COMMUNICATION- ETRANGER- DROITS
VOISINS (FRANCE)
Le nouveau droit voisin
des éditeurs et agences de presse
(c) Philippe Mouron/.La revue européenne des médias et du numérique, n° 52, automne
2019 (www.le-rem-eu)
La loi du 24 juillet 2019 vient de créer un nouveau droit voisin
au profit des éditeurs et des agences de presse, leur permettant d’autoriser
contre rémunération la reproduction et la diffusion totale ou partielle par un
service de communication en ligne des publications dont ils assurent l’édition.
La loi française transpose ainsi l’article 15 de la directive du 17 avril 2019,
la création de ce droit ayant néanmoins suscité un certain nombre de
controverses.
« S’agissant en premier lieu de savoir quels seront
les titulaires de droits voisins, on peut certes songer à dire que ce droit
sera accordé à toute personne dont les activités ont pour objet l’exploitation
d’une œuvre de l’esprit. Mais, à l’évidence, on ne saurait multiplier les
titulaires de ces droits sans risque de paralyser cette exploitation. Donc, il
serait logique de n’attribuer ce droit qu’à ceux qui apportent à cette
exploitation une contribution d’une importance et d’une qualité
particulière. »1
Ainsi s’exprimait le professeur André Françon en 1974, sur le
sujet de la protection que l’on doit accorder aux droits voisins du droit
d’auteur. Ces réflexions allaient être suivies onze ans plus tard par la
loi du 3 juillet 1985, consacrant en droit français les droits
voisins des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de
vidéogrammes, ainsi que des entreprises de communication audiovisuelle. Il
n’était pas question alors d’inclure, parmi les titulaires de ces nouveaux
droits, les éditeurs de presse, quand bien même ceux-ci exploitent également
des œuvres de l’esprit2. Les premiers droits voisins visaient
surtout à récompenser l’investissement réalisé dans le développement de
nouvelles techniques de diffusion et de fixation, tels les enregistrements
sonores ou audiovisuels et la communication audiovisuelle, lesquels ne
concernaient pas, en l’occurrence, le secteur de la presse écrite.
Le développement des services de communication en ligne pendant
les années 2000 a néanmoins durement affecté le secteur de la presse écrite, au
point de légitimer, en France, une première réforme touchant l’exploitation des
droits d’auteur des journalistes employés par les entreprises de
presse. La loi Création et Internet du 12 juin 2009 ou Hadopi 1 (voir La rem n°12, p.10) a ainsi entériné le principe d’une cession automatique des
droits des journalistes à l’éditeur pour une exploitation multi-supports de
leurs contributions, ce qui inclut bien entendu les services de presse en ligne3.
Depuis, le secteur de la presse écrite a été confronté à de nouvelles
difficultés avec l’arrivée de services de communication en ligne qui utilisent
le contenu des publications sans bourse délier à leurs éditeurs. Tel est le cas
précisément des agrégateurs de presse, des services de veille médiatique et
autres sites utilisant des crawlers (robots
d’indexation). Ceux-ci procèdent d’une nouvelle organisation des articles de
presse, qui peut prendre la forme de snippets (extraits) dans certains
cas, tout en profitant d’une captation de l’audience publicitaire associée à la
consultation de ces contenus. Il semble en effet qu’un grand nombre
d’internautes se limitent à la consultation de ces résumés, sans prendre
connaissance de l’intégralité des publications.
L’idée d’octroyer un droit voisin au profit des entreprises
éditrices de publication de presse a fait son chemin. Malgré l’échec des
initiatives allemande et espagnole en la matière (voir infra),
c’est au niveau européen que celui-ci a finalement été consacré par la
directive du 17 avril 2019 (voir La rem n°50-51, p.12). La directive a été suivie, en France, d’une loi de
transposition, promulguée le 24 juillet 2019, portant spécifiquement sur ce
droit voisin. L’un et l’autre textes soulèvent néanmoins bien des
interrogations quant au fondement et à la mise en œuvre de ce dispositif.
Le droit voisin prévu par l’article 15 de la directive du 17
avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique
numérique
L’article 15 de la directive octroie désormais aux éditeurs de
publications de presse un droit sur l’utilisation en ligne de celles-ci par des
fournisseurs de services de la société de l’information.
Dans son préambule, la directive reconnaît la contribution de la
presse au débat public et au bon fonctionnement d’une société démocratique
(cons. n° 54), ainsi que la contribution « organisationnelle et financière » des
éditeurs dans la production de publications de presse (cons. n° 55). La
reconnaissance d’une contribution particulière à la diffusion d’œuvres de
l’esprit, au sens donné par André Françon, intervient donc tardivement pour ces
entreprises et dépendrait du contexte technologique. Si les justifications
fournies par le préambule de la directive sont légitimes, les conditions et les
finalités de l’exploitation des contenus de presse sont pourtant sensiblement
différentes de celles des titulaires « classiques » de
droits voisins4. Aussi, la création de ce droit vise moins à
récompenser la contribution des éditeurs qu’à corriger le déséquilibre
financier dont ils font l’objet en raison d’une pratique sectorielle5.
Au-delà, la directive définit les publications de presse
relevant du champ d’application de ce nouveau droit voisin. Celles-ci sont
exclusivement constituées de créations journalistiques, quels que soient leur
nature et leur support, publiées dans des périodiques quotidiens, hebdomadaires
ou mensuels, généralistes ou spécialisés (cons. n° 56). Seules les
publications « principalement » écrites
sont concernées, la présence de contenus de nature différente étant considérée
comme accessoire. Cela conforte le champ restreint du droit, limité
aux publications de presse, et exclut les contenus journalistiques de
type radiophonique ou audiovisuel. Les contenus produits par les
agences de presse sont également concernés. Les publications
scientifiques et universitaires sont exclus du dispositif, ainsi que, de façon
implicite, tous les autres types de supports qui relèvent d’une activité
d’édition sans lien avec la presse (livres, disques, vidéogrammes…).
Le champ d’application du droit voisin est également établi dès
le préambule de la directive. Celui-ci aura la même portée que le droit de
reproduction et le droit de mise à disposition au public prévus par la
directive de 2001, sans pouvoir s’appliquer aux actes d’hyperliens ni aux faits
rapportés dans les publications de presse. L’exclusion des hyperliens entend
ainsi préserver la jurisprudence de la Cour de justice en la matière, toute
reprise d’un lien hypertexte ne constituant pas forcément une nouvelle
communication au public6. Il est néanmoins important de noter
que le droit voisin s’appliquera aussi bien aux reprises intégrales qu’aux
reprises partielles de publications de presse, sans pouvoir inclure
les utilisations de mots isolés ou de très courts extraits. Cette dernière
notion pose un délicat problème de définition non résolu par la directive,
alors même qu’elle est d’une très grande importance pratique. Outre les
exclusions précitées, le droit voisin sera soumis aux mêmes exceptions que
celles applicables aux autres droits selon la directive de 2001 (cons.
n° 57). De même, les utilisations privées ou non commerciales ne seront
pas non plus concernées par la nouvelle prérogative.
Le nouveau droit ne saurait être invoqué à l’encontre des droits
des auteurs, ceux-ci ayant également droit à une part des bénéfices engrangés
par l’exploitation de leurs contributions. De même, il ne saurait priver les
auteurs d’œuvres intégrées dans des publications de presse d’exploiter
celles-ci par d’autres moyens de communication au public. On pense notamment
aux photographies d’illustration réalisées indépendamment de la publication,
pour lesquelles un contentieux récent a rappelé, en France, le périmètre
d’exploitation dont peut se prévaloir l’éditeur7.
Enfin, la durée du droit voisin créé par l’article 15 est de
deux ans à compter du 1er janvier suivant l’année de la première
parution des publications de presse. Il est également précisé que seules celles
parues après le 6 juin 2019 seraient concernées par ce dispositif, donc
indépendamment de la transposition dans les lois nationales. Sur ce point, la
France s’est montrée bonne élève puisque l’article 15 a déjà été transposé dans
le droit national.
La loi française
Une proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit
des éditeurs de presse avait déjà été déposée dès le mois de janvier 2019 par
le sénateur David Assouline, alors même que l’adoption de la directive
avait été repoussée de quelques mois.
L’objectif visait à anticiper la transposition de celle-ci avec
un « véhicule
législatif adapté », la situation des éditeurs de presse
appelant une réponse urgente de la part du législateur8. La loi a
finalement été promulguée le 24 juillet 20199, après une discussion
relativement rapide. L’article 15 de la directive est ainsi transposé dans le
nouveau chapitre VIII du livre II du code de la propriété intellectuelle, qui
comporte de nouveaux articles L 218-1 à L 218-5. Ces dispositions reprennent
les termes de la directive avec quelques spécificités.
L’article L 218-1 ajoute ainsi une nouvelle définition de
la publication de presse rappelant la notion de « titre de presse », qui
figurait déjà à l’article L 132-35 du code (bien qu’aucun renvoi ne soit
effectué dans le texte). Cet ajout, visiblement motivé par la volonté de coller
le plus possible à la directive, ne contribue pas pour autant à la lisibilité
des dispositions en la matière. Cela est d’autant plus paradoxal que les définitions
des agences et des éditeurs de presse sont elles-mêmes établies par un renvoi à
l’ordonnance du 2 novembre 1945 et à la loi 1er août 1986.
Les articles L 218-2 à L 218-4 établissent le régime juridique du nouveau
droit voisin. D’une durée de deux ans, comme dans la directive, celui-ci est
défini comme un droit d’autoriser toute reproduction et toute communication au
public totale ou partielle, par un procédé numérique et sur un service de
communication au public en ligne, de publications de presse au sens de
l’article L 218-1. Ce droit peut faire l’objet d’une licence concédée aux
services en ligne, ou confiée à une société de gestion collective.
Des précisions sont apportées quant au barème de rémunération
qui sera due en contrepartie de l’autorisation accordée par les éditeurs et les
agences de presse. Celle-ci devra être basée sur les recettes d’exploitation de
toutes natures, directes ou indirectes. Les revenus publicitaires seront bien
sûr inclus dans ce barème. La rémunération devra également être
établie au regard de trois critères : l’importance de l’utilisation
des publications par les services de communication en ligne ; l’étendue
des investissements réalisés par les éditeurs et les agences de presse sur le
plan humain, matériel et financier ; l’importance de la contribution des
publications de presse à l’information dite « politique et
générale ». Si le second critère rappelle quelque peu celui de
l’investissement substantiel du producteur de base de données (art. L 341-1 du
code), le troisième paraît très discutable, en ce qu’il est étranger à la
propriété littéraire et artistique. Les idées étant de libre
parcours, l’importance de leur apport à un débat d’intérêt général
est normalement indifférente à l’exploitation des œuvres de
l’esprit, qui sont des créations de forme. Surtout, ce critère risque
d’induire des discriminations entre publications de presse, les titres
d’information politique et générale étant à ce titre davantage favorisés par le
dispositif. La directive affirme pourtant que les publications ayant vocation
au dispositif peuvent aussi bien être généralistes que spécialisées. De façon
plus ambiguë, l’article L 218-1 mentionne les publications ayant pour but de « fournir
au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets »,
ce qui n’aidera guère à éclairer la portée ce critère.
La loi précise aussi, de façon désormais classique, que les
services de communication en ligne seront tenus à un devoir de transparence et
de coopération avec les éditeurs et les agences de presse. Elle établit
également les conditions de la rémunération qui sera due aux auteurs des
contributions faisant l’objet du droit voisin, en se calquant quasiment sur le
modèle de la loi Hadopi 1 en ce qui concerne l’exploitation des droits
patrimoniaux des journalistes (accord collectif et saisine d’une commission à
défaut d’accord dans un délai de six mois suivant la publication de la loi).
Enfin, d’autres dispositions du code sont modifiées à des fins
d’intégration du droit voisin, pour ce qui concerne la lutte contre la
contrefaçon, mais aussi les limites et exceptions à ce nouveau droit. Le
nouvel article L 211-3-1 dispose ainsi qu’il ne s’applique pas aux actes
d’hyperliens ni à l’utilisation de courts extraits ou de mots
isolés d’une publication de presse, à condition que ceux-ci ne soient pas
organisés de façon à dispenser le lecteur de consulter l’intégralité de la
publication. La précision vise à prévenir les risques liés à l’accumulation de
courtes citations.
Perspectives et interrogations
Au niveau européen comme au niveau national, la création de
cette nouvelle prérogative suscite beaucoup d’interrogations et de critiques,
tant pour son fondement que pour sa mise en œuvre.
Sur le plan des principes, le droit voisin des éditeurs de
presse vient confirmer la tendance, déjà dénoncée, à la désagrégation des
droits de propriété littéraire et artistique. Celle-ci obéit désormais à une
logique utilitariste, visant à satisfaire des intérêts catégoriels, ce qui lui
fait perdre toute cohérence d’ensemble10. On ne comprend pas
pourquoi les autres éditeurs sont écartés du dispositif, alors qu’ils
effectuent pour l’essentiel la même activité, à savoir investir dans la
diffusion d’œuvres de l’esprit. Les éditeurs de presse ne se sont vus
reconnaître une spécificité qu’au regard de leur contribution au débat public,
critère pourtant incertain dans le champ de la propriété
intellectuelle. Par ailleurs, la prérogative est dotée d’un régime ad hoc,
sans équivalent avec les autres droits voisins, que ce soit pour sa durée ou
ses limites.
Sur le plan pratique, cette prérogative a suscité de vives
inquiétudes, notamment quant à son impact sur l’accès à l’information et,
partant, l’exercice de la liberté d’expression. Il a pu également lui être
reproché son effet contre nature, les services de communication en ligne
pouvant eux-mêmes orienter le public vers les sites de presse ayant produit les
publications qu’ils rediffusent. Ces critiques, formulées au cours du vote de
la directive, ont justifié plusieurs des exclusions précitées, notamment en ce
qui concerne le contenu même des publications, les actes liés aux hyperliens et
les usages à finalité non commerciale. Sont ainsi préservés du dispositif tous
les services non économiques dédiés à la diffusion d’informations qui procèdent
de liens hypertextes publics et gratuits.
En revanche, l’incertitude demeure quant au seuil d’application
du droit voisin. Si les « mots isolés » peuvent
être aisément cernés par un service de référencement, on ne sait encore
comment la notion de « très courts extraits » devra
être appréhendée. Si une approche quantitative semble a priori la
plus opportune (en nombre de lignes par exemple), les précisions apportées dans
la loi française au sujet de la portée de ces extraits pourraient
orienter vers une approche qualitative beaucoup plus pernicieuse. En
effet, le contenu d’une publication peut aisément être résumé en quelques mots
ou par la reprise du titre, ce qui dispenserait le lecteur d’en consulter
l’intégralité. L’exception serait alors écartée au profit du droit voisin, ce
qui invite à nous interroger sur l’accès à l’information. La détermination de
cette notion est d’autant plus problématique que l’une des motivations de la
directive et de la loi consistait à compenser la perte de valeur dont les
éditeurs sont victimes en raison de l’utilisation de snippets et
autres « premières lignes » d’articles, parfois illustrées
de photographies, par les services de communication en ligne tels que les
moteurs de recherche.
Enfin, les journalistes, qui restent les auteurs des
publications de presse concernées par le dispositif, s’interrogent sur les
modalités du partage de la rémunération qui leur sera rétribuée,
celles-ci ayant été renvoyées à des accords collectifs plutôt qu’à des
dispositifs plus contraignants11.
Sources :
1.
«
La protection internationale des droits voisins », A. Françon, RIDA,
n° 79, janvier 1974, p. 410.
2.
Selon
l’art. L 132-1 du code de la propriété intellectuelle, l’éditeur est la
personne cessionnaire du « droit de fabriquer ou de faire fabriquer en
nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une
forme numérique, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion
».
3.
«
Droit d’auteur des journalistes : la révolution en marche », C. Alleaume, LP,
n° 265, octobre 2009, II, p. 123 ; « La réforme du droit d’auteur des
journalistes par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 », L. Dral, CCE, septembre
2009, Étude n° 18, p. 8.