relativement rapide. L’article 15 de la directive est ainsi transposé dans le nouveau chapitre VIII du livre II du code de la propriété intellectuelle, qui comporte de nouveaux articles L 218-1 à L 218-5. Ces dispositions reprennent les termes de la directive avec quelques spécificités.

L’article L 218-1 ajoute ainsi une nouvelle définition de la publication de presse rappelant la notion de « titre de presse », qui figurait déjà à l’article L 132-35 du code (bien qu’aucun renvoi ne soit effectué dans le texte). Cet ajout, visiblement motivé par la volonté de coller le plus possible à la directive, ne contribue pas pour autant à la lisibilité des dispositions en la matière. Cela est d’autant plus paradoxal que les défi­nitions des agences et des éditeurs de presse sont elles-mêmes établies par un renvoi à l’ordonnance du 2 novembre 1945 et à la loi 1er août 1986. Les articles L 218-2 à L 218-4 établissent le régime juridique du nouveau droit voisin. D’une durée de deux ans, comme dans la directive, celui-ci est défini comme un droit d’autoriser toute reproduction et toute communication au public totale ou partielle, par un procédé numérique et sur un service de communication au public en ligne, de publications de presse au sens de l’article L 218-1. Ce droit peut faire l’objet d’une licence concédée aux services en ligne, ou confiée à une société de gestion collective.

Des précisions sont apportées quant au barème de rémunération qui sera due en contrepartie de l’autorisation accordée par les éditeurs et les agences de presse. Celle-ci devra être basée sur les recettes d’exploitation de toutes natures, directes ou indirectes. Les revenus publicitaires seront bien sûr inclus dans ce barème. La rémunération devra également être établie au regard de trois critères : l’importance de l’utilisation des publications par les services de communication en ligne ; l’étendue des investissements réalisés par les éditeurs et les agences de presse sur le plan humain, matériel et financier ; l’importance de la contribution des publications de presse à l’information dite « politique et générale ». Si le second critère rappelle quelque peu celui de l’investissement substantiel du producteur de base de données (art. L 341-1 du code), le troisième paraît très discutable, en ce qu’il est étranger à la propriété littéraire et artistique. Les idées étant de libre parcours, l’importance de leur apport à un débat d’intérêt général est normalement indifférente à l’exploitation des œuvres de l’esprit, qui sont des créations de forme. Surtout, ce critère risque d’induire des discriminations entre publications de presse, les titres d’information politique et générale étant à ce titre davantage favorisés par le dispositif. La directive affirme pourtant que les publications ayant vocation au dispositif peuvent aussi bien être généralistes que spécialisées. De façon plus ambiguë, l’article L 218-1 mentionne les publications ayant pour but de « fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets », ce qui n’aidera guère à éclairer la portée ce critère.

La loi précise aussi, de façon désormais classique, que les services de communication en ligne seront tenus à un devoir de transparence et de coopération avec les éditeurs et les agences de presse. Elle établit également les conditions de la rémunération qui sera due aux auteurs des contributions faisant l’objet du droit voisin, en se calquant quasiment sur le modèle de la loi Hadopi 1 en ce qui concerne l’exploitation des droits patrimoniaux des journalistes (accord collectif et saisine d’une commission à défaut d’accord dans un délai de six mois suivant la publication de la loi).

Enfin, d’autres dispositions du code sont modifiées à des fins d’intégration du droit voisin, pour ce qui concerne la lutte contre la contrefaçon, mais aussi les limites et exceptions à ce nouveau droit. Le nouvel article L 211-3-1 dispose ainsi qu’il ne s’applique pas aux actes d’hyperliens ni à l’utilisation de courts extraits ou de mots isolés d’une publication de presse, à condition que ceux-ci ne soient pas organisés de façon à dispenser le lecteur de consulter l’intégralité de la publication. La précision vise à prévenir les risques liés à l’accumulation de courtes citations.

Perspectives et interrogations

Au niveau européen comme au niveau national, la création de cette nouvelle prérogative suscite beaucoup d’interrogations et de critiques, tant pour son fondement que pour sa mise en œuvre.

Sur le plan des principes, le droit voisin des éditeurs de presse vient confirmer la tendance, déjà dénoncée, à la désagrégation des droits de propriété littéraire et artistique. Celle-ci obéit désormais à une logique utilitariste, visant à satisfaire des intérêts catégoriels, ce qui lui fait perdre toute cohérence d’ensemble10. On ne comprend pas pourquoi les autres éditeurs sont écartés du dispositif, alors qu’ils effectuent pour l’essentiel la même activité, à savoir investir dans la diffusion d’œuvres de l’esprit. Les éditeurs de presse ne se sont vus reconnaître une spécificité qu’au regard de leur contribution au débat public, critère pourtant incertain dans le champ de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, la prérogative est dotée d’un régime ad hoc, sans équivalent avec les autres droits voisins, que ce soit pour sa durée ou ses limites.

Sur le plan pratique, cette prérogative a suscité de vives inquiétudes, notamment quant à son impact sur l’accès à l’information et, partant, l’exercice de la liberté d’expression. Il a pu également lui être reproché son effet contre nature, les services de communication en ligne pouvant eux-mêmes orienter le public vers les sites de presse ayant produit les publications qu’ils rediffusent. Ces critiques, formulées au cours du vote de la directive, ont justifié plusieurs des exclusions précitées, notamment en ce qui concerne le contenu même des publications, les actes liés aux hyperliens et les usages à finalité non commerciale. Sont ainsi préservés du dispositif tous les services non économiques dédiés à la diffusion d’informations qui procèdent de liens hypertextes publics et gratuits.

En revanche, l’incertitude demeure quant au seuil d’application du droit voisin. Si les « mots isolés » peuvent être aisément cernés par un service de référencement, on ne sait encore comment la notion de « très courts extraits » devra être appréhendée. Si une approche quantitative semble a priori la plus opportune (en nombre de lignes par exemple), les précisions apportées dans la loi française au sujet de la portée de ces extraits pourraient orienter vers une approche qualitative beaucoup plus pernicieuse. En effet, le contenu d’une publication peut aisément être résumé en quelques mots ou par la reprise du titre, ce qui dispenserait le lecteur d’en consulter l’intégralité. L’exception serait alors écartée au profit du droit voisin, ce qui invite à nous interroger sur l’accès à l’information. La détermination de cette notion est d’autant plus problématique que l’une des motivations de la directive et de la loi consistait à compenser la perte de valeur dont les éditeurs sont victimes en raison de l’utilisation de snippets et autres « premières lignes » d’articles, parfois illustrées de photographies, par les services de communication en ligne tels que les moteurs de recherche.

Enfin, les journalistes, qui restent les auteurs des publications de presse concernées par le dispositif, s’interrogent sur les modalités du partage de la rémunération qui leur sera rétribuée, celles-ci ayant été renvoyées à des accords collectifs plutôt qu’à des dispositifs plus contraignants11.

Sources :

1.       « La protection internationale des droits voisins », A. Françon, RIDA, n° 79, janvier 1974, p. 410.

2.       Selon l’art. L 132-1 du code de la propriété intellectuelle, l’éditeur est la personne cessionnaire du « droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion ».

3.       « Droit d’auteur des journalistes : la révolution en marche », C. Alleaume, LP, n° 265, octobre 2009, II, p. 123 ; « La réforme du droit d’auteur des journalistes par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 », L. Dral, CCE, septembre 2009, Étude n° 18, p. 8.